Le même putain de chemin depuis trop longtemps

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A D A M

Deux heures de colle avec Ben Styl samedi matin... Franchement, je m'attendais à pire, bien pire comme punition.

Je m'ébouriffe un instant les cheveux pour cacher un peu mon visage, mes blessures à ces gens qui me bousculent et passent contre mon corps marchant au ralenti. Au milieu de la foule, je me presse lentement sur un chemin bien connu, mais qui n'est pas celui que j'emprunte pour rentrer chez moi.

La neige tombe depuis ce matin, elle a continué cet après-midi et a présent, se raréfie enfin. Entre temps, elle a complètement enseveli le goudron noir, si noir, si dégueulasse où des tonnes de chewing-gum s'entassent.

Mes baskets crissent à chacun de mes pas en écrasant la neige déjà en train de gêler, laissant quelques empruntes vivaces dans ce monde si furtif. Je me demande combien de temps le sol gardera les traces de mes pompes vielles comme le cosmos. Ces traces se feront sûrement écraser par d'autres pas enfoncés dans le blanc cailleux d'ici quelques secondes à peine. Des pas, de gens qui auront marché là, dans les miens, sans pourtant prendre la même direction que moi, je l'espère en tout cas.

Notre existence, résumée par quelques pas dans la poudre blanche des traces de l'hiver... C'est vrai quoi, comme nos empruntes, implantées dans la neige, nous voilà en vie, sur le chemin de notre avenir !

Et soudain on vous écrabouille, remplace vos pas, parfois douloureux et fatiguants, par d'autres pas qui ne vous appartiennent pas. Et on vous oublie dans ce monde remplis de trace d'une marche de la vie. Et au bout d'un certain temps, peut-être même immédiatement, on oublie que vous avez été là, puisqu'on ne vous voit plus, vous n'existez plus.

Vous disparaissez avant même que la neige ne fonde totalement. Pourtant vos empruntes sont là, quelque part sous tous ces pas qui se sont amusés à s'écraser les uns sur les autres et que la neige effacera, soit en continuant de tomber, soit en fondant jusqu'à ne plus laisser aucune trace. On oublie les gens, on passe sa vie à faire ça et la vie aussi passe son temps à oublier les gens.

Les mains dans mon fidèle parka gris, j'avance dans la petite foule qui m'entoure et je fixe la neige à mes pieds, je laisse le froid griffer un peu ma peau et les flocons qui osent encore tomber, se coller contre mes joues.

Je prends mon téléphone dans mes longues mains en pattes d'araignée et je clique sur Myla.

Mon cerveau semble marcher comme un automate, je lui écris quelque chose que je n'aurai jamais pu écrire, que, je crois n'avoir pas même pensé.

-J'ai la trouille, Myla...-

Je m'arrête alors au milieu des gens qui rouspètent face à mon brusque arrêt et la bousculade des personnes cherchant à me dépasser.

-Putain...

Je secoue la tête et efface ce que je viens juste de marquer en rangeant mon téléphone loin dans ma poche, d'une main maladroite.

Je ne comprends pas pourquoi j'ai failli lui envoyer que... Pourquoi j'ai failli lui envoyer ça... Je n'ai pas le choquotte, pourquoi j'aurai peur ? On ne peut pas avoir peur de ce qu'on a prit l'habitude d'avoir, de côtoyer même quand c'est douloureux et qu'on voudrait voir tout changer, si ? Non, bien sûr que non, ou peut être que si... Je n'arrive même plus à savoir si c'est vrai ou non, je suis complètement largué.

Comme pour me persuader que je suis plein de courage, je reprends ma marche d'un pas plus déterminé, plus rapide, je sens mon cœur dans ma poitrine briser ses chaînes et faire courir en moi son poison de la vie...

Et je m'arrête à nouveau, cette fois pas au milieu des gens mais face à un panneau, ce panneau. Je relis une fois encore ces mots en majuscules que je connais à présent absolument sur le bout de mes longs doigts. Je regarde, imagine les mots presque entièrement couvert d'une neige encore un peu poudreuse mais qui devient de plus en plus solide et glacée : Centre hospitalier de Purple Sunlight.

J'inspire, peut-être trop vite dans cet atmosphère que je déteste et je manque de m'étouffer, ou peut-être même que je suis en train de m'étouffer ? Je tousse un moment dans le froid de l'hiver en me demandant si je suis vraiment en train de m'étouffer à cause de ma brusque inspiration...

Les mots que j'ai écrit à Myla mais n'ai su envoyer me reviennent et je sais alors qu'ils sont réels, j'ai mon putain de trouillomètre à zéro sur ce chemin si habituel qu'il semble de plus en plus se transformer en un ignoble cauchemars.

Je me tourne vers le bâtiment et je m'engouffre dedans, l'odeur des désinfectants plein les narines, ma mâchoire se serre en espérant me voir supporter une fois de plus ce qui est intolérable dans la vie.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant