Le moment de lucidité qui revient et puis s'en va

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A D A M

-Pourquoi es-tu tout trempé ?

-Parce que la neige fond quand on rentre dans un lieu où il fait chaud.

Gabriel fronce les sourcils d'un air profondément perdu, comme ne comprennant pas ce que je viens juste de lui dire.

-Il ne neige pas en été...

-On est pas en été, mec. Je te l'ai déjà dit. C'est l'hiver.

-Hiver, prononce-t-il sur le bout de ses lèvres un peu sèches.

-Oui. Noël et le nouvel an sont passés il y a quelques semaines déjà. C'était triste et tu manquais...

Il me regarde un moment et c'est comme si tout était vide et qu'il n'y avait plus rien, pas une émotion, pas un sentiment qui ressurgit en lui. Tout est froid dans ses yeux ressemblant tellement à ceux de notre mère. Je m'efforce de lui offrir un sourire, comme pour le rassurer, le faire remonter à la surface de la réalité, lui signifier que tout va bien alors que rien ne va plus. Et soudain, aussi fugacement que cet échange de regards a duré, Gabriel replonge dans une contemplation assidue de ses mains.

Je me racle alors la gorge pour me reprendre et ne pas me laisser submerger par cette révolte, ce besoin de savoir pourquoi il a fait ça... Pourquoi il nous a fait ça, pourquoi elle t'a traité comme de la merde.

-Papa a enfin accepté que je te rende visite un peu plus souvent. En fait il a surtout accepté que je te rende visite tout court, dis-je avec un sourire narquois.

-Ils me les font avaler de force, me répond-il.

Ne comprennant pas de quoi il me parle exactement parce que ça n'a rien à voir avec ce que je viens de dire, je l'interroge. Alors, il relève la tête vers moi pour me dire d'un voix calme et certaine de la véracité des ses paroles :

-Les mouchards ! Ceux qui me rendent pâteux et qui m'empêche de voir ma douce Agathe. Agathe n'aime pas ça, elle en a peur je crois, alors elle disparaît, se cache, trouve un abri loin... Elle vient de moins en moins souvent. Ça fait mal...

-Ce sont des médicaments pas des mouchards qu'ils te donnent...

Un éclair de lucidité s'empare de lui, ses yeux s'écarquillent, une douleur remonte jusqu'à ses pupilles et pendant juste un petit instant, il me voit. Mon cœur loupe quelques battements pour laisser entrer l'espoir qui chuchote qu'on la laisse enfin passer.

-Ah... Oui c'est vrai c'est ce que l'infirmier a dit...

Je saisi l'occasion, cette prise de conscience si rare chez lui pour enfin lui parler, comme dans le passé il nous est arrivé de discuter :

-Gab... mec, j'ai peur pour toi. Tu sais je m'en fous si tu dois prendre des médocs pour aller mieux, si tu n'es plus totalement le même qu'avant mais je t'en prie, rentre ! Reviens ! T'imaginer loin des personnes qui tiennent réellement à toi, te savoir malade, encore enfermé là avec l'interdiction de sortir, c'est...

Je secoue la tête, perdu et incapable de finir cette foutue phrase qui ne mérite pas d'avoir de fin.

-Je... Je vais faire ce que je peux mais la vie, hélas, ne rend pas toute chose simple, simplet, simpliste... me dit-il, plus à lui même qu'à moi. Tout s'arrange toujours...

Je veux parler mais je m'étrangle avec mes propres mots, j'en cherche d'autres, secoue la tête et finis par demander :

-Pourquoi, Gabriel ? Pourquoi t'as touché à la drogue ? Pourquoi tu l'as aimé elle, alors qu'elle te harcelait et te détestait ?

Mais c'est trop tard, son moment de lucidité l'a déjà replongé dans un mutisme où tout est froid en son être et ses lèvres se sont gelées pour ne plus être capables de discuter.

Même si je sais qu'il ne m'écoute pas, je chuchote :

-Je suis désolé t'sais. Si j'avais été un peu plus là pour toi... Si je t'avais un peu plus soutenu, que j'avais tenté d'arrêter ton harcèlement avant, que j'avais pas tenté de lui casser le gueule, peut-être que tout aurait été différent... Désolé.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant