Imperfections parfaites

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M Y L A

Traînant le bout de mes souliers jusqu'à chez moi, je ressasse les paroles d'Adam.

Je me demande si, comme semble le souhaiter le monde entier, je ne devrais pas accorder une chance à ma mère... Une toute petite. Juste le temps qu'elle s'en aille retrouver celui qu'elle aime plus que mon père. Plus qu'Apolline. Plus que moi. Et même plus que toi.

Dans un crissement que la neige balaye, j'arrête Frank juste devant la maison.

Mon téléphone vibre un instant contre ma poche. Et soudain, devant la porte d'entrée, ma sœur encore en pyjama pastèque est là. Son propre téléphone pendu à son oreille, ses sourcils froncés et concentrés.

Quand elle me voit, un soupire s'échappe d'entre ses lèvres.

-Bordel, Myla il est presque SEPT HEURE DU MATIN ! Où est-ce que tu peux bien être aller un SAMEDI ?! Et d'où tu fais du scooter quand il NEIGE ? Tu sais que tout est verglassé et que ça glisse ?!

Sans un mot je m'engouffre dans la chaleur de la maison. Je m'assois dans le canapé du salon, pose mon sac à mes pieds et sors un post-it où j'écris :

_Désolée je devais voir un ami._

Ma sœur s'assoie à son tour près de moi et, une fois qu'elle a lu mon mot, elle semble encore plus sceptique qu'auparavant. J'en profite pour retirer mes chaussures toutes trempées et boueuses.

-Un ami ? À cette heure-ci ? Tu me prends pour une blonde ou alors à cause de mes mèches roses, tu me prends pour une pétasse dingue de cette couleur et des licornes magiques en supplément ?

Je hausse les épaules. Apolline se tourne vers moi et me dit :

-Désolée d'avance de devoir te dire un truc pareil mais... À part le scooter que tu as glorieusement eu l'idée d'appeler Frank, je ne crois pas que tu ais d'ami de type masculin...

_Eh bien figure toi que si. Il s'appelle Adam si tu veux savoir... Et il déteste la nuit._

Ma sœur me lance un coup d'œil étrange.

-OK... Si à part ça il est clean et qu'il est bien, comme tu le dis si bien, juste un "ami", ça me va, moi.

J'affirme de la tête en enlevant le bonnet qui compressait mes cheveux noirs contre mon crâne.

Apolline se tortille soudain les mains. De ses yeux noisettes elle me fixe et me lance un sourire crispé.

-J'ai... Hum... Un truc à te dire qui n'a aucun rapport mais qui me tien beaucoup à cœur.

Je lui renvoie un doux sourire et serre affectueusement sa main dans la mienne pour lui donner un peu de courage. Ma gorge se serre parce que je sais que ce qu'elle va me dire sera important.

-Je... En fait, à cause de mes horaires au boulot, de tes heures de cours et tout le tralala quotidien, on s'est pas vraiment reparlé toi et moi depuis que maman a proposé que tu ailles voir, tu sais, un psychiatre...

Je fronce les sourcils. Je ne veux pas parler de ça. Ni même de ma mère et de toutes ses pensées qu'elle espère voir devenir réalité une fois qu'elle nous les aura imposées. Je commence à attraper mon stylo mais Apolline parle plus vite que je ne suis capable d'écrire.

-Je n'étais pas au courant de son idée, je te jure, elle en a parlé qu'à papa apparemment... Qui d'ailleurs n'était pas trop pour non plus mais tu le connais... Quand il s'agit de maman il s'écrase, surtout depuis qu'elle l'a quitté.

Elle se racle la gorge.

-Bref, ce que je voulais te dire c'est que... Je sais, tu vois, que je ne suis pas une super sœur. Cette sœur qui est censée être toujours là pour toi, à qui tu confies tout, tu pardonnes tout, tu... sa voix se brise. Je veux tellement te voir aller mieux, te voir à nouveau heureuse que j'ai oublié ce que TOI tu voulais. La manière dont TOI tu comptes surmonter tout ça. Dont tu as besoin de surmonter ça. Mais j'ai pensé qu'à moi en me disant que si je ramenais maman ici, j'irai mieux et donc logiquement, tu allais aller mieux aussi et que tout irait mieux à nouveau dans cette famille... Mais non. Parce que j'ai oublié que tout le monde est différent et qu'on ne réagit pas tous pareil face au deuil... J'espérais retrouver ma famille d'avant, tu vois ? Ma sœur d'avant... Sauf que c'est plus possible...

Elle prend sa tête entre ses mains et sanglote un peu tandis que, les larmes aux yeux je lui tapotte le dos en me rapprochant d'elle. Je pose ma tête contre son épaule qui tressaute et j'étouffe à mon tour un sanglot.

-Je m'en veux tellement Myla ! Elle allait mal, j'étais sa grande sœur et personne n'a rien pu faire pour elle ! J'aurai tellement voulu pouvoir apaiser et soigner ses douleurs !

Elle lève la tête et croise mon regard. Ses yeux si tristes et si abattus me percute.

-Pardonne moi si je m'y prends mal mais en fait, j'essaie de surmonter tout ça en essayant de t'aider tu vois ? T'aider parce que j'ai rien pu faire pour notre sœur, personne n'a rien pu... Et tu dois...

Je la prend dans mes bras tant elle me paraît en avoir besoin. Et nous pleurons un instant contre nos épaules.

-Je t'en prie, Marmotte, ne laisse pas la Myla que je connais si bien disparaître... J'ai besoin de toi. Et s'il te plaît, ne m'en veux pas pour tout ce que, en temps que grande sœur, je ne saurais jamais faire pour toi. Pardonne ce que je ne suis pas à cause de ces imperfections de grande sœur...

Ce matin là, la neige n'a pas été seule à tomber. Nos larmes, aussi amères soient-elles, ont également glissé. Certaines se sont cachées entre les pans du vieux canapé et se sont perdues dans leur acidité triste, avant de s'évaporer là où nul ne peut plus les dénigrer.

Une fois nos cœurs un peu plus allégés, Apolline s'est séparée de moi en me lançant un petit sourire.

Essuyant un petite trace salée étalée contre ma joue, j'ai enfin pu écrire plus vite que les mots de ma sœur.

_Je ne t'en veux pas tu sais... Je ne t'en ai jamais voulu !_

Je n'en veux à personne, si ce n'est à la vie pour ce qu'elle nous a prit.

Je ne t'en veux pas à toi non plus, tu sais.

Sur un autre post-it, je continue ce qu'il me tient à cœur de lui dire.

_Tu es ma sœur ! Et on va encore s'aimer, s'épauler et même se disputer ! Mais peu importe, on va tout surmonter ensemble. Alors merci d'être là, même si c'est maladroitement que tu es présente, ça me suffit, parce qu'au moins c'est toujours toi ! Je te veux comme tu es, une sœur imparfaitement parfaite._

Dans un sourire, elle remercie ces mots qui s'ouvrent sur mon âme et apaisent la sienne.

-Merci Marmotte...

Soudain, elle se lève et déclare en rejetant ses quelques mèches roses derrière ses épaules :

-Bon, c'est pas tout mais faut que j'aille m'habiller. Pas que je déteste ce magnifique pyjama pastèques, loin de là ! Mais on va dire qu'il est pas d'un glamour très recommandé pour sortir bosser !

Je lui rend un petit sourire avant de lui signifier que je vais également bientôt partir courir.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant