Chapitre 45 : spécialiste et salle d'archives

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Je me redresse brusquement en ouvrant les yeux. Un peu perdue, il me faut quelques secondes pour que les images de mon rêve reviennent. J'ai un frisson de dégoût en pensant au sourire de cet homme. A côté de moi, Naël s'assoit. Je tourne la tête vers lui et croise son regard, indéchiffrable. Nous avons beau être très liés, je ne suis pas encore capable d'entendre ses pensées. Je pense que dans la plupart des cas, c'est un avantage, même si j'aimerais bien savoir ce qu'il a à l'esprit en ce moment-même.

Lors de cette vision, maman avait l'air plus jeune. Et surtout, elle plaçait visiblement beaucoup de confiance en l'homme. Elle n'a pas douté une seule seconde de ce qu'il lui a fait croire. Quant à celui qui a été accusé à tort, qu'a-t-il pu lui arriver ? Est-il mort ? En prison ? Je cache mon visage dans mes mains, accablée par ce que j'ai vu. Ce rêve est forcément lié au dialogue auquel j'ai assisté pendant que ma mère était attachée. Il l'a utilisée pour pouvoir tuer le chef du groupe sans se faire accuser ? Mais pourquoi ? Quelle raison y avait-il à ce meurtre ? Je ne peux pas croire que cela ait été simplement par hasard. Cet homme a l'air extrêmement calculateur.

— Il faut qu'on trouve où a eu lieu cette histoire.

Je tourne mon regard vers Naël, surprise. C'est vrai qu'en y repensant, toutes les personnes qui ont été ensevelies avaient l'air de connaître le meurtrier. Ils savent sûrement la raison de cette attaque. Mais cela peut avoir eu lieu n'importe où. Et on ne sait même pas quand. Une chose est sûre, je n'étais pas née. Il y a de grandes chances que cela soit carrément avant que maman ne rencontre papa. Donc on doit chercher tous les éboulements dans le monde entier sur une durée d'environ cinq ans. Le tout il y a vingt ans. On est pas rendus.

Naël se redresse et descend alors de la bibliothèque. Une fois en bas, il me fait signe de le rejoindre. Sans un mot, j'attrape l'échelle. Lorsque j'arrive à la hauteur du jeune homme, celui-ci part vers la sortie de la pièce, tout en m'indiquant de le suivre. Je fronce les sourcils et le talonne, curieuse. Peut-être a-t-il fait la même déduction que moi et qu'il va demander à Léo ou à Joachim de chercher de ce côté. Au lieu de ça, il m'emmène vers un couloir où se trouvent des chambres. Il finit par s'arrêter devant une porte, à notre gauche, et toquer doucement. Je croise les bras, me demandant qui peut bien se trouver ici.

Voyant que personne n'ouvre, Naël fait une mine renfrognée. Je le bouscule légèrement pour attirer son attention et qu'il m'explique enfin ce qu'il cherche. Il soupire, avant de m'indiquer de retourner dans la salle commune. Nous retournons dans la grande pièce, et je pivote pour lui faire face.

— On a besoin de Karin. Sa spécialité, c'est de retracer les différentes catastrophes naturelles qui ont eu lieu et de les cartographier dans la durée, pour voir si des phénomènes se répètent, et les prévoir.

J'écarquille les yeux. Donc il y a des chances pour qu'elle puisse nous dire où a eu lieu l'éboulement. Aussitôt, je souris. Si elle n'est pas dans sa chambre, c'est qu'elle a une insomnie. Depuis notre rencontre nocturne, je sais qu'elle passe beaucoup de temps en cuisine, quand elle n'arrive pas à dormir. Je lui ai passé quelques recettes, elle doit sûrement les expérimenter. J'indique à Naël de me suivre, et entre dans la fameuse pièce. Au milieu, penchée sur le plan de travail, recouverte de farine, Karin est en train de travailler une boule de pâte. Elle doit sûrement tenter de faire des sablés.

En nous apercevant, la jeune femme sursaute, avant d'arborer un grand sourire. Elle essuie comme elle peut la farine qui se trouve sur elle, en vain. Je retiens un petit rire, avant de m'approcher d'elle. J'observe la pâte, me poudre les mains avant de la manipuler pour voir la texture. Elle s'en sort relativement bien. A mon avis, elle a passé la plupart de ses nuits à s'entraîner à cuisiner. On dirait que je lui ai trouvé une nouvelle passion. Karin m'observe, attentive. J'applaudis silencieusement et elle saute sur place, heureuse de savoir qu'elle a réussi. Puis, elle pose les poings sur ses hanches, curieuse.

— Je suppose que si vous êtes là, tous les deux, ce n'est pas pour de la pâtisserie.

Je souris à ces paroles. Je n'ai jamais vu Naël cuisiner, mais si j'en crois le regard de la jeune femme, cela ne doit pas être souvent le cas.

— On a besoin de ton aide. Il paraît que tu enregistres toutes les catastrophes naturelles dans le monde ?

Elle hoche la tête, soudainement plus sérieuse.

— Tu cherches quoi, où et sur quelle période ?

— Un effondrement il y a au moins vingt ans.

Je vois un rictus ironique se former sur son visage.

— J'ai l'impression que c'est pas ton truc, la précision.

Je baisse la tête, un peu gênée. C'est vrai que mes informations ne l'aident pas beaucoup. Mais c'est tellement vague. Je me mordille la lèvre, hésitant à lui donner plus de détails sur ma vision. Finalement, c'est Naël qui prend les devants.

— Si on te dit qu'il y a eu un meurtre lorsqu'une équipe est venue secourir les victimes, c'est mieux ?

Karin hausse un sourcil, surprise. Elle doit trouver notre demande atypique. Incapables de savoir où ni quand, et pourtant, on peut relater des évènements précis. D'habitude, c'est plutôt l'inverse. Elle passe à côté de nous, en nous invitant à la suivre. Nous emboitons son pas, et elle nous emmène jusqu'au couloir où se trouve sa chambre. Seulement, elle s'arrête une porte avant. Elle entre dans la pièce en laissant l'entrée grande ouverte pour que nous puissions entrer. Je reste bloquée sur le sol, éberluée par ce que je vois.

Partout, des feuilles, des documents, des dossiers. Le tout plus ou moins en piles, certaines s'étant écroulées. Quelques papiers sont grands ouverts sur le lit. Sûrement son travail en cours. Sur plusieurs murs, des planisphères gribouillés. Il y a même des frises chronologiques au plafond, pour les pays ayant connu le plus de catastrophes naturelles. Je suis sûre que cette pièce regorge de plus d'informations que la bibliothèque elle-même. La jeune femme se retourne vers nous en souriant. Elle écarte les bras en grand pour présenter la pièce.

— Bienvenue dans la salle d'archives ! Non officielle. Exclusivement réservée à mon usage. Mais une salle d'archives quand même.

Je détourne la tête pour masquer mon envie de rire. Original comme façon de présenter une pièce. Karin se retourne alors pour filer vers le placard. Je hausse un sourcil. Je me demande dans quel état sont les dossiers que le meuble contient. Aussitôt que la jeune femme ouvre une porte, une dizaine de pochettes tombe. J'échange un regard amusé avec Naël, et la grande blonde continue ses recherches sans se soucier davantage des dossiers au sol. Elle finit par sortir une grande pile de fiches, et les pose en vrac sur le lit.

Pendant que nous nous approchons, Karin passe les informations en revue à une vitesse folle. Elle doit rester grand maximum cinq secondes par feuille, connaissant visiblement ses dossiers sur le bout des ongles. Malgré le peu de données que nous avons pour elle, elle n'a pas l'air de faire les choses au hasard. Au bout de quelques minutes de silence, ponctué par les bruits du papier, la jeune femme brandit une fiche avec un petit son de victoire.

Tendue, je récupère la fiche pour lire ce qu'il y a dessus. On dirait un rapport de sauvetage. Il parle d'un éboulement ayant enfermé tout un village. Le nombre d'individus donné correspond à ce dont je me souviens. Il explique également le meurtre qui a eu lieu, et la posture dans laquelle ils ont trouvé un des villageois. Apparemment, les autres étaient dans un tel état de choc qu'ils ne parlaient plus du tout. En même temps, c'est compréhensible. Ils ont vu un inconnu arriver, tuer leur chef et ensuite les sauver. Il y a de quoi être traumatisé.

C'est alors que je vois le nom de la personne qui a écrit le rapport. Maman. Je déglutis, et mes mains comment à trembler légèrement. Rapidement, je cherche l'emplacement du village. J'espère que je pourrais retrouver ces habitants. C'est le seul moyen de comprendre pourquoi une telle chose est arrivée. Lorsque je trouve le nom du hameau, je le pointe à Karin. Celle-ci sourit avant de me pointer l'un de ses planisphères. Le nom y est écrit, avec sa localisation. Je hausse un sourcil. Le Népal. Rien que ça.

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant