M Y L A
La pièce dans laquelle je me trouve est étrange dans sa familiarité.
Je la connais, pour presque y être assise tous les jours. Et pourtant, je ne la connais pas véritablement. Qu'est-ce qu'il peut bien se cacher dernière cette horloge ronde fixée au tableau, restée figée sur 9:25 ? Celle-là même, bloquée dans son temps pour une raison qu'il m'est étrange d'imaginer.
Que se passait-il exactement ici, quand ces aiguilles se sont arrêtées ? Peut-être que des élèves s'acharnaient sur leur rédaction. Peut-être qu'un professeur hurlait sur ses élèves. Peut-être que tout était calme et silencieux. Ou peut-être que tout était aussi identique qu'à présent.
S'est-elle stoppée juste pour marquer le temps ? Ou pour nous montrer que, même si elle cesse d'agir, le monde lui ne s'arrête pas et continue de vivre ?
Tant d'interrogations pour une simple horloge brisée dans son temps...
Et ce tableau noir qui pleure sans cesse des lettres blanches ? Que cherche-t-il à masquer dans la beauté de son obscurité transcendante ?
Ce tableau qui s'exprime par des mots, de grandes lettres de craies que les gens du monde se sont amusés à marquer. Que représente véritablement ces limites du noir ? Et ces profondeurs du blanc ? Que veut nous dire ce rectangle sombre qui n'a jamais été complété par des mots qui lui sont propres... Mais toujours par cette main humaine ayant comme but de le rendre un peu plus pâle ?
L'esprit quelque peu ailleurs, rêvant d'une musique imaginaire au rythme du tic tac de l'horloge éteinte et aux blancs et noirs des touches d'un piano se confondant au tableau, je décide de revenir à mon cours. D'oublier l'adrénaline des courses folles.
Je regarde mon professeur de français s'extasier sur un poème.
-Et oui les jeunes, Verlaine ne nous présente pas seulement son rêve ! Il nous le fait vivre par son irréalisme !
Ses cheveux bruns et ses grosses lunettes rectangles semblent fous. Presque possédés par la littérature. De la sueur glisse sur ses lunettes, sous ses gestes brusques cherchant à nous faire réagir.
Il se tourne vers Gwen dans un bond quelque peu disgracieux. Il lui demande, le front plissé par l'attention minutieuse :
-Gwendoline ? Veux-tu bien lire le dernier tercet ?
Gwen se racle la gorge et me lance un coup d'oeil. Elle est dégoûté d'avoir été choisie parmi tous les élèves de la classe. Je lui donne un coup d'épaule pour l'encourager. Ses petits yeux bleus se posent sur le poème.
"Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues."Un long frissons coule et pleure le long de mon dos.
Il s'étend jusque sur mes bras et plaque sur moi sa froideur mortelle. Je ne sais pas pourquoi je réagis ainsi. Je ne sais pas. Sais pas.
Mes yeux restent cloîtrés entre les mots. Ils relisent la strophe une fois. Puis deux et trois et dix fois. Dans ma tête, ce n'est plus la voix de Gwen qui les récite, ni même mon professeur. C'est la tienne. Encore et encore.
-Bien. Très bien qui peut me dire de quoi parle cette très belle strophe ? demande, toujours fasciné par le poème, mon professeur.
Une douleur surgie tandis que ta voix continue de chanter les mots. J'ai l'impression que cette voix... Ta voix n'est plus tout à fait la même... Comme si elle s'était légèrement modifiée avec le temps. Et je n'arrive pas à savoir ce qui cloche dans ta voix.
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L'être de l'Aube
Fiksi RemajaIl s'est tellement voilé la face qu'il ne sais plus ce qu'il est. Il a cherché, encore et encore ce que les autres lui cachaient, mais tellement, qu'il en a oublié de se trouver. Il n'est plus rien qu'une enveloppe vide qui résonne, seule, per...