L'aube qui pétille sur la rencœur des mots

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A D A M

J'ai à peine fermé l'œil cette nuit, hanté par des images que j'aurais aimé ne jamais revoir. La réalité s'est confondue avec mes rêves, transformant tout en cauchemars déformés par ma propre horreur.

J'ai envie de tout foutre en l'air aujourd'hui, juste d'exister, de me faire enfin entendre et juste de dire merde à la vie. Merde à cette puérile adolescence que j'aurais voulu être capable d'étouffer, d'étrangler, de plonger dans un bain d'acides pour qu'elle comprenne enfin un peu mieux ce qu'elle nous fait ressentir. Personne n'écoute les adolescents, on se bouche les oreilles, on oublie qu'on a été jeune, on fait comme si ce n'était que des petits cons qui ne connaissent rien au vrai monde et ça passe ! Les adolescents sont stupides nous dit-on, ils ne pensent qu'au sexe et au fait de faire que des conneries, seul le vide de l'idiotie résonnent dans leur caboche...

Mais faut arrêter avec ça, il n'y a pas que les adultes qui ont mal, il n'y a pas qu'eux qui ont de vrais problèmes, pas qu'eux qui peuvent être intelligents ou grands artistes, pas qu'eux qui voient le monde comme une douleur ! Arrêtons, justes deux secondes l'hypocrisie honteuse qui maltraite la vérité et empoisonne la justice... Juste deux secondes. Posons nous soigneusement au coin d'un feu en faisant lisser nos vêtements exemplairement repassés.

L'adolescence, la vie adultes ça se ressemble beaucoup, nous parlons toujours d'humains placés, certes, dans des catégories différentes, à cause des traîtres âges passés sur Terre et du temps marqué dans nos années et nos visages si ignobles... Mais au fond nous sommes pareils, égaux dans nos pensées différentes, dans nos actes vains pour se faire aimer...

Assis contre les pierres du Pont, une cigarette dans une main la lettre tellement désirée de Myla dans l'autre, je souffle ma peine. Grâce aux mots presque guérisseurs de ma correspondante secrète, mon cœur se sent moins encombré par les tourments qui l'obscurcissent et la fatigue qui le tourmente.

_ADAM, d'une certaine manière, je crois que tes mots m'ont fait mal...
Ils ont tourmenté (et tourmentent sûrement encore !) ma tête jusqu'à ce que presque chacunes de tes remarques viennent s'imposer en moi comme une évidence.
Ils sont tellement vrais tes mots !
Tellement... Poignants... Je ne sais pas. Ils me font peur avec leurs vérités si profondes...
C'est difficile à décrire mais tes écrits sont comme une bouche d'aération grande ouverte qui vomit tout ce que tu encaisses sans pourtant que tu ne parles véritablement de toi.

Comme tu es en train de lire ces mots, tu te doutes bien que j'accepte la correspondance avec toi.
C'est la première fois de ma vie que je correspond avec quelqu'un !

Parfois, je t'imagine, en train de lire tous ces mots et je me demande pourquoi tu t'obstines à le faire. Pourquoi avons nous ressenti ce besoin de parler à travers du papier ?
Pour ma part, j'en ai besoin parce que la plupart des gens que je connais ne me comprennent pas, me traitent comme une folle que l'on doit à tout prix soigner.

Toi, rien que dans nos premiers échanges, j'ai compris que tu ne me voyais pas de la sorte. Je suis redevenue une humaine aux yeux de quelqu'un ! Une humaine telle que l'on est fait. De défauts, de champs de batailles perdus, de coins obscurcis par les tourments, de victoires, de pensées profondes, de sentiments contradictoires, aussi.
Et tu n'imagines pas à quel point cela fait du bien !

Juste. D'être. Enfin. Soi.

Je ne sais pas par où commencer à propos de moi... J'adore la musique ! C'est ma grande passion, elle fait vibrer mon corps tout entier ! Elle me fait vivre comme jamais personne ne pourra me faire vivre !

Et toi ? Qu'est-ce qui te passionne ?
Myla_

Arrachant la cigarette de ma bouche, je la jette dans la poubelle la plus proche et, marchant en faisant de petits allés retour sur le Pont, j'écris à mon tour. Petit à petit, le goût infâme de cendre qui périssait dans ma bouche et sur le bout de ma langue, tel de l'encens inalé pouvant se glisser le long de ma trachée et se frayer un sinueux chemin jusqu'à mes poumons, disparait et se remplace par un profond écoeurement de moi même.

Myla réveille une chose en moi que je voudrais oublier, sans que je le puisse pour autant. Elle dit que se sont mes mots qui lui font mal à force d'éventrer les vérités, mais elle ne connait pas la puissance des siens. Nous échangeons à peine depuis quelques jours et déjà tout se chamboule dans ma tête. Non, elle ne sait pas comme elle titille ce goût amer qui obstrue constamment ma gorge...

Je regarde ma montre et regrette déjà de l'avoir fait quand je me rends compte que je dois bientôt aller en cours...

L'aube est déjà levée et le soleil dessine sur la lettre des couleurs mordorées époustouflantes qui semblent faire ressortir la beauté des mots inscrits dessus, par des mélanges pétillants de couleurs, capables de tous nous rendre aveugles.

Une étrange envie de prendre en photo, dans la couleur nacrée du matin la fine écriture de Myla surgit en moi et m'étouffe. C'est presque irrésistible, mais je résiste car au fond de moi, je ne peux pas, je ne peux pas prendre en photo quelque chose qui ne me reflète pas un minimum. Et, tout cela est trop beau, trop parfait, derrière se cache forcément le mal ! Le mal se cache tout le temps dernière ce qui semble merveilleux, il est là, il attend pour mieux nous choper et nous réduire au néant par de trop douloureuses épreuves de la vie. Je ne veux pas le voir, je le déteste le mal qui flétri les âmes, qui s'éveille au milieu de mes photos, qui m'engloutit tout entier pour mieux me voir brisé. Le mal, est un fragment de l'adolescence, il fait résonner la souffrance et nous entraîne vers la fosse des remords, notre tombe.

Non, non, non, non, non, non, non, non, non ! Je pose ma lettre et enfouis dans mon sac celle de Myla, mon souffle est court, prit de court par mon mal. Et je cours vers l'école pour arriver à l'heure, pour retrouver Aaron et Rebecca, pour oublier et supprimer un instant mon moment de faiblesse, même si demain je sais qu'il reviendra à nouveau et avec lui, ma détresse.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant