Les blessures multiples que cachent beaucoup trop de monde

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A D A M

J'avoue être retourné au Pont, pour voir si Myla avait répondu à ma lettre... Mais rien.

Rien du tout et je suis déçu, j'ai beau m'enfoncer dans la tête, avec un clou vieux comme le monde, l'idée que je m'en fiche qu'elle ne réponde pas, je me mens. Je me mens d'un de ces mensonges qui tapissent la raison de néons fluorescents. Je me mens en ajoutant des pensées sur d'autres pensées débiles, qui tanguent et semblent s'abîmer à force de se chevaucher. Je tente, avec la connerie de mes gestes, de tromper mon âme bien plus habile que moi en cet instant.

J'ai adoré lui écrire, à cette fille semblant venir tout droit d'un putain d'outre temps troublant. Elle, je ne la comprends pas, avec ou sans photographie. Elle, je ne crois pas vouloir la comprendre, je souhaite juste la découvrir sous ses facettes semblant étranges.

Elle n'est pourtant pas parfaite, elle est... Blessure, le nom qui résonne dans l'abyme d'un de mes propres souvenirs. Et si elle est blessure, alors elle a forcément fait quelque chose de mal, non ? Tout ceux qui portent une pareille ouverture dans leur coeur ont obligatoirement fait du mal, non ? On ne se blesse pas si profondément en ne faisant rien, si ?

J'ai oublié, perdu avec le passé, la réponse des choses simples. Tout se complique, tout ne se concorde plus et se désaccorde, il y a plus de sens au sens, ni de vie à la vie. Les choses les plus quotidiennes prennent des tournures funestement tragiques et des habitudes nouvelles, bien douloureuses viennent remplacer les anciennes.

J'allume une cigarette de mes doigts un peu tremblants et crache toute ma fumée blanchâtre au monde toxique. Je marche sur une route connue par mon subconscient qui ne cesse de déverser sa peine et ses secrets sur moi. Le trottoir se dessine dans ses couleurs grisâtres et ses courbes brisées par les pneus des voitures passantes. Et la pluie s'emmêle à la grisaille du petit trajet. Une pluie douce qui pleure avec moi ma vie quotidienne qui s'écroule. Elle essuie mon visage et mes joues crasse d'humanité bestiale, elle crache sur moi son dégout et coule comme mes propres pleures sous mes yeux.

Je tente de protéger de ma main droite le petit bout de cigarette enflammée qui survit encore entre mes deux longs doigts.

J'espère que Rebecca est rentrée, à l'abri sous ses couvertures avec un merveilleux Aaron a ses côtés pour la protéger par son corps et de ses cheveux enflammés, brûlant les quelques gouttes d'eau qui osent s'approcher d'elle. Mon coeur se réchauffe un peu à cette image d'eux deux aimés et aimants, serrés l'un contre l'autre devant une série Netflix. Le monde les a réuni dans la catastrophe de leur vie, ils ont alors compris le sens d'un amour puissant, qui relie deux âmes en une seule et même. Ils se sont trouvés, ils se sont compris et depuis, impossible de s'arracher à cette indescriptible émotion qui, depuis, les connecte ensembles.

J'accélère le pas sous la pluie pressante qui accentue sa cadence comme pour tenter de mouiller la Terre entière par des larmes nuageuses, plus grosses de seconde en seconde. D'un côté je regrette mon empressement à vouloir quitter ce torrent de pleures naturels, de l'autre j'aimerais déjà être arrivé...

Dans mon parka gris qui aspire et laisse glisser à la fois toute cette pluie fracassante sur mon corps fracassé, je voute les épaules, plie la tête et fonce aussi vite que le peut ma raison qui me freine tant bien que mal pourtant.

Je m'arrête soudain, le souffle court, mes pensées en pagaille, flottant toutes à la surface de mon esprit. Ça n'est pas la raison qui me pousse à reculer, c'est la peur.

Oui, la terrible peur qui m'arrache les boyaux, qui les nouent en milliers de fois et les coupent en petits morceaux, qu'elle accroche ensuite doucement autour de ma magnifique nuque pour me pendre vivant. En même temps, pendre quelqu'un de mort n'a aucun sens et c'est un peu glauque...

Je l'entends, la terrible peur, doucement, lentement, distinctement chuchoter à mon oreille des mots terrifiants qui me font parfois reculer d'un bond. La peur, qui se cache sous mon lit, ses griffes longues sorties, son large sourire carnassier marqué sur sa figure sombre. Et elle attend la peur, de me voir soudain faible et douloureusement hanté pour refaire surface et tout gober sur son passage. Cette peur qui porte un nom bien malgré moi, qui est née de ce terrible nom...

J'inspire autant ma cigarette qu'il m'est possible et je recrache tout. Je dégueule la vie par la bouche en un souffle perdu qui tangue dans l'atmosphère de notre très chère Terre, avant de s'évanouir.

Les gouttes d'eau perlent sur mon visage et masquent ma pâleur par ses sombres nuages cachant tout le beau ciel bleu. Je désespère soudain de ne pas voir l'aube du lendemain si pareils nuages se dressent entre elle et moi...

Je jette le reste de cigarette mouillé par terre et reprends ma marche d'un pas plus vif, en essayant de prendre sur moi une fois de plus, d'invoquer un courage qui depuis longtemps n'est plus, d'espérer le revoir lui et pas un inconnu.

Enfin j'arrive, et comme à mon habitude, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il grêle et neige, que le monde entier soit contre moi dans ses intempéries les plus mortelles, je m'arrête. Je lis les lettres majuscules du panneau qui sont tous les jours marquées un peu plus dans mon esprit : Centre hospitalier de Purple Sunlight.

Je m'engouffre alors derrière les portes automatiques qui annoncent mon entrée dans la douleur, celle qui ne me quitte plus depuis qu'elle a trouvé sa place en moi.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant