L'Enfer est là, l'Enfer c'est nous

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A D A M

-Adam Pargraff !

Alors que j'étais en train de parler à Aaron et Rebecca, je me retourne et me prends en pleine gueule une belle droite qui me fait tomber par terre, comme le moins que rien que je suis. Avant même la première heure de cours, je sens que je commence vaguement bien ma journée.

Des étoiles virevoltent devant mes yeux et le monde, qui était jour, se transforme pendant une fraction de micro-secondes en une opacité dérangeante.

-ESPÈCE DE SALAUD ! entendis-je dans mon trouble.

Ben Styl et sa clique se retrouvent autour de moi en moins de temps qu'il n'en faut pour bouger une escalope panée.

Quand je le vois, j'aimerai dire que je suis surpris par son comportement, lui qui a toujours été montré comme quelqu'un d'immaculé et de sérieux, qui ne semblait posséder comme secret que la perfection de son apparence. Mais je ne suis pas étonné, je savais, à l'instant même où je l'ai vu derrière cet arbre solitaire, quel genre de personne il est véritablement et qu'il tente encore de cacher derrière tout ce qu'il lui reste de faux-paraître.

-Ça me fait plaisir de te voir aussi Ben, dis-je en touchant ma joue tuméfiée.

L'heureux concerné me prend soudain par les épaules et m'oblige à me relever. Il se rend malheureusement un peu trop vite compte du ridicule de cette scène, lui, le gentil petit héros harcelé, victime de la grosse méchante courgette qui fait bien trois têtes de plus que lui.

Je le vois alors, écarlate comme une écrevisse trop cuite, comme le sang qui court dans nos artères, nos veines et notre cœur pulsant contre notre poitrine.

Je fixe ses yeux aux vaisseaux éclatés dans un rouge pâle et aux cernes de dix huit mètres qui encerclent le bas de ses globes oculaires. Il a pas dû super bien dormir avec ce que j'ai osé poster de lui sur le site du lycée...

-Lâche-le Ben, intervient Aaron en poussant Rebecca hors de la foule de gens qui s'est soudain formée autour de nous, hurlant des mots sur d'autres mots incompréhensibles.

Pourtant par dessus les cris de la foule voulant un combat sanguinaire entre deux adolescents, un peu d'histoire dans ce bahu qui n'en possède aucune, j'entends distinctement Rebecca :

-Adam... Qu'est-ce que t'as encore foutu...

Oh rien si ce n'est que, dans la colère qui emflamme mon corps d'une justice défiant les hypocrites, j'ai dévoilé ce que Ben Styl cherchait à si bien cacher.

Dans la colère, Ben me relâche et se tourne vers Aaron qui tente de le pousser loin de moi. Il se tient face à mon ami dans un air rageur, prêt à écrabouiller tout ce qui passera sous ses mains, y compris Aaron. Ben me pointe d'un doigt accusateur en scrutant le regard froid de mon ami :

-Ton pote a posté des photos de moi ! VOILÀ CE QU'IL SE PASSE !

-Aaron, c'est bon, ça va, dégage..., ai-je discrètement grogné avant de poursuivre haut et fort : Ben, tu n'as aucune preuve que c'est moi. Les photos qui sont postées, le sont toujours anonymement, mec.

Ben se retourne vers moi, je hausse un sourcil et une sorte de mélange entre une grimace et un sourire ose trouver sa place entre mes lèvres et contre ma joue douloureuse.

-MAIS TOUT LE MONDE SAIT QUE C'EST TOI, PUTAIN ! ASSUME !

-Tu as des preuves à l'appui ? ai-je demandé, profondément fier de ce que ces photos ont provoqué en lui, une pure humiliation inneffaçable, plaquée dans sa mémoire à tout jamais.

Je voudrais crier à tous ces gens qui nous fixent, j'aimerai leur dire que voilà. Voilà le Ben Styl qu'il est, pas celui qui est fier, qui dit travailler dur pour réussi et qui se sent supérieur à tout le monde, non ! Le Ben Styl tricheur qui souhaite toute l'attention du monde, qui aime écraser les autres et que ces autres envient sa perfection mensongère.

Un rire glacial s'échappe d'entre ses lèvres et sa bouche se tord dans une rage qui le consume petit à petit.

-T'es vraiment encore plus con que ce que je pensais, Pargraff ! La preuve, mais c'est tout le monde !

-Tout le monde, c'est personne, c'est trop vague.

Il ouvre la bouche pour répliquer, Aaron, prit de panique tente de s'avancer vers nous pour le stopper avant que l'horreur ne survienne mais, la clique de Ben lui bloque le passage à présent.

-T'es qu'un gros connard Adam Pargraff, tu mérites de pourrir en enfer.

J'écarte les bras avec un soupire qui s'efface dans le monde et un sourire amer coulant entre mes lèvres.

-Je suis déjà en enfer ! L'enfer, c'est là ! L'enfer, c'est nous ! Et il se trouve que j'ai fait de lui mon terrain de jeu favori !

Je sens Ben grincer des dents, ses poings se serrer dans ses mains semblant si parfaites, mais aussi crasseuses que le reste de cette putain d'humanité ignoble.

-Je vais te péter la gueule, te réduire en miette ! Tu seras tellement défiguré que tu seras obligé de te terrer à jamais dans ta pauvre piaule jusqu'à la fin de tes putains de jours de merde !

-Oh mais je t'attends, Ben. Toi et toutes tes accusations artificieuses. Toi et ta triche que tu refuses d'assumer comme un vrai mec à couilles, devant tout le lycée qui t'admire tant !

La haine, un sentiment si puéril, si terrible que, quand il se peint sur un visage, il semble tout déchirer sur son passage. Comme une toile d'araignée que l'on s'oblige à arracher pour pouvoir mieux avancer sur son chemin, sans avoir peur qu'une mauvaise bestiole n'intervienne en notre défaveur... Le corps entier de Ben Styl subit ce sentiment, à présent et comme une torture, il veut évacuer son humiliation en m'humiliant.

Cette manière qu'ont les gens de réagir, j'aimerai dire qu'elle est nouvelle, qu'auparavant je ne l'avais jamais constaté avec autant de force chez quelqu'un. Mais c'est terriblement faux, j'ai déjà vu cette haine contre moi, j'ai déjà vu ces gestes aussi, cette violence accrue qui tend les corps et désunie la pensée consciente.

J'ai ressenti cette haine aussi, une fois, dans un moment d'extinction et d'apocalypse de ma vie, où je croyais mon monde s'être achevé et que je n'étais pas conscient que, même quand la vie semble tuer, on continue de vivre.

Alors oui, le visage de Ben s'est déformé, tordu pour dévoiler le véritable, le Ben Styl sans scrupule, rempli de violences et d'actes irréfléchis.

Il a frappé, encore et même peut-être encore sous le brouhaha des lycéens, heureux avec leurs yeux étincelants à l'idée de pouvoir enfin assister à du grandiose, à un spectacle gratos contenant du sang et des douleurs.

Je suis resté debout cette fois, parant de temps à autre un coup prévisible, protégeant mon corps sans toutefois m'épargner.

Je crois que j'ai entendu Rebecca pousser la foule pour tenter de me rejoindre dans des cris déchirants, de véritables hurlements de dragon et Aaron, se débattant contre des boloss en apparence pour venir à mon secours.

Aaron... Celui qui veut être un héros, même avec les gars les plus désespérés, pourris dans la moelle et le cœur.

-POUSSEZ-VOUS, POUSSEZ-VOUS, NOM DE DIEU MONSIEUR PARGRAFF, MONSIEUR STYL !

On m'a soudain tiré d'un coup sec en arrière, loin de Ben qui continuait joyeusement de donner des coups de poings et de pieds dans ce vide introduit de force entre nos deux corps bagareurs.

-A... Adam, a chuchoté cette voix étranglée par ce qu'impose la tristesse.

La personne venue m'arracher aux griffes de ma punition n'est autre que Rebecca bien entendu. Elle s'est planté devant moi pour que je cesse de fixer Ben, tenu par un pion du lycée, les lunettes tombantes.

J'ai croisé, bien malheureusement son regard d'un gris transperceur et j'ai compris qu'elle m'en voulait irréprochablement, comme jamais jusqu'ici. J'ai tenté de lui faire un sourire cassé et crispé de douleur, mais elle ne me l'a pas rendu.

-Vous ! a beuglé le pion en fixant tour à tour Ben et moi. Dans le bureau du CPE, MAINTENANT !

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant