Le Coeur en Rythme

Chapitre 51 : De l'art de convaincre et de rêver

J'ouvre les yeux soudainement, le souffle court. Avant même que je puisse reprendre mes esprits, le visage inquiet de Naël envahit mon champ de vision. Sa présence m'apaise aussitôt et je lui offre un petit sourire pour le rassurer. Je me redresse sur mon siège, perdue dans mes pensées. Depuis le cauchemar avec l'ours, je n'avais pas eu de vision où je prenais la place de quelqu'un. Avec son point de vue, son vécu et ses émotions. Voir à travers les yeux d'un autre est très déstabilisant. Je ne contrôle rien, si bien que je dois me contenter d'observer et d'attendre.

Je passe un main sur mon visage en soupirant. Je remarque alors que le jeune homme est juste à côté de moi. Il a dû échanger de place avec Elliott durant mon sommeil. Je suis presque sûre qu'il a senti que je faisais un nouveau cauchemar. Je tourne la tête vers Tat', celle-ci me regardant fixement, interloquée. Elle n'avait encore jamais assisté en direct à l'apparition d'une de mes visions. Cela me rappelle le cauchemar que j'ai fait en plein cours, avant que toute cette histoire ne prenne une tournure délirante. Conan non plus n'était pas très à l'aise, à ce moment-là. Il faut dire que je m'étais évanouie ce jour-là. C'est normal qu'il se soit inquiété.

Mes épaules se détendent enfin alors que je retrouve mes repères. Mon souffle a repris un rythme normal. J'en profite donc pour faire défiler toutes les images que j'ai vues. Si j'ai bien suivi, il s'agit de deux soeurs ainsi que du fils de l'une d'elles. Tous les trois sont ensevelis sous des tonnes de béton, suite à un tremblement de terre. Elles ont failli y passer, car il y en a eu un deuxième peu après. Cela correspondrait-il à des victimes de la catastrophe au Népal ? Si c'est le cas, nous pouvons peut-être les sauver. Moi, au moins, je les ai entendues. Pas de la manière la plus classique qui soit, certes, mais le plus important, c'est qu'elles s'en sortent.

Alors que je me penche vers Naël pour lui donner les détails de ma vision, j'entends quelqu'un jurer quelques rangs devant nous. J'échange un regard rapide avec le jeune homme, puis celui-ci se lève pour aller voir ce qu'il se passe. J'en profite pour le suivre immédiatement. Je sais que je dois faire profil bas, mais je dois savoir s'il s'agit d'un nouveau tremblement de terre. Si c'est le cas, alors ma vision se trouve bien là où nous allons.

Naël s'arrête devant un homme d'environ la trentaine, avec une large carrure. Le siège est presque trop petit pour lui. Ses cheveux, coupés courts, sont déjà grisonnants sur les tempes. Il porte un regard sombre sur sa tablette, visiblement porteuse de mauvaises nouvelles. Le secouriste soupire et ferme les yeux. Il jette ensuite négligemment l'appareil sur une petite table devant lui, puis secoue la tête. Rectification. On dirait qu'il a de très mauvaises nouvelles à nous apporter.

— De nouvelles secousses au Népal. Certains bâtiments tenaient fragilement, mais là, ils se sont effondrés. Le nombre de victimes et de personnes piégées a dû doubler.

Je serre les dents et déglutis. Le jeune homme à mes côtés doit sentir ma tension, puisqu'il me jette un regard suspicieux. Il se penche vers le trentenaire pour essayer d'obtenir plus de détails.

— Les équipes déjà présentes là-bas n'ont pas été blessées ? Leur matériel est encore intact ?

Le secouriste fait un geste vague de la main avant de répondre.

— Tout va bien, les seuls qui étaient en opération ont eu de la chance, ils n'ont pas eu trop d'éboulis supplémentaires avec le tremblement.

Les battements de mon coeur se font plus forts. Dans mon rêve, l'endroit dans lequel étaient piégés les trois personnes était plutôt précaire. L'enfant a été blessé mais rien ne s'est effondré. Avec un peu de chance, c'est pile à l'endroit où une équipe de secours est en train d'agir. Je tapote le bras de Naël et lui fais signe de me suivre. Une fois à l'écart, je me retourne vers lui et croise les bras. Enfin, je lui raconte le cauchemar que j'ai fait il y a quelques minutes.