Chapitre dix Neuf

37 5 0
                                    

Pantin, rue Lavoisier, Yann n'avait pas à se plaindre, il avait un bel appartement proche du Bastion, pas très grand vu les prix pratiqués dans le secteur mais cossu. Il avait pu mettre de l'argent de côté étant jeune, reste de son ancienne vie.

Il rentra dans la soirée après être passé à la salle de sport comme il l'avait promis à ces collègues, deux heures à évacuer le stress sous les barres marquées par les mains usées qui les manipulaient depuis tant d'années.

Il laissa sa voiture dans la rue, juste devant l'immeuble Haussmannien et monta les escaliers du bâtiment. Arrivé au troisième étage il entra dans son appartement, bien décoré, bien rangé, impeccable comme celui qui y vivait, mais aussi vide que le cœur de celui qui entrait.

A l'entrée de l'appartement, Yann retira la veste de son costume Scabal, encore une pièce de tissu hors de prix comme le disait Verdier ! Il la rangea soigneusement sur un cintre de bois vernis. Il alluma les lumières, retira son Smith & Wesson du holster et le mis sur une commode en bois clair dans la pièce de vie.

Il se dirigea ensuite vers sa chambre et sa salle de bain. Au milieu de celle-ci, une baignoire, celle à laquelle il tenait tant. Dur à expliquer, des rituels, des habitudes... Difficile à dire, mais Yann se déshabilla et se plongea dans un bain d'eau clair et glaciale. Il ne cherchait qu'une chose dans cette eau, s'isoler du reste du monde... Il laissa plonger sa tête en grande partie dans l'eau, de sorte qu'il pouvait respirer mais tout le reste était sous l'eau, les bruits s'atténuaient, les tensions diminuaient, la pression crânienne disparaissait. Mais cette fois, Yann avait une personne qu'il ne voulait pas chasser de son esprit... Eva était là. Lorsque Verdier lui avait annoncé plus tôt dans la journée la nécessité de retourner à Brest, c'est la première chose qui lui était venu en tête, comme une évidence, peut-être même, comme une nécessité.

Il resta ainsi immergé un long moment, beaucoup sortaient quand l'eau refroidissait, lui il sortit car elle n'était plus assez froide... Yann passa une serviette autour de sa taille. Il coiffa ses cheveux en arrière et alla vers sa cuisine. Pas vraiment le temps de se faire à manger, la cuisine, pas si grande mais bien équipée ne servait pas souvent. Il prit son portable et appela pour se commander à manger. Le Wandi, un petit resto indien, il se commanda un Korma. En attendant le livreur, il se servit un verre, il en avait besoin, les idées sombres et les idées claires s'entrechoquaient dans sa tête...

Les disparus, les bains d'acides mais aussi Brest, Eva, blanc et noir, Ying et Yang, calme et tempête... Il avait l'habitude et il encaissait mais c'était tout cela qui lui créaient ses insomnies, cette noirceur qui l'imprégnait, tel un tatouage qui se dessinait au fil des ans et marquait son cœur de façon indélébile, il changeait au fil du temps, il n'y pouvait rien.

Mais à cet instant, il devait retrouver ses esprits et se concentrer. Il savait que la nuit ne serait pas reposante, pas une nuit sans cauchemar, sans douleur et torture intérieur, profonde. Après avoir été livré de son repas, Yann manga ce plat indien aux couleurs chaudes et aux parfums épicés. Il se dirigea ensuite vers la cuisine pour se faire couler un expresso. Il n'était pas du genre à faire les choses comme les autres, sur le bar de sa cuisine moderne et aux couleurs aciers et ardoise, un percolateur digne des bars parisien... Il mit en route cette grosse machine de chez Bartsher et se fit un café serré... Le liquide aux couleurs noir et or sentait fort cette caféine qu'il aimait tant, de quoi lui mettre encore plus la tête en ébullition, mais il avait besoin de cela. Il revint avec sa tasse de porcelaine blanche et se dirigea vers son bureau dans la pièce de vie. Petite lecture avant d'aller se coucher, il se remit dans les dossiers réunit entre Brest et Rodez. Les photos des bacs blancs, les images des traces révélées par les produits de la scientifique, tout se mettait en action dans sa tête, il imaginait la scène comme s'il y avait assisté.

Brest, cinq jeunes qui disparaissent et un qui passe à l'acide, Rodez, idem, là aussi un passage au bain d'acide... Les profils étaient ciblés, les méthodes méticuleuses et bien rodées, pas d'empreintes, pas de traces, pas de témoin... C'était du travail de professionnel mais Yann avait pourtant commencé à trouver des failles, il n'allait pas lâcher cet os qu'il venait de commencer à ronger.

Le Santa Maria était surement la piste la plus sérieuse pour remonter la filière, une organisation outre atlantique. Des démons resurgissaient avec d'anciennes affaires, traite des blanches, trafic d'êtres humains pour psychopathes plein aux as, trafic d'organes pour riches malades... Que pouvait cacher ces enlèvements, l'espèce humaine ne manquait pas de vices pour imaginer les pires destins pour ces jeunes.

La terre est bleue vu du ciel, le monde est lumineux vu de votre fenêtre, mais en fait, la noirceur est partout, on croise des personnes dans la rue sans les regarder, sans savoir qui elles sont, père de famille modèle ou violeur ? Directrice d'entreprise ou accro au crac ? « On croit voir mais nous somme aveugle », ces mots revenaient souvent dans la bouche de Yann. On ne devait pas rester dans cette partie du monde trop longtemps au risque de ne pas arriver à remonter à la surface, chaque plongé dans ce monde faisait ralentir le cœur de Yann, le rendait moins humain, plus sombre encore.

Les sourires se faisaient de plus en plus rare, les larmes coulaient souvent la nuit quand il perdait son regard dans l'horizon illuminé de façon artificiel... Cela représentait sa façon de voir la réalité, un monde sombre que l'on éclaire de façon artificielle pour rassurer les pauvres fous qui gravitent et vivent à l'intérieur de cet univers, il faut bien les rassurer pour qu'ils continuent à travailler et consommer.

L'heure avançait, presque 1 heure, Yann s'allongea sur son lit, grand et vide, personne se soir pour le partager, il avait pourtant des « amies » qui passaient du temps avec lui, mais cette nuit il ne voulait pas payer pour du sexe, il y avait quelque chose qui grandissait en lui, sans trop le savoir, sans trop le comprendre, il le sentait juste, il ferma les yeux, sous ses paupières pourtant, le clame n'était pas encore restauré.

Les disparus de la RadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant