Les guêpes insatiables de curiosité pugnace

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A D A M

Je ne sais plus que faire.

Cette fille, qui a voulu se jeter d'un pont pour oublier ce qu'avait le goût de la vie et qui ramasse à présent tranquillement son mp3 tombé par terre, n'est pas du tout la fille que je m'étais attendu à devoir confronter.

Je n'ai plus de voix, je devrais avoir les mots, mais n'en ai plus. Les mots sont devenus des feuilles et, poussées par une bourrasque au nom inconnu, elles s'envolent loin de moi.

Soudain, je sursaute et une énorme envie de me baffer survient, c'est moi, qui ose me plaindre, moi qui me dis sans voix, alors qu'elle est muette ?

Je revois mille fois dans mon esprit sadique, ses doigts glisser contre sa bouche pour m'expliquer son incapacité de parler.

Quelle putain d'ironie incongrue de se croire muet quand on ne l'est pas !

Je ne peux pas m'empêcher de la dévisager, je crois que c'est parce que je ne comprends pas. Oui, je ne comprends pas comment cette personne peut ne pas posséder de voix tant son visage semble vouloir s'exprimer dans son immunité contre la parole.

Mes doigts me démangent, me percent la peau. S'ils pouvaient, ils auraient attrapé mon appareil et aurait photographié ce sourire trop crispé pour être vrai, ces yeux trop sombres pour ne pas être ravagé par les larmes, ces joues trop creuses et trop pâles pour être correctement nourries.

La douleur s'échappe par tous les pores de sa peau et le corbeau qui lui sert de cheveux, la chante à tue-tête pour elle, sans que personne dans ce monde n'y prête la moindre oreille.

Blessure, encore ce mot qui ose résonner pour moi-même et qui semble la dénoncer, la pointer du doigt et m'obliger à voir en elle une sorte de beauté de l'âme, camouflée par la douleur.

Oh que oui, ces doigts me piquent et me blessent, comme si des milliards de guêpes s'y étaient sauvagement accrochées et ne voulaient plus me lâcher. Non d'ailleurs, il s'agirait plutôt de frelons qui dévorent ma peau inlassablement à coup de terribles piqures et qui s'imprègnent dans les tissus de ma peau en la perforant.

Mes yeux voudraient voir ce que beaucoup ont décidé d'ignorer, ils voudraient comprendre ce que cette étrange fille est. Après tout, qui est-elle de si insensée pour vouloir se suicider, tout abandonner par une simple envolée dans les eaux sombres ?

Suicider, un mot pour expliquer une mort, j'en exploserai presque de rire tant ça n'a aucun sens. Mais merde alors, on explique pas la mort, on la subit, essayez au moins de comprendre aussi ! Le mot mort, est fait pour les vivants ! Jamais, en tout cas je l'espère, un mort ne prononcera ce nom et si un jour un gaillard sort de sa tombe pour s'écrier "mort", je veux en être le premier informé ! Je voudrais que la mort n'ait pas de mot, qu'elle soit juste une idée un peu abstraite ou une odeur dérangeante, planant dans cet Univers ignoble, que le mot mort soit mort comme l'est la personne qui la subit... Juste par repect pour ceux qui on le courage d'encore vivre et ceux qui ont juste cessé d'être en vie.

Malgré le fait que mes mains me titillent à prendre une putain de photo dénonciatrice, toujours sans échanger un seul mot, l'inconnue et moi, nous nous toisons, nous regardons et luttons à contre courant contre nos propres pensées, tandis que le soleil s'éveille au travers d'un ciel encore sombre, sans faire plus attention que cela à ces deux jeunes adolescents que nous sommes dans ce bas-monde. Tant pis pour l'aube passée.

Soudain, l'inconnue du pont bouge et enfonce sa main dans la poche intérieure de sa veste en jean clair et mes yeux se plissent, suspicieux. Je me demande ce qu'elle va bien pouvoir sortir de son manteau, peut-être une matraque pour l'avoir devisagé ainsi ou bien son numéro de téléphone pour quelques échanges salaces que je ne lui refuserai peut-être pas...

Elle se débat un instant pour en sortir simplement un stylo noir et des post-it jaunes, empilés les uns sur les autres comme pour tenter de ressembler à une petite tour cubique. Cette simplicité touche quelque chose en moi que je ne connais pas encore bien, qui n'est pas vraiment une émotion ni une de mes constatations cocasses... C'est juste un stylo, un papier, quelques mots à gribouiller.

Elle commence alors à écrire les mots que sa bouche est incapable de prononcer.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant