Chapitre trente quatre

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La rue Colbert, Eva la connaissait bien pour avoir souhaité y travailler un temps, lorsqu'elle avait passé son concours d'entrée dans la police, mais aujourd'hui elle n'allait pas au commissariat, elle était devant le numéro 8 bis de cette rue, devant la CIRFA de Brest, le Centre d'Information et de Recrutement des Forces Armées. Elle avait rendez-vous pour valider son entrée dans la marine suite à son concours. Elle avait le cœur qui battait fort au fond de sa poitrine, elle devait faire des choix, mais ils étaient si difficiles. Comment savoir ce qui était bon pour elle, bon pour sa famille, bon pour son avenir...

Les idées fusaient dans sa tête, elle était prise entre joie et tristesse, entre sa vie et ses envies. Ce concours elle en avait rêvée, ce changement de vie elle l'avait imaginé mille fois. Elle avait rencontré, la veille, son responsable RH pour lui demander de valider sa rupture conventionnelle chez DEXIS, il avait validé sa demande en lui souhaitant bonne chance dans cette nouvelle aventure, son responsable avait été très compréhensif et avait accepté les explications de cette jeune et belle femme, un soulagement pour Eva qui craignait la réaction de son employeur.

Un dossier cartonné bleu aux élastiques rouges sous le bras, vêtu de façon très sobre dans un jeans clair et de petites chaussures de cuirs, une veste légère de cuir rouge couvrait un simple chemisier noir, elle passa la porte, son cœur allait exploser. Elle avait son portable dans la main, elle attendait un message qu'elle savait pertinemment qu'il n'arriverait pas. Elle attendait un mot de ce policier parti à l'autre bout du monde. Elle c'était refusé de lui écrire après son annonce de départ outre atlantique, elle ne voulait pas se mêler de sa vie, elle voulait rester éloignée volontairement par crainte du lendemain. Mais au fond d'elle, quelque chose brulait, une envie, un désire... Difficile à dire. Mais le résultat était là, elle pensait à tant de chose qu'elle ne savait plus ce qu'elle faisait là.

Arrivé devant l'accueil, une jeune femme en tenus de la marine l'accueillit, elle était attendue par un des officiers recruteur pour valider son dossier et pour ensuite lui annoncer les détails de son affectation à venir. La femme militaire l'invita à attendre dans une petite salle d'attente où de vieux magasines trônaient sur une table de bois foncées, une table d'un autre temps, sur les murs, les publicités de recrutement des corps d'armés cachaient la couleur passée des murs du bâtiment très ancien. Elle n'était pas perdue, elle retrouvait la même ambiance que dans les locaux de la gendarmerie.

Sur son portable, elle relisait les quelques messages échangés avec Yann... Que faisait-il à cet instant, à des milliers de kilomètres, avait-il une pensée pour elle, était-il juste un homme qui appréciait rencontrer des jeunes femmes lors de ces enquêtes, pour passer le temps, pour s'amuser... Comment savoir qui il était au fond de lui, qui était derrière ces yeux sombres, derrière ce sourire charmeur. Était-il sincère dans ces mots, lorsqu'il lui disait penser à elle ? Elle était perdue, elle avait son travail, ce concours, son mariage, sa vie... Pourquoi penser à cet homme, qui pouvait le dire, qui pouvait l'aider à décider ? Elle était seule dans cette réflexion comme elle était seul dans cette salle d'attente tout droit sorti des années 80.

La jeune militaire revint la chercher pour lui indiquer qu'elle pouvait monter. L'officier recruteur l'attendait au deuxième étage de ce bâtiment de pierres et aux marches usées par les pas des gens qui avaient foulés années après années le sol de cet endroit. Elle arriva devant la porte du bureau, elle prit une grande respiration, elle se redressa, ferma les yeux un instant, sans qu'elle puisse maitriser cela, elle vu le regard de Yann dans cette fraction de seconde. Elle rouvrit les yeux et entra, le cœur lourd.

L'entretien dura environ une heure, il ne s'agissait que de détails administratifs pour le démarrage de son contrat et de son affectation. Elle devait être heureuse, tout était parfait, elle allait suivre des cours au sein de l'école de Maistrance de Brest pour pouvoir ensuite intégrer un service actif. Tout semblait lui sourire mais pourtant elle restait préoccupée.

« Tu as tout pour être heureuse ma vieille, ton mari qui t'aime, ton job et maintenant ton concours... »

Bien sûr, c'était ce qu'elle devait se dire car ces amies et son frère le lui répétaient sans cesse. Et pourtant, sans qu'elle ne puisse se l'expliquer, elle restait dans le doute et les questions fusaient dans sa tête, plus encore, dans son cœur. Elle pensait à cet homme qui occupait son esprit alors qu'elle voulait essayer de construire son avenir.

Elle se persuada de ce bonheur naissant, de cette carrière peut être, de ce nouveau départ avec ces projets... Après tout, Yann était loin, il était à des milliers de kilomètres, il devait penser à bien autres chose qu'à elle. Son enquête, sa vie, ces conquêtes passées et à venir. Pourquoi essayer de chercher à démarrer une histoire complexe alors qu'elle avait déjà tout ?

A ce même instant, à des milliers de kilomètre, en effet, un homme était éveillé dans la nuit, il regardait le plafond, plongé dans une baignoire blanche, l'eau glacée recouvrait son corps et une partie de son visage, il avait l'esprit torturé et une pensée prenait le dessus sur toutes les autres... « Eva, je pense à toi... »

Mais cela, il ne pouvait ni le dire, ni l'écrire, il l'avait au fond de son cœur meurtri et devait l'enfouir pour garder l'esprit clair dans cette enquête.

Elle reparti du centre de recrutement et alla rejoindre son frère, Bastien, au commissariat. Elle arriva dans son bureau avec un sourire un peu forcé, elle s'efforçait de ne rien laisser paraitre, tel un masque que l'on porte à chaque instant de nos vies pour satisfaire notre entourage...

- Coucou frérot ! Me voilà officiellement recrutée dans la Marine ! Tu as devant toi la nouvelle Eva ! Je vais débuter mes classes à l'école de Maistrance, t'en dis quoi de ta petite sœur maintenant ?

Bastien avait le regard froid et n'avait pas du tout envie de rire...Eva capta alors ce malaise et devinait déjà ce qui allait suivre.

- Tu peux m'expliquer pourquoi tu as cherché à avoir le numéro de téléphone de ce Maze sans même m'en parler ?

Sur ces mots, le sourire de Eva disparu, elle avait été démasquée, son frère avait donc appris sa recherche... Son masque tomba, elle avait le visage triste et elle ne sut pas quoi répondre.

Un instant de silence pesant s'installa entre les deux complices de toujours, entre cette petite sœur que Bastien aimait tant et ce grand frère que Eva respectait depuis toujours. Elle allait devoir affronter son frère dans ce moment qu'elle redoutait. Elle s'y était un peu préparée mais elle n'avait pas besoin de cela maintenant, alors qu'elle avait encore tant de questions en tête.

Les disparus de la RadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant