Désir de courir

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M Y L A

_Bonjouur_

-Pourquoi est-ce que je sens que je vais regretter cette promesse ? me demande Adam en dévisageant ma tenue de sport d'un œil peu enthousiaste et sans même prendre la peine de me saluer.

Je hausse les épaules et me tourne vers l'horizon qui s'éveille entre les gouttes de rosée et la brume matinale.

Le monde est calme ce matin, et presque tout givré. Je soupire et me sens bien. Vivante dans ce froid qui frigorifie mes doigts pourtant gantés. Une image de toi, si fugace qu'elle semble n'avoir jamais véritablement existée, s'impose en moi. Et le monde se colore de tristesse. J'essaie de penser à autre chose... Mais comment ne pas penser à toi chaque jour de nos misérables existences d'humains éphémères ?

-J'aurai dû écouter mon lit, sérieux. Il était si doux ce matin, Myla !

Adam brise ton souvenir en quelques mots et m'éveille à la réalité.

Il est six heure du matin. Nous avons donc bien une heure trente de course avant de rentrer chacun de son côté pour se doucher et se préparer au lycée.

Je me tourne vers lui, sort un post-it jaune et un stylo de ma veste et lui réponds.

_Oh, c'est vrai que, toi, Adam-qui-déteste-la-nuit, tu n'es j-a-m-a-i-s debout à cette heure du jour !_

-Myla, Myla...

Adam secoue la tête. Ses cheveux sombres rient avec le vent. Son bonnet, tout blanc, frissonne contre ses oreilles.

-Aujourd'hui mon lit avait quelque chose de très, très, trop attirant. J'étais bien, enroulé dans ma couette, au chaud, demandant à l'univers le pourquoi du comment de mes rêves chelous... Je sors alors dehors pour te faire plaisir, puis... BAM je me fais sauvagement agresser par le froid et après, par une folle qui veut absolument m'obliger à éliminer le kebab d'hier !

_Ça m'étonnerai que tu ais mangé un kebab hier... Parce que je doute fortement que toi et ton corps de spaghetti arriviez ne serait-ce qu'à le digérer..._

En lisant ce que je viens de lui écrire, Adam ouvre la bouche pour la refermer aussi rapidement. Il range le papier dans la poche de son parka gris, avant de lever la tête vers moi et de me dire :

-Mais je t'emmerde, Myla !

Malgré moi je souris dans le froid qui mordille ma peau et colore mes joues. Un petit rire. Presque rien mais qui secoue tout mon être.

Alors que je m'approche un peu plus d'Adam pour pouvoir tapoter sympathiquement son épaule de mes doigts, il fonce soudainement en courant loin derrière moi.

Surprise, je me retourne pour le voir trottiner à l'envers en m'observant, un sourire coincé aux lèvres que je suis capable de voir même d'où je me trouve.

-Alors, Myla chérie ? On court pas encore ?

À peine a-t-il prononcé ces mots, qu'il se prend le seul lampadaire présent près du pont et glisse tout contre le givre dans un suintement plaintif.

Je cours alors vers lui pour m'assurer qu'il n'est pas blessé, tout en étouffant un rire qui monte doucement dans ma gorge.

-Bordel, grogne-t-il en replaçant correctement son bonnet qui a glissé sur son front.

Une fois à sa hauteur, je secoue la tête en le regardant de haut, d'un regard amusé.

Je ne pense pas vraiment que l'on va réussir à courir une heure trente sans s'arrêter avec lui... D'ailleurs, courir une heure trente avec lui me paraît complètement impossible à présent.

-D'accord... Plus jamais je t'appelle Myla chérie, c'est trop dangereux.

Je tends la main pour l'aider à se relever mais il refuse mon aide et se redresse tout seul. Je crois que sa fierté a pris un coup.

Je le regarde un long moment, consternée, tandis qu'il épouste son bonnet blanc et son jogging noir.

Je ne crois pas l'avoir vu vêtu d'autres couleur que le blanc, le noir ou le gris... Et je n'arrive pas à savoir si cette subite constatation a de l'importance ou non...

Je ne me souviens plus vraiment de ce que tu aimais porter, mais je sais que toi, tu aimais les couleurs et tout ce qui pouvait briller. Tout ce qui était beau et semblaient respirer, d'une quelconque manière, la joie et le bonheur de la vie, tu l'aimais instantanément... Quelle étrangeté n'est-ce pas ? Quel paradoxe même !

-Bon, on va y aller un peu plus tranquille, dit Adam en se raclant la gorge.

Retrouvant mes esprits, j'approuve de la tête et le suis quand il recommence à courir.

-Au fait... dit-il alors que nous commençons tout juste à frapper le sol de nos jambes. Ça tient toujours cette rencontre entre Aaron, Rebecca et toi ?

Cette fois-ci, c'est moi qui m'arrête brusquement au milieu du verglas et du froid. Je manque de tomber à mon tour mais j'arrive à me stabiliser rapidement dans le froid mordant.

Il s'arrête et se tourne vers moi.

-Je... Mes parents partent ce week-end et du coup je leur ai demandé si je pouvais inviter Reb et Aaron pour qu'on dorment ensemble dans le salon, devant une série ou un truc du genre et... Tu peux venir. Mais t'es pas obligée d'accepter ! il fait une pause dans sa phrase et ses yeux se perdent un instant dans la neige gelée. Même si c'est sûr que je préférerais t'entendre me dire oui.

Voyant que j'hésite à répondre, il rit avant d'ajouter :

-En tout bien tout honneur bien sûr ! Va pas croire des trucs sales.

Je souris légèrement puis sors mon portable et je lui envoie un message.

_D'accord !
Il faudra juste que je demande l'autorisation à mon père et que tu m'envoies ton adresse par message._

Un véritable sourire étire ses lèvres quand il lit mon message. Puis, il lève la tête vers moi :

-Ça mérite un petit footing tout ça maintenant.

Je hoche la tête et avant qu'il ne se détourne de moi, je l'attrape doucement par le bras et lui envoie un second message.

_Ça t'embêterai si je venais également avec une amie ? Gwen, elle est hyper simpa !_

-Aucun problème, présente moi tes amis, je te présenterais les miens, me déclare Adam dans un clin d'œil complice avant que nous repartions courir.

Pour la première fois depuis que nous nous connaissons, Adam et moi quittons ensemble le pont. Pas chacun de notre côté mais ensemble. Et ça me fait quelque chose.

Notre abri rapetisse et lentement, disparaît de notre vue. Nous quittons le cocon et courons à la recherche d'un bonheur que l'on semble nous avoir pris.

Côte à côte, nos souffles recrachent soudain toute la fumée de nos jours malheureux. Et alors, il ne reste plus que le meilleur. Le meilleur de ce que nos esprits ont bien accepté de conserver, de créer en mémoire du pire à venir...

Et je crois que c'est à cet instant précis que j'ai compris que je tombais amoureuse de lui.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant