Chapitre 18 : l'heure du départ

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J'ouvre le robinet devant moi pour faire sortir un peu d'eau. Je mets mes mains en coupe pour en récupérer, et m'asperge le visage avec. En regardant le miroir en face de moi, je soupire. J'ai filé aux toilettes du dojo pour me retrouver seule et respirer un peu. Je repense aux paroles du maître, et ferme les yeux. Je vais devoir aller je ne sais où, me cacher de je ne sais quel danger. Comme si mon sommeil perturbé ne suffisait pas.

Quelqu'un toque alors timidement à la porte. Je tourne la tête vers celle-ci, sans bouger. Je ne veux pas avoir à affronter cette réalité. Pas maintenant. J'ai besoin de reprendre mon souffle avant. Dans un nouveau soupir, je m'adosse au mur et me laisse glisser au sol. Je cache ma tête dans mes bras pendant que je perçois un mouvement de l'autre côté de la porte. La personne s'est également assise, visiblement.

— Désolé pour tout ça, Maï. Je voulais pas t'entraîner là-dedans.

Je ne réponds pas lorsque Naël prononce ces quelques mots. Mais je hoche la tête, acceptant ses excuses, sans lui dire. Je comprends mieux pourquoi il voulait couper les ponts la nuit précédant toutes ces histoires. Il voulait se concentrer sur sa mission pas si officielle que ça et surtout il devait avoir deviné que nous étions dans la même ville. Qu'il tombe dans mon lycée n'était qu'un mauvais coup du destin. Résultat, ma vie est en pagaille. Je ferme les yeux et déglutis, ne voulant pas craquer. La voix de Naël se fait à nouveau entendre à travers la porte.

— On va t'emmener jusqu'à notre base. C'est suffisamment grand pour que tu y vives quelques temps. Quand le problème sera réglé, tu pourras rentrer chez moi.

Le problème. Lequel au juste ? Moi, j'en vois beaucoup trop pour les compter. Je serre les dents pour retenir un sanglot. Je vais devoir quitter mes amis, ma famille, pour une destination que je ne connais pas avec des gens que je ne connais pas. Sans oublier que c'est pour un danger que je ne comprends pas, sur une durée que personne ne connaît. Super, j'ai hâte d'y aller.

Pour me distraire, je sors mon cube. Je l'ai récupéré dans mes affaires avant de partir du lycée. Je ne pensais pas qu'il me servirait. Je n'ai rien pour pouvoir l'améliorer et en faire quelque chose, mais ouvrir et fermer le couvercle protégeant la carte mère de manière répétée m'aide à me calmer. Le pire dans cette histoire, c'est que je vais devoir attendre bien sagement dans un bâtiment inconnu que l'on me sauve. Pauvre princesse désespérée. Bonjour les clichés. Lasse de la situation, fatiguée par ma nuit blanche, je m'endors sans même m'en rendre compte.

***

Je me trouve dans un bâtiment en ruine. En regardant autour de moi, j'en viens rapidement à la conclusion que je ne connais pas cet endroit. Nouveau cauchemar ? D'habitude j'ai un peu de temps avant que ça recommence. Il est où le bouton pause pour les embrouilles ? J'ai assez donné ces derniers temps. Dans un soupir, j'avance parmi les décombres, avec la hâte d'en finir.

Des bruits suspects sur ma droite me font me retourner. Heureusement, cela ne bouge pas. Persuadée que je ne pourrai pas sortir de là si je ne comprends pas ce qu'il se passe, j'avance lentement vers l'origine du son. Je peux entendre le grésillement de l'électricité et la résonance du métal par intermittences. Le cœur battant la chamade, j'aperçois alors de la lumière, dans une pièce intacte. Je déglutis et m'approche du seuil de la porte. Un éclair vif m'éblouit et je lève un bras pour me protéger les yeux.

Dans la salle se trouve un homme, dos à moi. Il a l'air affairé sur quelque chose que je n'arrive pas à voir, posé sur une grande table. Effrayée, je reste sur le pas de la porte et essaye de détailler l'inconnu. Sa stature m'est familière. Je vois alors une mèche de cheveux sale dépasser de son casque de protection. J'écarquille les yeux. Je suis sûre qu'il s'agit du prisonnier que j'ai vu la dernière fois ! Aussitôt, je recule d'un pas, et fais demi-tour le plus silencieusement possible. Au moment où j'arrive sur la partie ruinée du bâtiment, je tape dans une barre au sol. Le bruit du choc résonne partout autour de moi. C'est forcément dans ces moments qu'il faut que je fasse une boulette ! Alarmée, je plonge derrière un tas de gravats, le souffle court.

Des pas se font alors entendre et je retiens ma respiration. Puis, plus rien. Je déglutis, complètement paniquée. Une voix dont je ne me rappelle que trop bien résonne alors dans l'air. Je frissonne de peur.

— Tiens, tiens, tiens, on a de la visite ? Ne sois pas timide, voyons, je sais que tu es là...

C'est. Mon. Pire. Cauchemar. Digne d'un film d'horreur. Une larme coule sur ma joue et je ferme les yeux en serrant les dents. C'est le moment de savoir contrôler la fin de ces visions. Il faut que je me réveille. Tout de suite. Maintenant !

***

Je sursaute et inspire un grand coup. Le décor familier des toilettes me calme instantanément. J'ai eu chaud. Je passe une main sur mon visage, tremblante. Si je me mets à faire des cauchemars à répétition sur ce prisonnier, je risque d'oublier la notion de sommeil. La tension et l'ambiance effrayantes qui règnent dans ces visions sont insupportables. Après quelques secondes sans bouger, je me relève doucement. Mes jambes sont légèrement flageolantes, mais au moins je tiens debout. Finalement, l'idée de m'enterrer dans une base je ne sais où ne me paraît pas si nulle que ça.

J'attends de cesser de trembler avant d'ouvrir la porte. Naël, qui attendait juste derrière, se relève aussitôt. Je vois une lueur d'inquiétude passer dans son regard au moment où il me voit. Zut, je dois avoir une tête de zombie déterré. En même temps, j'ai toujours cette mine affreuse en sortant d'un cauchemar. Difficile de le masquer. Surtout à lui. Si j'ai bien compris, il est capable de capter mes émotions alors j'aurais beau afficher tous les sourires du monde, il ne me croirait pas. Le jeune homme pose alors délicatement une main sur ma joue. Ma respiration se bloque, et je lève les yeux, surprise. Son geste ne m'aide pas du tout. J'essaye déjà de me calmer après cette foutue vision, s'il se met à perturber mes émotions ainsi, je ne vais clairement pas m'en sortir.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Je retiens un soupir et baisse la tête. L'image de sa mine inquiète, la nuit dernière, me revient à l'esprit. Je n'ai pas vraiment envie de revivre ça, mais je dois partager ce que j'ai vu. Cela peut être important.

— Cauchemar.

Je vois ses yeux s'agrandir, quand il comprend pourquoi j'ai l'air aussi mal. Sans rien dire de plus, il m'accompagne jusqu'à maître d'arts martiaux. Naël lui explique alors notre court dialogue, et je me lance dans le récit de ma vision. Au fur et à mesure que j'avance dans mes explications, je vois les deux hommes se rembrunir. Je m'efforce de ne pas y prêter attention. Je ne fais que des cauchemars, ce n'est pas une grande nouvelle que de dire que ça finit toujours mal. Lorsque je termine mon récit, la maître part immédiatement, sans doute pour aller prévenir les autres. J'échange un regard avec Naël et celui-ci m'indique d'un geste que je ferais mieux de me préparer rapidement.

Etant donné que j'ai peu d'affaires, je suis prête en l'espace de cinq minutes. A l'entrée du dojo, je vois Naël qui attend patiemment. Je le rejoins et, quelques minutes plus tard, Mia et Léo arrivent, l'air soucieux. Mon maître d'arts martiaux a dû leur raconter mon cauchemar. Je fixe mes pieds, un peu gênée de provoquer autant d'inquiétude autour de moi. Cette fois-ci, c'est l'heure. Je pars sans me retourner, avec l'impression de laisser derrière une partie de moi-même.

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant