Grondement de tonnerre perforant les rétines

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A D A M

-Je suis désolée les gars... C'était involontaire, cette chute, s'excuse Rebecca en sirotant un verre d'eau.

-Se péter la gueule, se retrouver avec une bosse de dix-huit mètres sur la tête... J'espère bien que c'était involontaire, dis-je dans un sourire qui me vaut un coup de coude de la part d'Aaron.

Son regard noir me confirme la tristesse qui lui grille les méninges et les regrets qui brisent son cœur. Ceux de ne pouvoir rien faire face à la phobie de celle qu'il aime plus que la vie elle-même.

J'ai envie de prendre en photo ce mélange de sentiments, vouloir les contempler et montrer à Aaron qu'il est peut-être tous ces tourments mais qu'il est aussi un de ces dieux grecs. Pas physiquement, non ça on en est loin avec son allure d'homme des cavernes, mais Aaron a la valeur de ce qu'est l'être humain, ce que l'on appelle aujourd'hui l'altruisme, peu de gens de nos jours ont cette qualité.

Mais je n'esquisse pas un mouvement, parceque ce n'est pas le moment, mes amis ont besoins de soutiens pas de photos stupides présentant l'humanité dans ses moindres petits traits plaisants ou dégeulasses.

-Vous voulez aussi un verre d'eau ou autre chose les gars ?

-Non merci Olivier, répond poliment le bien élevé Aaron.

Le père adoptif de Reb se tourne vers moi, attendant ma réponse. Je fais tomber les pieds avant de la chaise que je balançais dans le vide depuis tout à l'heure et, avec mon plus beau sourire charmeur demande :

-Boire le calice de vos lèvres, est-ce que c'est possible ?

Tout le monde dans cette maison sait que je plaisante, pourtant comme je m'y attendais Rebecca s'ébroue comme un Centaure mécontent.

-Je vais te faire boire de la pisse de chat plutôt, tu vas rien capter.

Je grimace, mes lèvres se tordant dans une moue amusante qui fait éclater de rire Aaron.

-Une prochaine fois alors ?

Olivier secoue la tête en levant haut les yeux au ciel, accédé par mon humour sarcastique parfois malaisant.

-Peut-être le jour où il s'intéressera à quelqu'un d'autre que moi ? me réponds Charles en tendant un deuxième verre d'eau à sa fille adoptive.

-C'est à dire jamais, ricane Olivier en haussant les épaules.

-Merci, dit haut et fort Rebecca pour bien me faire rentrer le message dans la tête.

Je lève les mains en l'air m'avouant vaincu devant cette entraide aussi solide que du roc, avec quelques fissures, ne le cachons pas mais imbrisables depuis le temps.

Charles fronce soudain ses énormes sourcils de trois kilomètres d'épaisseur en fixant sa montre, avant de se retourner vers moi l'air hésitant.

-Ton père... veut que tu sois rentré pour quelle heure, Adam ?

-Que tout ce qu'il veut aille se faire foutre, je ris en fixant le visage encore pâle de mon amie d'enfance, allongée sur ce même canapé où tant de fois par le passé il s'est transformé en tente.

Tout, chaque pièce et petit recoin secret sont des moments joyeux de l'enfance, de l'insouciance qu'il y a longtemps j'ai perdu. Je suis surpris par moi-même de la puissance que le moi enfant avait d'imaginer des mondes inexistants, de ne pas s'occuper du réel et de laisser les grandes personnes avec leurs problèmes.

-Adam, gronde d'une voix grave Olivier, les cheveux châtains lissés contre son crâne. On connaît ton père, tu vas avoir des problèmes si tu ne rentres pas.

-Les problèmes, je les affronte. Je ne les fuis pas.

-Rentres chez toi tout de suite alors avant qu'ils ne s'agravent et ne deviennent impossibles à affronter, tranche finalement la seule voix féminine de cette maison, celle qui me connaît trop et que j'en voudrais presque pour ça.

Rebecca et moi échangeons un regard dans la couleur encore ivoire de son visage. Je ne lâche pas ses yeux grisés de vue, je sais qu'elle ne veut pas qu'une dispute éclate par sa faute entre mon père et moi, elle sait à quel point tout cela peu vite devenir... explosif entre nous deux. Je soupire et frotte mes cheveux bruns d'une main rèche, presque saoulé à l'idée de mon couvre-feu à respecter.

-Il comprendra que je reste pour toi. Il suffit que je lui explique que tu as eu une nouvelle crise de panique...

-Non, Adam. Il ne comprendra pas, pas depuis quelque temps. Tu le sais.

Bien sûr que je le sais, j'espère juste gagner du temps pour ne pas me retrouver face à la tête de cocker enragée de mon pseudo-géniteur.

-Je vais rester avec elle, intervient Aaron. Je t'enverrai des messages toutes les demies-heures pour te raconter un peu comment elle va.

Nous échangeons un regard entendu, c'est Aaron, le petit copain qui doit rester, pas l'ami d'enfance avec sa famille toute pourrie.

-Vous vous êtes tous légués contre moi ou comment ça se passe ? je soupire en me levant pour me retrouver au milieu du salon familial, luttant contre mes muscles crispés et mon monstre qui gratte et se nique les griffes contre mes vêtements en espérant pouvoir entrer en moi.

-Je ne veux pas que tu ais des ennuies par ma faute, alors casses toi d'ici, souffle fébrilement Rebecca en fixant, allongée sur le canapé, le plafond d'un air absent, je sais qu'elle écoute le tonnerre et la pluie s'unir dehors contre elle.

-Tu me mets à la porte alors ?

Elle rit et fait rouler ses petits yeux dans leur orbite.

-Non. J'empêche ton père de trouver une nouvelle excuse pour te punir.

-T'inquiète Ad et bonne chance avec ton père, confirme Aaron.

Je sais qu'ils ont raison, que je n'ai pas le choix et que je dois plier face à tout, ou presque, ce que mon père m'oblige à devoir respecter. Il n'empêche que je déteste ça, l'obligation, la soumission de pensées puériles qui me donne envie de gerber. Je voudrais ne jamais rentrer chez moi, vivre chez Reb ou Aaron, fuir mon père et quitter cette ville de merde.

Mais tout ce que je quitte, c'est ma bonne humeur que je décide de laisser dans cette maison de joie, de paix et de sérénité que je rêve tant.

-Je vais te raccompagner chez toi, déclare Charles.

-Pas la peine c'est juste à côté.

Et je pars avant que quiconque n'ait pu réagir, marchant droit vers cet Enfer personnel que je suis prédestiné à ne délaisser qu'à mes dix-huit ans.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant