Aubade

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M Y L A

_Je ne sais pas vraiment danser..._

Ai-je écrit sur mon téléphone en le tendant à Adam.

Il resserre son emprise sur moi dans un sourire que je commence à connaître. Il range mon téléphone de force dans la poche de mon manteau.

Le fil des écouteurs relié à nous, pend dans le vide. Je le regarde se balader au rythme léger du vent au milieu du vide et de nos corps qui se touchent.

Je sens Adam près de mes cheveux emmêlés. Je regrette de ne pas avoir pris le temps de les brosser avant de m'enfuir dans la nuit. Je me demande alors pourquoi une telle pensée s'impose à moi...

-Moi non plus mais on s'en fou. Je veux penser à autre chose. Et puis, la Terre non plus ne sait pas danser. Elle sait juste tourner, tourner et encore tourner sur elle même.

Je m'accroche au corps robuste d'Adam. Il est si maigre que c'est à se demander s'il mange à sa faim.
J'ose à peine fixer ses yeux encore brillant de quelques larmes persistantes. À la place, j'observe avec inquiétude les éraflures, les bleus et les coups strillant son visage. Je ne fais aucun commentaire à ce sujet. J'attendrais qu'il m'en parle le premier... Toutefois, j'ai peur à l'idée qu'on lui ait fait autant de mal... Si c'est son père qui le bat et le frappe je ne suis pas certaine de pouvoir le tolérer... Ou si c'est à cause de cette justice dont il m'a parlé...

Un sourire malin glisse à la commissure de des lèvres d'Adam.

J'écoute ses mots respirer, vibrer dans sa poitrine et le faire vivre au travers de la réalité qui finit toujours par tout rattraper.

Et tu sais quoi ? J'aime ça. Sentir Adam me soutenir. Me sentir le soutenir. Nous voir si proche que chaque centimètre qui ne nous séparent pas, semblent nous attirer.

J'ai vu un Adam en colère. Un Adam qui ne veut plus respecter le monde... Ni les gens. Un Adam brisé aussi... Beaucoup trop de fois.

Aujourd'hui, ce matin, cette presque aube qui se reflète en nos âmes, je vois une autre facette de lui. La facette qui ne manque pas de vivre. La facette calme et douce qui apprend à aimer l'humanité.

-Myla...

Il hésite. Ses membres se crispent un maigre instant. Comme ayant peur de ma réponse. Il prend son courage à deux mains et me dit :

-Tournons pour le monde, Myla. Même si ça signifie tourner n'importe comment ! Faisons le, juste aujourd'hui, juste maintenant... S'il te plaît, j'en ai besoin.

Je pose alors mon front contre son torse pour observer ses pieds et tenter de ne pas les écraser par inadvertance.

Adam est si grand qu'il est obligé de tordre son corps en avant pour ne pas arracher les écouteurs de nos oreilles.

Et nous tournons, tanguons lentement sur un petit pont de pierre que tout le monde s'est empressé d'oublier. Je danse avec Adam. Cette personne même que je connais depuis seulement quelques jours... Je danse pour la première fois dans de pareilles circonstances. Et pour une fois, je me sens calme. Je me sens sereine et peut-être même un brin heureuse...

Un frisson transperce ma peau. La musique dévale et nous avale dans une transe musicale.

Dans cette parenthèse qui nous est offerte du temps, nous nous écrasons les orteils. Nous nous confondons en excuses stupides qui se perdent dans cette aube s'étalant infiniment. Sans pouvoir nous arrêter de danser, nous tournons et tanguons invisiblement. Avec toute la maladresse humaine.

Ce moment est un des plus doux de mon existence. Je respire Adam, imprégné de cette odeur de cigarette et de printemps qui m'est tout à fait nouvelle.

Je lève la tête et je vois qu'il me fixe. Ses cheveux glissent contre son front. Ses yeux brillent dans l'atmosphère imprégnée d'une sorte de puissance émotionnelle. Nos visages ne se sont jamais autant révélés l'un à l'autre qu'à présent.

À cet instant précis, je voudrais ouvrir la bouche. Je voudrais lui demander s'il sait que la vie est belle. S'il sait qu'elle n'est pas vide mais au contraire remplie ! Que la plupart du temps on oublie juste tout ce qui nous a un jour fait sourire, ce qui nous a comblé... J'aimerai lui jurer et lui promettre, avec toute la force de mon cœur, que son frère ira mieux. Qu'il sortira de l'hôpital et qu'ils seront à nouveau réunis ensemble. Heureux.

J'aimerai lui montrer par des mots, des gestes désespérés que le temps finit par guérir et que, peu importe les instants que cela nous prendra, on arrivera à survivre aux épreuves de la vie. On peut survivre, parce qu'on est humain. Que l'humain a le choix... Il a le choix s'il accepte de se le donner ! On est humain. Autant en profiter tant qu'on vit !

J'ouvre la bouche mais ne dit rien. La vie est là, contre nos corps anesthésiés par la musique.

La vie est là ! Elle respire en nous, sur notre peau et dans nos esprits. Dans nos doutes. Dans nos malheurs et nos moments de joie. Elle est là. Chaque instant. La vie qui sourit, fait mal et guéri. Elle est là, l'humanité !

Il est là, l'humain éphémère !

La musique coule dans mon âme et trouve sa place contre mon cœur. Adam suit le chemin sans même s'en rendre compte.

Je sens alors Adam comme se détacher de moi et ouvrir la bouche.

-Attenti...

À peine a-t-il le temps de parler que la glace contre laquelle nos pieds étaient posés nous fait glisser. J'entends le couinement de nos souliers avant de me rendre compte que nous sommes en train de chuter.

Je tombe et m'écorche à la vie. Une fois par terre, Adam éclate d'un rire que la nuit semble étouffer. Je ris à mon tour, plus doucement.

-Bon sang ! Chaque fois qu'on se voit on finit sur le cul on dirait bien, m'informe Adam en me remémorant notre première rencontre.

Je me lève. Je souris. J'écris sur mon téléphone.

Je lui envoie un message. Malgré moi, mes doigts tremblent, mais je suis heureuse d'avoir été capable d'envoyer un tel message.

Son téléphone vibre dans sa poche. Quand il le sort pour lire le message, mon cœur se serre.

_Comme tu m'as fait une révélation douloureuse, je vais t'en faire une.
J'ai perdu ma sœur, Rose...
Quand tu m'as vu sur le pont ce matin là, ça faisait exactement un an qu'elle était partie. Elle avait 18 ans... L'âge que j'ai..._

- J'suis... Désolé Myla.-

_Pourquoi, Adam ? Tu n'as pas à être désolé. Pas toi. _

Il hausse les épaules. Ramasse mon MP3 tombé.

-C'est ce que disent les gens quand ils compatissent...

_Mais je ne veux pas te voir compatir pour moi..._

-Compatir, c'est comprendre quand quelqu'un va mal. À quoi on sert si on est incapable d'éprouver la souffrance de l'autre ? Je peux essayer de te réconforter, Myla. Juste d'être là, pour toi quand ça va pas.

_Tu disais tout à l'heure que tu ne voulais pas que l'on te réconforte... MAIS tu veux me réconforter. Tu n'as pas de logique, Adam._

-Oui parce que j'sais pas encore si je le mérite... Pour ce que j'ai fait... Tout ce que j'ai fait... Mais toi tu le mérites, Myla. Tu le mérite plus que tout le monde. Plus que le monde. J'le sais.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant