Le jour peut être sombre comme la nuit

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A D A M

-Le jour peut être aussi sombre que la nuit, me chuchote mon frère.

Je fronce les sourcils parce que je n'arrive jamais à comprendre quand il s'en va comme ça, dans ses étranges délires et dans ses philosophies basses.

-Ouais, si de gros nuages se mettent pile devant le soleil.

-Non... Ça, ça rend le monde tout gris, pas noir comme la nuit, me contredit-il en regardant ses doigts s'entortiller entre eux.

Je lève les mains en l'air en signe d'abandon, mais je pense soudain à Aaron et à ses passions pour l'infiniement grand et alors je renchéri :

-Ok... Si y a une éclipse alors ?

-Ou peut-être simplement est-ce à cause de nous ? déclare-t-il en me regardant, les yeux pétillants comme s'il venait de découvrir la vérité ultime.

-Quoi les éclipses ? je ris franchement. T'inquiète pas pour ça, la lune a même pas besoin de notre aide.

-Mais non ! Gabriel se renfrogne dans son siège et secoue catégoriquement la tête. Et si c'était nous et nos pensées, nos états d'esprits, nos problèmes, nos âmes torturées ? Si, en fait, le monde était lumineux et même multicolore mais que nos yeux ne voulaient percevoir que la laideur, la fadeur, l'horreur ? Alors notre monde est beauté mais notre manière de penser nous le fait voir sous sa plus triste apparence.

Malgré moi un petit sourire triste fend mes lèvres, puis je frotte mes cheveux pour les ébroussailler un peu.

-Tu ferais presque un bon prof de philo avec des paroles pareilles.

-C'est très sérieux.

-Je sais. Moi aussi.

Un silence gênant s'installe entre nous, comme ça arrive très souvent quand Gabriel se replonge profondément dans son univers lointain en oubliant jusqu'à ma présence même. Et moi, stupide que je suis, je le laisse s'enfoncer dans son propre esprit, parce que je ne sais pas quoi faire d'autre.

Tout d'un coup, mon frère lève brusquement la tête vers moi et plonge son regard dans le miens. Ses yeux, qui ressemblent tellement à ceux de notre mère, paraissent retrouver un peu de leur lucidité perdue, mais ça ne dure qu'une poignée de secondes.

-Et toi ? demande-t-il.

-Quoi ? dis-je peut-être d'une manière un peu trop tranchée.

-Tes jours sont-ils sombres ?

Je décide de l'embêter un peu, comme pour le punir d'avoir perdu cette lucidité que je suis certain d'avoir vu juste un instant le traverser quand il a relevé la tête :

-Mes nuits sont lumineuses ! je m'exclame en faisant battre mes cils plus vite, comme le font si bien les pétasses accro aux paillettes.

-Ça n'est pas une vraie réponse ça.

-Mais c'est la mienne.

-Tu détournes mes questions par de fausses vérités.

-Et pourquoi mes réponses à tes questions tordues sont si importantes à tes yeux ? je grogne, commançant à être un peu sur les nerfs.

Pendant un instant, Gabriel ne dit plus rien et paraît réfléchir intensément, comme s'il cherchait à résoudre un problème très complexe de maths.

-Parce que je suis ton grand frère et que c'est important l'honnêteté, la sincérité, la franchise, la vérité.

Je me fige et je le fixe, la bouche entrouverte parce que tout d'un coup, les mots ne suffisent plus pour m'exprimer. Ça fait tellement longtemps que je ne l'ai pas entendu parler de lui en tant que grand frère que j'ai l'impression d'être absorbé par le passé.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant