Chapitre 3 : craquelure au plafond et vieille sorcière

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La première chose que j'aperçois en ouvrant les yeux, c'est le visage inquiet de Conan. Sa peau d'habitude colorée me paraît bien blanche, et ses grands yeux noirs sont écarquillés. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas bien ce qu'il se passe.

Je me rends alors compte que je suis allongée sur un lit. Je tente de lever la tête mais une fatigue immense s'empare de moi. Et en plus mon meilleur ami m'attrape doucement par les épaules pour me forcer à me recoucher. Je regarde tout de même autour de moi. Murs blancs, pièce blanche et vide, lit blanc dont le matelas est enveloppé dans du plastique... Ah, l'infirmerie.

Les souvenirs de ce qu'il vient de se passer me reviennent alors à l'esprit. Les infos liées à mon cauchemar m'arrachent un frisson. Cela a beau faire plusieurs mois que je prédis ce genre de catastrophes, je ne m'y fais toujours pas. Et d'habitude ça ne m'arrive que la nuit, pas en plein jour sur une horreur qui se passe presque en direct.

La bouche pâteuse, je me tourne vers Conan et esquisse un sourire pour le rassurer. Bon, ça ressemble plutôt à une grimace, mais je n'ai jamais été douée pour ça. Heureusement qu'il me comprend, car je le vois se détendre un tout petit peu. Bon, ses épaules se sont légèrement relâchées, rien de plus. Pas de quoi crier victoire. J'en profite pour prendre la parole.

— Ca fait longtemps que je suis dans les vapes ?

— Quelques minutes. Mais bon sang, tu peux pas savoir comment tu m'as fait peur ! Un instant, je te voyais regarder l'écran télé, celui d'après pouf ! Au sol.

Conan ponctue son discours de grands gestes exagérés et je me retiens de rire. Je sais que ça l'a vraiment fait paniquer, et ça le vexerait si je rigolais maintenant. À la fin de sa phrase, il s'assoit délicatement au bord du lit dans lequel je suis allongée, la même lueur inquiète dans le regard que lorsque je suis revenue à moi. J'attrape sa main et la serre pour le rassurer.

— Hé, tout va bien, j'ai juste eu un peu trop d'un coup, c'est tout. Mais ça va beaucoup mieux, maintenant.

— C'est pas ça, c'est juste que... Tu m'as fait sacrément peur, quand même. Déjà, sur tout le trajet jusqu'ici, tu avais l'air d'avoir croisé un fantôme. Je sais que tes cauchemars sont violents, mais je ne pensais vraiment pas à ce point.

Je pose ma tête sur l'oreiller et observe le plafond avec un intérêt soudain. C'est dingue ce que ça peut devenir intéressant à regarder quand on ne veut pas penser à de mauvaises choses. En l'occurrence, je n'ai pas vu un fantôme, mais des fantômes. Et c'est toujours le cas dans mes cauchemars. Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas, mais je pense que je ne m'y habituerai jamais. Au moins je garde une part de sensibilité et d'humanité.

Pendant que je suis une craquelure de peinture du regard, les souvenirs de la nuit dernière me reviennent. Qui était ce garçon qui est intervenu dans mon cauchemar ? Quitte à m'éviter de passer un mauvais quart d'heure, il aurait au moins pu interrompre celui de ce matin plutôt que cette nuit. Peut-être que je ne peux pas le voir avant de connaître par cœur l'histoire qui se déroule devant moi. Ou peut-être que je deviens juste folle et qu'il s'agit d'une partie de moi qui se détache pour me protéger. Oh bon sang, je vais finir schizophrène. N'empêche, quitte à devenir tarée, j'aimerais bien éviter les frayeurs comme celle que je viens de vivre. Il va falloir que je creuse un peu plus le sujet.

La porte de la chambre s'ouvre et une dame aux cheveux gris entre dans la pièce. Ses petits yeux me scrutent derrière ses lunettes rouge flashy, avec une mine réprobatrice. Je serre les dents pour éviter de rire. Son regard ne colle pas du tout avec sa bouche en cœur. L'infirmière de notre lycée est vraiment étrange. Elle sort alors un cube de sa poche et le pose bruyamment sur la table de chevet à côté du lit. Là, je fais un peu moins la maline. Je sens que je vais passer un sale quart d'heure.

— Il faudrait peut-être songer à dormir la nuit, plutôt que de bidouiller des objets sans intérêt, Mademoiselle, vous ne trouvez pas ?

Je serre les poings pour m'empêcher de répondre. Son ton est tellement condescendant qu'il indique directement que je ne peux rien lui dire. Même si elle a tord. D'un autre côté, je ne suis pas sûre que lui dire que je fais des cauchemars prémonitoires soit une bonne idée. Je ne sais pas, je ne le sens pas trop. Comme un léger doute qu'elle ne me croie pas. Non, ce n'est pas que le fait de prédire l'avenir est totalement absurde, du tout. C'est simplement mon instinct qui me dit que c'est une mauvaise idée. Décidément, quand on s'attaque à mes protégés, je deviens vraiment sarcastique.

Je jette un œil au cube, me retenant tant bien que mal de l'attraper. Loin d'être inutile, j'essaye de fabriquer une machine à fumée miniature. J'aimerais qu'elle en fasse autant que celles de taille normale, mais ce n'est pas encore gagné. L'objectif ? Passer le temps en cours et accessoirement tenter de remporter un concours d'innovation. Ça me permettrait d'avoir le financement nécessaire pour mon vrai projet. Un cube de la même taille qui puisse servir de tablette en projetant l'écran en hologramme. Ah, on n'arrête pas le progrès. Et puis, l'électronique, c'est ma passion. Pour certains, c'est le sport. Pour moi c'est bidouiller des cartes mères et des fils électriques.

J'entends l'infirmière taper du pied avec agacement, et lorsque je tourne mon regard vers elle, je peux voir qu'elle est dans une colère noire. Oups, mon manque de réaction a encore frappé. Elle se dirige alors précipitamment vers la porte de la chambre, avant de s'arrêter au seuil.

— Visiblement, vous avez l'air de vous sentir mieux. Dès que vous aurez récupéré, retournez en cours.

Sur ces mots, elle claque la porte, me faisant sursauter. Conan avait observé l'échange silencieusement, cherchant sans doute à devenir invisible pour ne pas recevoir une leçon de morale également. Décidément, la peinture craquelée c'est passionnant. Mon ami se lève alors, légèrement embarrassé par ce qu'il vient de se passer.

— Bon, je crois que je devrais y aller, moi. Évite de t'endormir à nouveau, ça serait bête que tu fasses un cauchemar et que tu doives supporter la sorcière plus longtemps.

Je lâche un petit rire. Le surnom est très bien trouvé, en effet. Conan me fait un petit geste de la main pour me saluer, puis ferme la porte doucement derrière lui. Je lève la tête vers la craquelure au plafond. Bon, on dirait que je n'ai plus qu'à lui faire la discussion pour ne pas mourir d'ennui. 

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant