Quand la pluie tombe, les vieilles peurs resurgissent

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A D A M

Je me dirige enfin vers la sortie de ce bahu de merde en compagnie d'un Aaron triomphant sur son devoir de maths réussi avec exploi, qui n'en ai pas un puisqu'il les réussi tous à chaque fois, et une Rebecca torturant son petit ami pour qu'il lui livre les prochaines réponses du prochain contrôle. Et je me marre devant cette petite bataille absurde et pourtant fortement habituelle entre mes deux seuls amis.

-Un contrôle, c'est sacré ! Toutes les réponses ne se partagent pas ! s'exclame Aaron en levant ses mains en l'air, à deux doigts de m'en foutre une en pleine face.

-Eh, fais gaffe avec tes grands gestes ! je ricane en écartant sa main de mon visage.

Aaron me lance un oeil compatissant tandis que Rebacca plisse son nez de sorcière, prête à jetter un mauvais sort à quiconque s'oppose à elle. Ses joues sont pourpres comme le sang qui coule dans nos veines, les cous des rouges gorges chantonnants au printemps et le crépuscule tombant sur l'horizon.

-Ne suis-je donc pas plus sacrée qu'une petite éval de maths ?! Moi, Rebecca Beaupas, celle qui est censée t'avoir envoûté le cœur ?

Aaron hésite, ses cheveux courts semblent se dresser sur sa tête comme une horde de petits hérissons sauvages, prêts à se battre contre le danger des mots. Un coup d'oeil vers Rebecca et je le sais déjà vaincu par cette petite énergumène, élue muse de son coeur pour une durée aussi longue que le futur se poursuivra.

-Mais... Je t'ai déjà donné ceux de français et d'histoire il y a moins d'une semaine !

Je me tourne subitement vers Aaron, choqué par cette révélation outrageuse.

-Quoi ? T'as même pas voulu corriger ma disert en français !

Mon ami lève les yeux au ciel, l'air profondément exaspéré.

-Eh ! C'est pas marqué "Aide à tout temps et pour tout le monde" sur mon front ! se plaint-il.

Je m'arrête, me penche en avant dans sa direction et plisse les yeux, longuement, si longtemps que ses yeux commencent à s'écarquiller sur leur nuance verte, sombre comme les épis des sapins en hiver.

-Je sais pas trop, ces tâches de rousseurs ne forment pas le mot "Aide" au milieu de ton front, là ?

Pour cette blague nulle, il me lance un coup de poing dans les côtes. J'éclate de rire et avant qu'il n'ait pu m'en donner un deuxième, je rejoins Rebecca qui s'est arrêtée un peu plus loin, planté devant les portes du hall, ces portes même qui annonceront notre délivrancre.

Je peux déjà aisément humer ces ribambelles de belles saveurs sucrées et sauvages que la nature ne se lasse jamais de déverser autour d'elle, ainsi que l'air pur que le monde ne cesse de côtoyer, sans même y prêter ne serrait-ce qu'une seule once d'attention. Je peux sentir le parfum que m'offre l'extérieur de ces murs de bétons et de pierres décharnés de bonheur ou même d'un scrupule d'humanité...

Ça, cette présence de monstruosité au sein même de ce lycée et de tant d'autres, c'est parce que l'adolescence a tout bouffée, s'est cloitrée elle-même dans une prison éducative qu'à force, elle a bien finit par mériter, que j'ai bien fini par mériter.

Ce qui me sort de ma transe, c'est la main de Rebecca, serrant mon bras si fort que ses ongles noirs se plantent dans ma peau, autravers de mon parka. Je me tourne vers elle pour lui signaler qu'elle me fait mal. Mais Dieu, s'il le conscent bien sûr, qu'elle est pâle, je veux dire inhabituellement pâle !

Son visage... Une image vient se superposer à lui, celui d'une enfant, cachée sous un banc qui espère que le ciel ne lui pleure pas dessus. Cette face de gosse... que Rebecca ne quitte pas, une fois que les vieilles terreurs se réveillent en elle et lui dévore le coeur, comme de petites monstruosités de Satan pleines de dents.

Les cries et les pleures de cette môme de dix ans résonnent dans mes tympans encore plus vifs que s'ils étaient à nouveau réels. Je voudrais me boucher les oreilles, mais je suis certain que même en le faisant, cette petite voix résonnera toujours.

-S'il te plait aide moi ! gémissait cette pauvre gamine, tremblant jusqu'au bout des doigts.

-Quoi ? Qu'est que t'as ? m'entendis-je dire d'une voix de gosse hésitant dans la couroue des peurs de l'inconnu.

Je me souviens encore m'être approché d'elle, pas après pas, et m'être penché  de manière gauche sous le banc pour me retrouver à sa hauteur. Et je peux encore sentir ses mains froides emprisonner mes joues dans une étrainte désespérée.

-S'il te plaît je ne veux pas... Elle ne doit pas me faire mal ! Elle... C'est... Ne me laisse pas dehors avec ces gros nuages... ! Je t'en prie, je t'en prie !

Je lui ai saisi une des mains tremblante et je l'ai tiré de sous son banc.

-D'accord, d'accord... Tu... As une maison, quelque part ?

La petite tête de cheveux noirs ébroussaillés s'est secouée.

-Je l'ai perdu. Je devais en avoir une nouvelle mais... Perdue... Je suis partie, j'ai couru et je me suis perdue. J'ai peur maintenant. Et maintenant... Maintenant..., l'enfant a éclaté en pleure en cachant de sa main libre son visage.

-Tu veux rentrer chez toi ? ai-je tenté de terminer pour elle.

-Oui ! Mais dans le nouveau, pas avec elle ! s'est-elle exclamée en relevant la tête.

J'ai hoché la tête. Je me souviens ne pas avoir très bien compris ce qu'elle disait sur l'instant, je comprennais juste qu'elle avait besoin d'aide et que j'étais là.

-J'suis Adam et toi ?

-Rrr... Rebecca. J'ai peur des nuages... Ils vont pleuvoir du froid...

-Oui, moi non plus, tu sais, j'aime pas trop la pluie. Tu veux venir jouer chez moi, jusqu'à ce qu'on te retrouve ? J'ai des voitures de courses toutes jaunes dans ma chambre !

La petite Rebecca de dix ans a hoché la tête, pressée d'être à l'abri, loin de ce monde prêt à éclater sur sa tête.

Durant tout le trajet, elle n'a pu décrocher ses yeux du ciel et sa main fibrante de terreur sans nom, de la mienne.

Aaron, qui a sûrement senti que quelque chose n'allait pas, se retrouve tout d'un coup à ses côtés, l'appelant avec inquiétude par son prénom. Au fond, il sait ce qu'il ne va pas, il tente de la faire revenir du lieu passé où son esprit s'est enfermé. Lieu, que j'ose à peine imaginer tant le blanc s'est incrusté dans tous les pores de son visage, marquant sa peau dans une netteté presque exacte. Lieu, qu'elle nous a déjà décris sans réussi à y sortir tous les détails transcendants qu'une âme ne devrait pas avoir à supporter.

Quand je lève la tête, je vois la pluis, s'écraser contre les vitres des portes de l'entrée, ruisseler partout dans la cours et former, de ça et là, des formes floues et aqueuses. Je vois les gens courir, s'abriter sous leurs vêtements en espérant que l'eau ne s'y infiltre pas par mégarde. Ils sautent, marchent et courent à la fois sur ses marres sombres, qu'à force, la pluies agrandie et approfondie au rythme de son chant miséricordieux.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant