Je suis de retour dans la grotte. Comme la première fois où j'ai rencontré Naël. Je m'allonge, les jambes pliées. Je n'ai plus qu'à attendre. La nuit dernière, nous avons beaucoup parlé. De tout, de rien. Je sais qu'il a une sœur qu'il aime beaucoup. Celle-ci est en Libye en ce moment, chez ses grand-parents. Il me parle énormément de sa famille. Mais à chaque fois que j'essaye de savoir ce qu'il fait comme études ou comme travail, il change de sujet. C'est énervant. Visiblement, il ne veut pas en parler, mais je ne sais pas pourquoi. Le seul moment où il allait m'expliquer, le chien m'a réveillée en sautant sur mon lit. Nathan a dû se prendre toute ma frustration en pleine face. Mon pauvre petit frère n'y était pour rien en plus.
Après quelques secondes, j'entends les pas de celui qui partage mes rêves. Je tourne la tête dans sa direction, et fronce aussitôt les sourcils. Quelque chose ne va pas, cela se voit tout de suite. Je me relève pour me mettre en position assise. Naël s'installe à côté de moi, agité. Je l'observe passer une main nerveuse dans ses cheveux. Je penche la tête sur le côté, l'interrogeant du regard. Il soupire et fixe ses yeux sur le mur en face de nous.
— Je n'ai pas beaucoup de temps, ce soir, Maï. Désolé.
— Tout va bien ?
Je le vois se mordre la lèvre et hésiter. Je commence alors à m'inquiéter. J'ai un mauvais pressentiment. Il continue de fixer le mur, évitant mon regard. J'aperçois alors comme une lueur de tristesse, ou de regret dans ses yeux, mais celle-ci est tellement fugace que je ne suis pas sûre de vraiment l'avoir vue.
— C'est la dernière fois qu'on se croise. Je... je mets tout le monde en danger.
Je ne comprends rien de ce qu'il raconte. De quoi il parle ? Il met qui en danger ? Est-ce que ça a un lien avec tout ce qu'il veut garder secret ? Est-ce que nos rêves communs ont des répercussions sur son entourage ? J'ai tant de questions qui se bousculent dans ma tête. Avant même que je puisse en poser ne serait-ce qu'une seule, Naël se lève.
— Je venais juste te dire au revoir. Je suis désolé.
Sans un mot de plus, il me tourne le dos et commence à repartir. Avant même de comprendre ce qu'il me prend, je me lève, et le poursuis pour l'arrêter. Sans réfléchir une seconde de plus, j'attrape sa main.
***
Je balance mon oreiller sur le réveil. Dans ta face ! Je sais que je risque de définitivement tuer ce pauvre objet, mais c'est bien le moment le plus frustrant qui soit. Au moment où j'allais lui demander pourquoi, il faut que cette satanée sonnerie s'active. Je suis donc condamnée à rester avec toutes mes questions en tête et aucune réponse. Je me cache sous la couette en soupirant. Cette semaine commence vraiment bien. Le plus grand mystère auquel je faisais face n'aura plus aucune réponse. Lasse, je me prépare sans y accorder plus d'attention.
Sur tout le trajet, Conan tente de me sortir de mon mutisme. Il a beau essayer, rien ne fonctionne. Il réussit tout de même à en obtenir la raison à demi-mots. Grand respect pour mon meilleur ami, capable de me faire parler dans un des jours où mon humeur est des plus massacrantes. Même si ce n'est qu'une phrase, c'est déjà beaucoup. Alors que nous sortons du bus, je vois une agitation anormale parmi nos camarades de classe. Conan part rapidement à la pêche aux informations avant de revenir tout aussi vite.
— On a un nouveau.
Je hoche la tête. Cela me fait une belle jambe. Tout ce à quoi je pense pour le moment est le dos tourné de Naël pendant qu'il s'enfuit, emmenant avec lui les réponses à mes questions. Je suis mon meilleur ami, en me perdant dans l'admiration du sol. Le sol, lui, il évite de me forcer à parler au moins. Et lui, il évite de me tirer par la manche de manière insistante. Je relève la tête, fusillant Conan du regard. Celui-ci est tout pâle. Aussitôt, je regrette d'avoir voulu râler.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? On dirait que tu as vu un fan...
La fin de ma phrase meurt dans ma gorge avant même que je la prononce. J'ai regardé dans la direction que mon meilleur ami fixait. Et là. Et là. En effet, il a vu un fantôme. D'un seul coup, je sens que mes jambes perdent de leur force. De toutes les possibilités sur Terre, il fallait que les choses se passent ainsi. Il fallait que le nouveau, ça soit lui. Naël. Je cligne des yeux. Non, c'est impossible. Ça peut pas être lui. J'ai parlé avec lui quelques soirs, et je suis persuadée qu'il est plus âgé que moi. Les deux ne correspondent pas. C'est forcément un sosie. Quelqu'un d'autre. Un pure coïncidence. Je me retiens de rire. Même moi, je ne crois pas à ce que je pense.
Sans même m'en rendre compte, je m'avance vers lui. Il ne me voit pas. Son regard est rivé sur son portable. Je ne sais pas si cela me rassure que cela se passe ainsi ou pas. Tout ce que je sais, c'est que je peux lire une lueur de mélancolie dans ses yeux. Comme cette nuit. Pas de doute. C'est Naël. Ça ne peut être que lui. Si je suis capable de déchiffrer ses émotions, ça ne peut pas être un inconnu. Je m'arrête face à lui. Il ne m'a toujours pas remarqué. Ou alors, il fait semblant. D'une toute petite voix, je l'appelle.
— Naël ?
L'intéressé relève immédiatement la tête, d'abord surpris que quelqu'un l'appelle. Lorsque nos regards se croisent, il manque de faire tomber son téléphone. Il a l'air aussi choqué que moi de me voir. J'ai instantanément la confirmation que c'est bien lui. Mais comment ? Pourquoi ? De nouvelles questions se bousculent dans mon esprit. Au moins, peut-être que j'aurai des réponses. Désormais je le verrai tous les jours. Je vois que sa main tremble un peu. Ses yeux sont ronds comme des soucoupes. Je dois bien être la dernière personne qu'il devait s'attendre à voir.
— Maï...
A ce moment-là, la sonnerie du lycée annonce le début des cours. Conan m'appelle au loin, avant de se diriger vers la salle de classe. Aussitôt, je le rattrape. Je n'ai pas le temps de digérer ce qu'il se passe. Il vaut mieux que je m'assoie. Après, je réfléchirai. Ma vie commence à perdre tout sens de la réalité. Après avoir découvert que j'ai des visions prémonitoires, voilà que je me mets à partager mes rêves, avec quelqu'un de bien vivant. Mais c'est quoi cette histoire, à la fin ? Et pourquoi Naël ne voulait plus me parler ? Ce n'est pas un changement de lycée qui l'a décidé à faire ça. Une seule chose est sûre : tout ça pue les embrouilles.
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Le Coeur en Rythme
ÜbernatürlichesCela fait officiellement six mois que je fais des cauchemars toutes les nuits. Pas de chance, mais plutôt banal, pensez-vous. Oui, mais les miens, ils prédisent des catastrophes qui arrivent réellement. Des accidents, des attaques, ce que vous voule...