Flammes dans l'âme

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M Y L A

Je reste roulée en boule dans mon lit. Abattue par la douleur surgie du passé.

J'ai pensé que j'étais forte. Que j'avais réussi à vaincre toute cette horreur. Mais non. Tout revient à nouveau avec plus de puissance. Ma mère revient au travers de ma vie qui se réparait. Et tu es revenue avec elle. Des souvenirs aussi. En masse, qui surgissent de nul part et de toute part comme un gigantesque tsunami !

Ma vie s'écroule à nouveau, perdue par l'habitude détruite.

Tout me revient et je ne peux plus bouger. Je suis encore une fois tétanisée, incapable d'esquisser le moindre geste. Ma gorge est nouée et mon corps est froid. Si froid. Tellement froid ! Il grelotte sa peine et tente par des spasmes terrifiants de te sortir de ma tête.

Je resserre ma couette autour de mon corps en fermant fort les paupières pour voir autre chose que cette chambre chaotique élue domicile.

On toque soudain à la porte. Mes tremblements cessent. Je me cache sous la couverture. Je ne veux voir personne. Peux pas. Impossible. Pas la force.

-Soeurette... la poignée se tourne, le bruit de l'interrupteur se déclanche.

Je relève la tête dans sa direction et soupire dans une mélancolie égale à celle où se noie encore en cet instant mon cœur.

Apolline approche. Elle porte sur son visage, la marque de l'inquiétude mêlée du remord. Ma sœur se mord la lèvre inférieure en fixant l'assiette qu'elle tient dans ses mains.

-T'es pas venue manger... Alors je t'apporte ta croque-madame !

Un minuscule sourire esquisse ma bouche. Quand nous étions enfants. Des innocentes. De juvéniles pouponnes, un croque-monsieur devenait croque-madame quand un œuf était posé sur la tête du pain. Comme un vulgaire couvre-chef écrasé. Depuis, malgré les années écoulées, le monde changé et écroulé, croque-madame est resté.

Je suis certaine qu'Apolline n'a pas choisi de m'apporter ce plat par hasard. Elle cherche à se faire pardonner pour ses gestes parfois disproportionnés. Elle cherche juste à m'aider et je la déteste pour ça. Et l'aime pour ça.

J'attrape un post-it vert trainant sur ma table de chevet et écrit :

_Merci_

Apolline s'assoit. Mon lit soupire sous son poids, grognon de devoir supporter une personne supplémentaire.

-Je suis désolée, tu sais. Je pensais bien faire en amenant maman ici. Je pense que j'ai bien fait.

Je hausse les épaules et arrache un bout de pain pour le grignoter contre ma bouche.

-Écoute Marmotte, quand mon vieux surnom épique de l'enfance resurgit entre ses lèvres, je plante mes yeux dans ceux de ma sœur. Tu ne peux pas continuer comme ça. Tu as besoin d'aide. Maman peut aider.

Je secoue la tête. Je reprends un post-it vert trainant là, près de mon lit parmi les oubliés du décor.

_Je ne vois pas comment.
Je ne vois pas pourquoi, pourquoi maintenant._

Apolline se met en colère, comme souvent. Ses cheveux, parsemés de douces mèches rosées, s'ébouriffent à la manière d'un lion près à rugir. D'une lionne pour l'occasion.

-Et bah pour ta gouverne, tu n'es pas la seule à avoir souffert dans l'histoire. Maman aussi est concernée ! Toute cette putain de famille l'est, nom de Dieu !

Je baisse les yeux sur le croque-madame et remontre le papier à ma soeur. Elle n'a pas répondu à mes questions. Elle n'a fait que tenter de gratter du temps pour mieux me toucher en plein coeur.

Ma soeur essaie de se calmer par plusieurs inspirations. Au bout de quelques instants, elle y arrive.

Un contraste me saute brusquement dessus dans une intempérie violente, incapable de s'arracher à moi. Elle s'empare de moi et me secoue dans tout les sens pour tenter de m'éveiller à elle.

Apolline et sa colère font bonne alliance. Elles se comprennent, connaissent les limites qu'elles ne doivent pas dépasser et finissent par vite s'apaiser.

Mais avec Adam, c'est une colère constante qui, plus elle passe de temps dans ce corps tout vif de secrets bien enfouis, plus elle s'enflamme et dévaste Adam. Il ne peut pas arrêter sa rage, pas même à l'écrit. Jamais. Elle bouillonne toujours en lui, prête à surgir et à le terrasser, à le bruler vivant dans ses propres Enfers. Son âme se consume par le plus terrible des feux, ceux qui ne se voient que dans l'âme, ceux qui s'embrasent en crépitant de rages souveraines et en ne laissant que de la fumée noire derrière elles.

Et la colère l'enflamme sans arrêt. Elle souhaite ne voir de lui qu'un petit tas de cendre froid dans la mort. Adam a beau lutter, ce brasier qui l'habite ne peut plus que progresser. Lentement. Méthodiquement... Il finit par tout dévorer.

Apolline pose ses mains sur les miennes.

-Maman est quelqu'un de bien. Elle a juste eu besoin de temps et de recule. Si tu apprenais à lui faire confiance à nouveau, tout serait peut-être différent. Alors, comment ? Juste par sa présence maternelle. Pourquoi maintenant ? Parcequ'il a fallu qu'elle accepte. Maintenant elle est prête et elle va tous nous aider.

J'enlève mes mains de celles de ma soeur. La douleur en moi se réveille à nouveau, sort de sa transe et vient transpercer mes cellules. Une par une. Je comprends son croque-madame. Je comprends cet ancien surnom, Marmotte utilisé pathétiquement dans cette chambre.

Il y a dans ces moments tacites où la réalité nous revient. Dans ces moments que l'on pensait comprendre, un autre sens qui vient à nous. Qui nous font bousculer sans que rien ne le gêne.

Apolline, dans ses gestes de confiance, ne fait que tenter de m'amadouer pour que j'accepte enfin la présence de cette femme qui a fuit. Fuit quand la vie devenait difficile.

Je relève la tête pour faire face aux yeux transcendants de ma soeur. La musique me manque à nouveau. Je n'ai plus qu'une seule envie : être seule avec la mélopée de moments volés.

_Elle n'est pas seulement partie Apolline... Elle s'est remariée et a laissé seul notre père.
Tu oses dire qu'elle peut aider sous prétexte qu'elle est notre mère ?
Si c'est notre mère, où était-elle durant toute cette année ?
Nous aussi nous nous sommes reconstruit, mais à sa différence, nous nous sommes unis, comme une famille doit l'être. Aucun de nous n'a fuit sous prétexte que la vie était intolérable_

Quand je pose enfin mon crayon et que je lui rends ce papier vert rempli entièrement de ma fine écriture, la vision entière d'Apolline me fait mal.

Ses cernes que le travail lui impose presque dans sa volonté de réussite rendent son visage plus sombre. Ses mèches, pour la plupart teintes de rose, tentent d'oublier celle qu'a un jour été Apolline pour toi. Ses yeux, presque froids et insipides, ont appris à encaisser la douleur à force de la côtoyer. Tout en elle montre comme la vie l'a rendue forte lors de ton absence.

Alors pourquoi moi, ai-je l'impression d'être toujours autant brisée ?

Apolline, après avoir lu ma réponse, tresaille comme un merle prit en faute. Elle hausse les épaules comme si tout devenait versatile.

-Parfois les moments durs séparent les gens. D'autres fois elle les unis. C'est tout.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant