Tu sais

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M Y L A

Essoufflée, j'avale d'une traite le jus d'orange que je viens de piquer du frigo. Si bien, que le froid me monte vite à la tête et m'arrache une grimace.

-Bonjour Myla !

Je me tourne et aperçois mon père.

Souriant. Presque content. Il me regarde un moment dans ma tenue de sport, ruisselante de sueur.

Je lève la main en guise de salutation.

-Ta sœur est déjà partie bosser ?

Je fronce les sourcils et secoue la tête. Sur un post-it, je marque :

_On est dimanche, papa. Elle doit être en train de dormir._

-Ah... Oui. Je me pensais samedi... Désolé je suis un peu fatigué en ce moment, tente de rire mon père en frottant sa vieille barbe grisonnante.

Je souris et lui fais signe que ce n'est pas grave. Il avance donc dans la cuisine pour allumer la petite machine à café.

-Alors, ton jogging matinal s'est bien passé ? me demande-il en fixant d'un œil noir la machine, le temps qu'elle daigne à s'allumer.

J'affirme de la tête en regardant mon père et sa petite routine du dimanche matin.

Aujourd'hui, après avoir vu Adam sur le pont comme à l'accoutumé, j'ai énormément forcé. J'ai couru beaucoup plus longtemps que je ne le fait d'habitude.

Sentir mes pieds frapper le sol et le vent gonfler mes cheveux m'a fait le plus grand bien ! La musique qui m'entrainait dans ce monde loin du réel, ce monde qui n'appartient qu'à moi... C'était magique ! Je me suis sentie libre avec moi même, loin de mes problèmes et des souvenirs de ta douleur. J'ai réussi à aller jusqu'au village voisin du notre... Je me soupçonne donc d'avoir fait une bonne vingtaine de kilomètres de course... Et c'était si vivifiant !

Une fois la machine à café en marche, mon père s'approche du frigo et je recule donc pour lui laisser la place. Nos épaules se frôlent.

C'est à cet instant qu'il se tourne vers moi en riant.

-Ouf ! Tu sais que je t'aime Myla mais en tant que géniteur, je dois t'avouer que tu refoules le bouc à des kilomètres !

Je lève les yeux au ciel et tire la langue en me reservant en jus d'orange.

Ne trouvant rien dans le frigo, mon père soupire et le referme. Il finit par attraper quelques viennoiseries qu'Apolline est allée chercher hier. Une fois son petit déjeuner en main, il s'installe à la table de la cuisine.

-Allez, viens t'asseoir, ne laisse pas ton pauvre père manger tout seul, dit-il en me regardant avec douceur et affection.

Je décide donc de m'assoir en face de lui. Mon verre de jus d'orange vide en main, je regarde la brume de condensation qui s'est déposée sur le verre, tandis que mon père boit son café en croquant dans un croissant.

_Es-tu sûr de vouloir la présence d'un bouc à tes côtés ?_

-Seulement si le bouc en question me promet une bonne douche avec beaucoup, beaucoup de savon !

_Promis. J'utiliserais même celui qu'Apolline adore : pamplemousse vanillé au lait de coco._

Mon père lève les yeux au ciel d'un air amusé.

-Je ne comprendrai jamais comment elle peut aimer une odeur si... Insolite on va dire.

Je décroche un petit sourire. Les conversations entre mon père et moi ont toujours été plus limpides qu'avec ma mère... Même avant ton départ si subit et le fait qu'il soit un peu moins présent pour moi depuis l'année dernière.

Il m'a toujours mieux compris et plus écouté que ma propre mère. Peut-être est-ce parce que, mentalement, nous avons plus de choses en commun qu'avec elle... Je ne sais pas vraiment. L'un de nos point commun par exemple, est cette incapacité à comprendre les goûts si singuliers de ma sœur pour les parfums et les shampooing. Cela nous a toujours énormément amusé... Comme quoi tout ne change pas forcément en fin de compte.

Je regarde mon si gentil père qui n'a rien demandé à la vie et qui pourtant, a tout subit. Je le regarde et j'ai à nouveau peur qu'il finisse seul ses vieux jours. Ça me fait peur parce que je l'aime trop, qu'il n'a pas le droit de subir la solitude. Il y a trop de bonté dans son cœur pour que personne ne veuille prendre soin de mon père, comme lui-même sait si justement prendre soin des autres...

Ma propre mère l'a abandonné et laissé seul avec ses deux filles et tous ses sentiments pour elle qui, je le soupçonne fortement, lui collent encore à la peau sans qu'il puisse s'en défaire...

Des miettes tombent dans sa tasse. Je finis par me décider à lui écrire ce qui me taraude depuis un moment déjà.

_Papa, tu aimes encore maman ?_

En lisant mon message, mon père pose son croissant sur la table et me regarde avec un petit sourire triste en coin.

-Tu sais... Enfin non pas encore et j'espère pour toi jamais mais... C'est un peu difficile de ne plus avoir aucun sentiment pour quelqu'un que l'on a aimé pendant de longues années.

_Elle n'a pas eu trop de difficultés, elle..._

Mon père se tortille que sa chaise.

-C'est différent pour ta mère. J'imagine... Oui, j'imagine qu'elle aime d'avantage Philippe...

_Ce n'est pas juste... Comment peut-on ne pas t'aimer, TOI, au delà du possible ? Comment est-ce possible après tout ce que tu fais toujours pour tout le monde ?!_

Il pose sa main sur la mienne et me la serre affectueusement. Je tombe dans l'incompréhension.

-Tu sais, l'amour est quelque chose d'assez compliqué, que l'on a du mal à expliquer et qui peut arriver comme ça ! il claque des doigts pour illustrer ses propos. Parfois, il arrive que certaines relations évoluent et se développent dans certains moment... Compliqués, tu vois. C'est ce qui est arrivé à ta mère et son nouveau mari.

Il se tait un moment avant de me sourire et de m'avouer :

-Tu sais quand... Enfin l'année dernière, je n'ai pas été d'un grand soutien pour ta mère. J'ai mal réagit et elle a trouvé du réconfort auprès d'une personne plus apte que moi à s'occuper d'elle... À la comprendre et à la soutenir.

Il se tait un moment avant d'ajouter subitement :

-Ne lui en veux pas d'être partie, Myla.

_Je ne lui en veux pas._

Mon père me lance un regard qui en dit plus que ce qu'il ne pense.

-S'il y a bien une chose que tu tiens énormément de moi, Myla, c'est ton incapacité à mentir et à cacher ce que tu ressens.

Il tapote ma main en signe de compassion pour ce manque de talent de notre part.

_Tu ne lui en veux pas, toi ?_

-Non, elle a choisi le meilleur pour elle. Je n'aurais pas voulu qu'elle finisse sa vie avec moi alors qu'elle n'éprouve plus les mêmes choses qu'avant.

_Et malgré cela, tu l'aimes encore et ne cherche personne d'autre pour s'occuper de toi. Pour t'aimer comme toi tu aimes._

Mon père grimace.

-Comme je te l'ai dis, l'amour est un sentiment un peu compliqué. Mais en tant qu'ado tu dois être au courant, me répond-il en me faisant un clin d'œil et en croquant dans son croissant.

Je lève les yeux au ciel d'un air excédé.

Je ne sais pas pourquoi, mais tout d'un coup surgit dans mon esprit, l'image d'Adam, assis contre les pierres du pont.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant