Chapitre 5 : Pâtes bolo et deuxième apparition

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Comme prévu, nous nous sommes fait gronder dans les règles de l'art. La sortie cinéma de ce week-end a été annulé en punition, Nathan n'a plus de droit de jouer à sa console, et moi, je n'ai plus accès à l'ordinateur. On s'en sort bien au final. Mon petit frère passe tout son temps à dessiner, et moi à lire. Donc la sentence ne nous affecte pas tant que ça, mais il est clairement hors de question d'en dire un mot. A la place, nous avons baissé la tête, et avons essayé de faire notre mine la plus désolée possible. Toujours est-il que la présence de Melchior n'a pas soulevé un seul commentaire ni une seule question. Son odeur de pomme aurait-elle envoûté ma mère ? Je pense que nous ne le saurons jamais.

Alors que notre père rentre à son tour, la petite pression présente en nous se réveille à nouveau. Que va-t-il dire en voyant le chien ? Assis sur le canapé, nous nous retournons vers l'entrée, observant la scène sans bouger, aussi discrets que des souris. Melchior est arrivé en trottinant et s'est assis sagement devant l'entrée, pendant que mon père se débarrasse de ses affaires. Il a décidé de faire le beau et d'être tout sage, lui. Je suis sûre que c'est une stratégie pour rester à la maison. Mine de rien, c'est sacrément intelligent, un chien. Je me demande quelle idée avait en tête celui de Madame Pinson lorsqu'il a sauté de l'immeuble...

A notre grand désarroi, papa éclate de rire en voyant le chien. S'il y a bien une réaction à laquelle on ne s'attendait pas, c'était bien celle-là. J'échange un regard surpris avec Nathan. Pendant ce temps, Melchior avait décidé de la jouer affectif et s'était levé, remuant la queue, langue pendante, attendant sûrement des caresses. Notre père tombe carrément dans le panneau, puisqu'il se penche pour lui donner les câlins tant attendus.

— Vous auriez pu me prévenir, que j'aille au moins lui chercher de quoi manger...

A nouveau, nous nous regardons avec Nathan. Mais quelle mouche a piqué mon père ? On dirait qu'il connaît Melchior en plus ! Papa se relève et se place juste devant nous, les poings sur les hanches.

— Décidément, vous avez fait un sacré boulot avec lui ! J'étais loin d'imaginer qu'il était aussi beau quand je le voyais errer autour du collège de Nathan !

Ah, c'est donc ça. Papa l'avait repéré depuis un moment. Et si maman n'a pas réagi, c'est sûrement parce qu'il lui en avait parlé, et qu'il savait que mon petit frère le ramènerait à la maison. Sacrés parents. Toujours à comploter dans notre dos. Et pour cette fois, ce n'est pas plus mal. Prenant ces paroles comme un accord pour que le chien reste, Nathan saute du canapé et court vers l'animal pour le serrer dans ses bras.

— T'as entendu Melchior ? Tu peux rester !

Mon père se tourne vers moi, surpris. Je hausse les épaules. Ce n'est pas moi, c'est Nathan qui l'a baptisé. Il soupire, amusé. Mon petit frère ne cessera jamais de nous surprendre, je pense.

Nous finissons la soirée dans la bonne humeur, et exceptionnellement, Melchior a le droit au même repas que nous, faute de croquettes. Pâtes bolognaise, le petit chanceux. Il ne ferait pas la même tête s'il avait eu une purée de carottes. Une fois repu, le chien part aussitôt vers le salon en trottinant, et nous l'entendons s'installer dans le canapé. Ma mère n'a même pas eu le temps de protester. Je la vois croiser les bras sur sa poitrine.

— Décidément, à peine arrivé, il prend ses aises, celui-là ! Je comprends pourquoi vous vous entendez aussi bien, Nathan.

Nous explosons de rire pendant que mon petit frère fait la moue, vexé par la remarque. Je lui ébouriffe les cheveux affectueusement, et il râle aussitôt, repoussant ma main. La soirée se termine devant la télé, chacun se battant pour avoir une petite place, Melchior prenant la moitié du canapé. Vraiment pas gêné, ce chien. A la fin du film, nous partons tous nous coucher. Rapidement, je m'endors.

***

Lorsque je regarde autour de moi, j'aperçois des maisons de fortune. Le sol est poussiéreux. Je reconnais cet endroit. C'est celui de ce matin. Encore ? D'habitude il y a un certain laps de temps avant de refaire le même cauchemar. Le temps que les news n'en parlent plus en boucle. Je supposais que mon cerveau prenait le temps d'assimiler le cauchemar, et de l'analyser, le temps de pouvoir le reproduire. Visiblement, je m'habitue. Et ça, ce n'est vraiment pas une bonne nouvelle.

J'avance lentement entre les maisons. Tout est silencieux. Pas un cri d'oiseau. Je n'ai pas fait attention la dernière fois s'il y en avait. Mais lorsqu'un cauchemar revient, il y a toujours ce silence oppressant. Mon subconscient essaye de rendre le tout encore plus effrayant, je crois. Une chose est sûre, il s'en sort sacrément bien. Tout est plus sombre, et plus froid.

Je serre mes bras contre mon corps en frissonnant. L'ambiance n'est clairement pas rassurante. Et le pire, c'est que je sais ce qu'il va se passer. Cette fois, je reste dans l'allée principale. Les attaquants ne me verront pas de toute façon. Ou alors je serai la cible et ils me pourchasseront, où que je me cache. Autant dire que cela ne sert pas à grand-chose.

Curieuse, je m'approche d'une habitation. J'hésite à entrer. Je finis par me décider à m'asseoir sur les marches qui mènent à l'entrée. Toujours créer une troisième solution. Un bruit de frottement me fait alors lever la tête. Ça va commencer. Un cri se fait soudainement entendre, marquant le début de l'attaque. Aussitôt, une lueur apparaît aux fenêtres des maisons, et certains sortent, hagards. Je sais que cela ne sert à rien, mais je ne peux m'empêcher de me lever pour aller vers eux. Pour leur dire de rentrer s'abriter. De ne pas sortir.

Les soldats foncent dans le village, me bousculant au passage. J'en perds l'équilibre et m'écroule au sol. Partout, ce n'est que le chaos. Je ferme les yeux et me roule en boule. Compter les secondes. Je dois compter les secondes. Ça va passer. Bientôt je me réveillerai dans mon lit, et tout ne sera qu'un lointain souvenir.

Des bruits de pas qui s'approchent me font relever la tête. Un jeune homme s'arrête face à moi. Je n'arrive pas à voir son visage. Tiens, une musique douce se fait entendre. Elle n'était pas là, avant. Maintenant que j'y pense, la nuit dernière aussi il y avait cette même mélodie. Et lui aussi était là. On dirait qu'elle l'accompagne. Bon sang, mais qui est ce garçon, et pourquoi intervient-il dans mes cauchemars comme ça ? Mon cerveau doit essayer de mettre en place un mécanisme de défense. C'est sûrement une partie de moi, que j'ai créé en tant que jeune homme pour me rassurer. Je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre, de toute façon.

Le garçon me tend la main. J'aperçois alors qu'il porte plusieurs bracelets en cuir sur son poignet. Il faut que j'imprime cette image dans ma mémoire. C'est un indice intéressant. Son visage m'est peut-être flou, mais j'ai au moins un signe distinctif pour le repérer. C'est alors qu'il se met à me parler, d'une voix douce et calme.

— Viens, ne restons pas là. Ça ne sert à rien de continuer.

Continuer quoi ? Mon cauchemar ? Je suis plus que d'accord dans ce cas. Rassurée par sa voix, j'attrape sa main. Elle est douce et chaude. Je ne me souvenais pas que le contact humain était aussi agréable.

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant