Son petit bout de lettre chiffonnée

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A D A M

_ADAM, c'est sûrement la lettre la plus longue que je n'écrirai jamais !

Mais c'est au cas où jamais nous ne nous reverrions. Je veux marquer certains points...

Déjà pardonne moi de t'avoir effrayé lors de notre rencontre. Je te jure que je ne le voulais pas. Je ne voulais pas sauter.
J'en suis incapable !

Crois ces mots profondément, puisque tu ne peux croire qu'en eux... Ma parole serait un mensonge, puisqu'elle n'émet pas grand son.

Je t'attends, tu sais, au moment où j'écris cette lettre. En doutant.

Plusieurs fois j'ai failli jeter ce papier froissé dans l'eau pour que tu ne le lises jamais. Mais je ne l'ai pas fait, tu t'en doute bien ! Je ne sais pas pourquoi...

Je me répète depuis tout a l'heure que, tu ne liras probablement jamais ces mots et que, cette pauvre feuille s'usera d'elle-même avec le temps.

C'est triste, non, comme tout finit par vieillir et s'effacer de la Terre ?

Je suis de ceux qui pensent pourtant que les choses les plus éphémères sont aussi les plus belles.

Ce qui ne dure pas dans le temps, dure dans la mémoire. Et tout s'embellit grâce à nos bribes de souvenirs. C'est beau. C'est simple. Pas compliqué.

Et les souvenirs sont beaux, bien plus vifs et puissants dans ma mémoire que dans ma réalité. Je le sais. Alors oui, je trouve cela triste que tout vieillisse. Parceque la réalité est moche. Trop cruelle.

Je t'attends alors que la luminosité baisse juste par curiosité. Je t'écris cette lettre pour la même et simple réponse...
La curiosité.

Désolée, je sais que c'est mal... Mais que veux-tu ?
À vouloir faire le bien on finit par tout faire mal.

Je viens de me souvenir que je t'ai vu tôt le matin et non tard un soir... Tu n'es donc pas un oiseau de nuit...

Qu'es-tu, alors, Adam ?

Dis-moi ce que j'ai cru voir se dessiner sur ton visage. Dis moi, que je n'ai rien rêvé ni tout inventé. La colère que tu protèges, dis moi qu'elle peut s'effilocher, dis moi que tu n'as pas abandonné le monde parce qu'il t'a fait souffrir.

J'aurais voulu avoir la raison de tous ce que j'ai cru voir sur ton visage... Un masque ? Une réalité mal formulée ?

J'ai vu quelque chose que j'aurais du mal à oublier.

Si jamais tu me réponds, fais le dans la vérité. Quitte à me traiter de folle, fais le si cela est vrai.

Je ne sais pas quand ni même si un jour toi, ou quelqu'un d'autre lira ces mots mais je te souhaite une belle nuit, puisqu'ici elle arrive à grand pas et que je quitte cette lettre sur ces mots...

Au revoir : Myla_

J'ai relu plusieurs fois cette lettre, je l'ai même gardée, l'ai volée aux pierres du Pont entre lesquelles elle se trouvait, à moitié dévorée par la pluie matinale qui a trempé son papier et dévoré ses extrémités.

Je me demande pour la millièmes fois au moins si ce que je fais est une bonne idée... Mais tant pis ! Je me lance, réponds à sa lettre que je coince par la suite à mon tour entre deux pierres innocentes du Pont, à présent dans la confidence de notre début de correspondance.

La colère grogne en moi et demande le droit de s'exprimer, elle veut brûler la douleur et les remords qui font rage en moi. Cette lettre, ces mots m'ont fait mal, ont réveillé une nouvelle fois la flamme, le feu qui ne cesse d'exploser en moi.

Je suis en colère, encore une fois, et j'ai soif de justice.

Je me rends directement au lycée Lovelace en fixant l'heure. 7:40. Parfait.

Je m'approche d'un banc solitaire, assombrit par l'ombre d'un arbre et je commence à sortir de son étuis mon appareil photo.

Aussi discret qu'une ombre que l'on remarque à peine, je m'approche de l'arbre et plis les genoux pour me baisser et trouver un bon jeu d'ombre.

Un garçon un peu plus jeune que moi se tient à moins d'un mètre de l'arbre : Ben Styl.

Mes yeux voient l'objectif, évaluent les distances, les différentes prises possibles pour avoir l'effet escompté. Je tends une de mes jambes et bascule légèrement mon corps en avant.

Je contrôle tout, mes doigts, l'appareil photo, ma position.

Le cadrage dans l'appareil change et devient enfin parfait. J'appuie sur un bouton et l'image est capturée. Une seconde fois pour être certain que ma photo ne sera pas floue. Une troisième fois par précaution, une quatrième par pure passion, une cinquième et enfin, une sixième fois sans même que le garçon ne s'en rende compte.

Je me redresse et regarde laquelle des photos sur les six je vais bien pouvoir garder. Quand je la trouve enfin, je l'observe avec attention, la recadre légèrement pour centrer le personnage principal de ma photo.

On y voit un parfait jeune homme en apparence, portant un jean banal et une chemise à carreaux légèrement ouverte. Mais ce qu'il est en train de faire... Est beaucoup moins banal ou au moins, beaucoup moins montré que son physique.

On le voit, dans la claire lumière du soleil, regardant de tout côté d'une manière presque paniquée, ses lunettes noires glissent un peu de son nez. Il est en train de sortir des feuilles d'un sac en cuir brun qui n'est, à n'en pas douter un seul instant, pas le siens.

J'ai assez zoomé et éclairci l'image pour que rien n'y soit pixelisé et que l'étiquette sur ce sac soit parfaitement lisible, "Mme Lapointe", une professeur de physique, chimie. On peut aussi aisément lire sur la feuille que ce garçon tient dans ses mains "Réponses de l'évaluation n°5".

Un sourire de satisfaction s'imprime sur mes lèvres, la colère à enfin disparue, la justice a été assouvi ou presque.

Je range bien à l'abri dans mon sac mon appareil photo, sous le gros que j'utilise moins à cause de sa taille et pars rejoindre le hall du lycée, dans le but ultime d'y retrouver Rebecca et son petit copain Aaron.

Je m'éloigne donc de ce Ben Styl, que tout le monde connait comme étant premier de la classe et délégué prodigieux, toujours ou presque entouré d'une foule d'amis.

Ben Styl, que je connais à présent comme étant tricheur et voleur. Mais ça, je ne serais bientôt plus le seul à le savoir.

Alors que je marche à grandes enjambées vers l'intérieur du lycée, une ombre semblant plus âgée que la plupart des élèves se dessine. L'ombre me fixe, les bras croisés et l'air peinée. M. Harmoniac me regarde traverser la cours et quand nos regards se croisent, ses lourdes jambes s'activent dans ma direction.

Je détourne la tête, accélère l'allure et la sonnerie retentit à l'instant même où sa main touche mon épaule.

Merde, on dirait bien que le karma me revient en pleine gueule... Et que, par la même occasion, la chance s'est réfugiée dans le mauvais camp...

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant