Chapitre 7 : musique de rêve et arts martiaux

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Alors que notre professeur de mathématiques est en train d'expliquer un calcul de vecteurs, Conan me tapote le bras. Je retiens un soupir. Pour une fois que j'essaye d'écouter, je ne comprends rien à ce chapitre. Et forcément, c'est la fois où mon meilleur ami a une idée farfelue en tête. Je le regarde, et il me pointe du doigt son téléphone, caché sous la table. Il faut savoir que c'est la cachette la moins discrète qui soit. Limite, le mettre dans sa trousse l'est un peu plus. Je peux le dire d'expérience.

En observant d'un peu plus près le petit écran, j'arrive à voir que Conan avait lancé Spotify. On dirait qu'il est en train de chercher activement la musique que j'ai entendue cette nuit. Même s'il doit avoir un peu de mal à la trouver, avec une simple description. Il me tend un écouteur bluetooth, et je grimace malgré moi. J'ai horreur de ces trucs, mais c'est le seul moyen d'être discret. Je l'enfile pendant que le prof regarde dans une autre direction et j'attends que mon ami lance la musique.

Au bout de trois notes, je peux déjà lui dire que ce n'est pas ça. Rythme trop rapide. Je lui fais un signe de la main pour lui dire de chercher quelque chose de plus lent. Aussitôt, il se remet à fouiller l'application. Pendant ce temps, j'essaye de me concentrer à nouveau sur le cours, même si je sais que cela ne sera pas pour longtemps. D'ici quelques minutes, Conan aura sûrement quelque chose à me proposer.

Je me rends alors compte que je n'ai pas enlevé l'écouteur. Je peux entendre de courts extraits pendant que mon meilleur ami lance différentes musiques, dans l'espoir d'en trouver une qui correspond à ma description. C'est à la quatrième que je pose ma main sur son bras, pour lui dire de laisser. Je n'ai jamais entendu cette mélodie, pourtant elle me paraît terriblement familière...

Je frissonne violemment. Cette musique. C'est celle-là. Pas celle de la nuit dernière. Mais de la nuit précédente. J'écris rapidement le jour d'hier sur le bas de mon cahier, et tapote avec mon crayon juste à côté pour attirer l'attention de Conan. Je le sens se pencher et se stopper. Visiblement, il ne s'y attendait pas. Moi non plus, d'ailleurs. Je n'avais pas fait attention jusqu'à présent, mais il y avait bien une mélodie dans l'air. Quelque chose qui rendait l'atmosphère différente. C'est sûrement pour ça que j'avais confiance en ce garçon dès le début.

La rythme est doux et calme. Il berce, même. Cela conviendrait parfaitement en musique d'ambiance dans une soirée, quand tout le monde fatigue un peu et préfère discuter plutôt que danser. Le genre de son qu'on oublie rapidement, qui met juste à l'aise. C'est la raison pour laquelle je ne l'avais pas remarqué. Ça se fond dans le décor. Sans m'en rendre compte, je sens que je me détends légèrement. Lié à de bons souvenirs, ou alors est-ce juste la musique qui fait ça ? Je pense que je ne le saurai jamais.

La sonnerie annonce la fin du cours, et je sors de l'espèce de bulle dans laquelle je m'étais installée. Il faudra que je fasse vraiment plus attention aux détails de mes rêves, à l'avenir. Peut-être qu'en écoutant à nouveau les musiques au calme, j'arriverai à me souvenir de choses qui m'ont échappées sur le moment. Sinon j'attends la nuit prochaine, en espérant que le phénomène se produise à nouveau.

Le reste de la journée se passe de manière plus ou moins rapide, car je suis perdue dans mes pensées à propos de ce garçon. Dire qu'il m'obsède est un euphémisme. Et je ne sais même pas à quoi il ressemble en plus ! C'est là que je découvre qu'il n'a pas de visage. De quoi faire bien peur et traumatiser n'importe qui pour plusieurs jours. Vous imaginez ? Des trous à la place du nez, et une bouche. Rien de plus. Le simple fait d'y penser me fait froid dans le dos.

A la sortie du lycée, je salue Conan et prends le bus dans le chemin inverse à la maison. Ce soir, taekwondo ! J'ai hâte de revoir Tat'. Et de lui mettre la raclée de sa vie... En toute amitié, bien sûr. Cette dernière me retrouve sur le trajet, aussi excitée que moi pour le cours. Celle-ci a coiffé ses cheveux habituellement en bataille en une queue de cheval grossière. Plus pratique qu'esthétique. C'est la grande préférence de Tat'.

Lorsque nous arrivons au dojo, nous nous dépêchons de nous changer, même si nous sommes en avance. Plus tôt nous sommes prêtes, plus vite nous pouvons nous entraîner. Et ce moment où les autres ne sont pas encore là est incroyable. C'est parce que nous sommes toutes les deux arrivées en avance par hasard que nous sommes devenues amies. Ces petits entraînements avant l'heure nous ont rapprochées comme personne. Désormais, nous sommes le duo de la terreur, d'après les autres. Il faut dire que cela nous amuse beaucoup et que nous faisons tout pour garder ce surnom.

Alors que nous entrons dans la salle principale pour nous entraîner, Tat' me tapote le bras et me pointe de l'index une direction. En me concentrant, je peux entendre la voix de notre maître, qui parle à un inconnu. Impossible de savoir qui est son interlocuteur, nous ne pouvons pas l'entendre. Curieuses, nous nous approchons discrètement pour écouter. Ne faites pas ça, écouter aux portes est souvent l'origine de beaucoup de problèmes. Et puis, ça ne se fait pas. Pourquoi le faisons-nous quand même ? Parce que nous sommes victimes d'une curiosité maladive, l'une comme l'autre. Nous sommes incorrigibles. Tendant l'oreille, nous pouvons percevoir quelques bribes de conversation. Malheureusement, nous n'entendons toujours pas à qui notre maître d'arts martiaux parle. C'est plutôt frustrant, mais se rapprocher serait trop dangereux. Alors nous rongeons notre patience, en essayant de comprendre la situation avec les paroles de ce dernier.

— Oui, elle existe... peux pas t'expliquer... trouve...

J'échange un regard avec Tat'. Avec un texte à trous, difficile de comprendre ce qu'il se passe. Mais cela a l'air bien intriguant. Je n'ai jamais entendu notre maître avoir une voix aussi consternée. Nous nous concentrons à nouveau pour écouter la suite.

— Désolé... sauvera... peux pas t'aider.

Des bruits se font alors entendre et nous comprenons que ça bouge. Aussitôt, nous retournons au centre de la salle pour faire mine de s'entraîner. Quelques instants plus tard, notre maître d'arts martiaux fait son apparition. Il est seul. Son interlocuteur est passé par la porte de derrière ? Mais pourquoi vouloir être aussi discret ? Je vois que comme moi, Tat' ne comprend pas ce qu'il se passe. Mais nous tentons de ne pas y penser pour ne pas éveiller les soupçons. Si nous nous entraînons mal, notre maître comprendra tout de suite que quelque chose ne va pas. Et vu comme il tient à garder sa discussion secrète, s'il apprend que nous avons écouté, je ne donne pas cher de notre peau. Il est bienveillant, mais il y a des limites, tout de même. Quand cet homme n'est pas content, il ne faut pas traîner dans les parages. Il est très patient, jusqu'à ce que cela explose.

Les autres élèves du cours arrivent petit à petit, et bientôt nous sommes au complet. Le cours commence alors, mais je me rends compte que notre maître est un peu moins concentré que d'habitude. Comme perdu dans ses pensées. Étrange. Cela ne lui arrive jamais, normalement. C'est d'ailleurs toujours ce qu'il nous reproche, quand on est trop dans le passé ou le futur, et pas assez dans le présent. Le cours se termine, et je suis revenue à égalité dans notre petit concours avec Tat'. Dommage, j'aurais bien aimé la doubler. Au moins j'ai sauvé mon honneur. C'est déjà le minimum. Épuisée, je la salue, et rentre chez moi. Entre l'inconnu dans mes rêves et les secrets de notre maître, cela commence à faire beaucoup de mystères d'un seul coup. J'aimerais juste ne pas faire un cauchemar où je découvre que l'inconnu qui apparaît dans mon sommeil assassine notre maître d'arts martiaux. Destin, si tu existes, sois sympa. S'il te plait, pour une fois. Évite-moi cette vision.

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant