Revenante du naufrage

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M Y L A

Mes doigts lissent les contours de ma nouvelle lettre. Celle que j'enverrai bientôt à Adam. Je la lis plusieurs fois.

Longuement.

En quête de la moindre petite faute inexcusable.

Et le papier se repli dans les coins. Il veut cacher et avaler mes mots si absurdes de vérités. Il ne cesse de se tortiller dans mes mains ! Il souhaite se libérer. Rejoindre d'autres mains que les miennes. Des mains, qui sauront l'apprivoiser et le comprendre dans leurs complexités pensées par un être tout abimé.

Je me souviens, quand j'ai écris ma première lettre m'être dis que jamais plus je n'en écrirais d'aussi longue. À croire que le destin aime me contredire...

Je hausse les épaules et range le papier entre les pierres du pont, le cœur battant comme un diablotin.

Il m'est étrange d'entamer quelque chose de semblable avec quelqu'un... Je ne l'ai jamais fait auparavant. Je n'en ai même jamais eu l'idée à vrai dire... C'est juste arrivé. Ça arrive. C'est tout ce que je puis dire. As-tu déjà eu une correspondance, toi ?

Je chevauche Frank, fidèle au vent qui nous emporte sur les routes de la ville, là où le monde semble s'endormir. Comme toujours. Le moteur de mon vieux scooter gronde.

Il veille encore sur moi comme il a tenté de veiller sur toi, tu sais.

Te souviens-tu encore de la manière dont il t'a rendu libre ? De la légèreté qui te prennait soudain quand il parcourait les kilomètres et les kilomètres que tes petites jambes n'auraient jamais eu le cran de traverser ? T'en souviens-tu ?

T'en souviens tu  ? Souviens-toi...

J'aimerais tellement te le rappeller. Encore et toujours pour que tu n'oublies jamais...

Souviens toi de toi-même. De ta voix mélodieuse que j'aurais voulu également posséder. De ta force innébranlable de caractère. De l'amour que tu portais pour le genre humain. De ta beauté naturelle que les garçons bien souvent ne manquaient pas d'observer...

Et n'oublie pas... S'il te plaît ne m'oublie pas... Rappelle toi, comme moi je ne cesse de me rappeler de toi.

Ne m'oublie jamais ! Je t'aime encore. Si fort que ma poitrine suffoque encore ! Avec tant de puissance que mon coeur semble se déchirer et sangloter sans cesse.

Mon sang coule à flot pour toi. Il pleure tout le temps ta perte. Toi, pour qui il ne peut plus battre comme avant. Pourtant il aimerait continuer ses battement pour toi ! Mais tout est vide... Mort en même temps que toi.

J'arrive enfin chez moi. J'essuie d'un geste vif la dernière larme qui a osé couler au travers de la route qui se dessinait devant moi et Frank. Et j'entre dans la maison.

-Myla ? C'est toi ? s'écrit mon père du salon.

-Comme si elle allait te répondre 'Pa, grogne la voix ma soeur, elle aussi venant du salon.

Je m'approche timidement de la pièce ou les habitants de cette maison sont regroupés.

Et là, quand mes yeux se posent sur la canapé, les post-it que j' avais coincé entre mes doigts chutent.

Ils se fracassent au sol dans un petit bruit bref qui semble pourtant résonner partout autour de nous.

Les sons s'absorbent en moi.

J'étouffe alors un instant. De mot. De cri. De quelque chose d'impossible.

Un frisson vient glisser le long de mon dos et le choc me fait écarquiller les yeux. Les émotions passent, telles de vieilles amies fugaces venant me saluer l'une après l'autre.

D'abord la tristesse, toujours elle en premier, toujours elle qui reste. Ensuite la déception. La douleur d'une perte revenue. Enfin, la rage me brûle, comme une allumette soudain éveillée par ta conscience.

Cette rage me rappelle Adam. Je resserre machinellement dans ma poche la lettre de mon correspondant qui s'y trouve encore. Dans cette main chiffonnée qui cherche désespérément de l'aide, le papier me chuchote les paroles qu'Adam m'a confié.

La vie te montre une chose magnifique que tu voudrais ne jamais quitter... Et l'éphémère s'éveille et t'arrache tout, sans se soucier de ce qu'il reste de toi.

Mes émotions se calment. Le froid envahi mon corps. La tristesse emplie mon âme.

-Bonjour Myla, tu vas bien ?

J'affirme de la tête machinellement en ramassant mes affaires. Puis, je regarde avec interlocation mon père, qui a le regard fixé sur... Cette femme... La femme qui se tient bien droite sur le canapé, dans un position légèrement mal à l'aise.

C'est Apolline qui, ne me quittant pas des yeux, répond à ma question muette lancée dans un silence assourdissant pour mon père.

-C'est moi qui lui ai demandé de venir. Elle est là pour toi, essais de montrer un peu plus de joie bon sang !

Je serre les doigts autour de mon crayon et écrit sur un post it orange ces mots qui hantent ma raison, qui résonnent à présent vide en moi :

_Salut, maman. Tu as fait bon voyage ?_

Un mot, qui ne signifie plus rien désormais éclate sur le papier dans un mensonge des plus éhontés.

Maman...

Mais qui est maman désormais ?

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant