Chapitre 4 : arts plastiques et sauvetage de chien

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J'ai fini par retourner en cours une heure plus tard et le reste de la journée s'est passé sans nouvel incident. Vu comment elle a commencé, ça relève presque du miracle. Même le trajet de bus s'est fait sans encombres. J'espère que le chien de ce matin va bien, d'ailleurs. Alors que le soleil se couche, j'arrive chez moi avec un grand soupir de soulagement. Comme on dit, demain est un autre jour, et j'espère bien oublier celui d'aujourd'hui.

— Mimi !

Je manque de tomber, déséquilibrée par mon petit frère qui s'est littéralement jeté sur moi. Toujours aussi pot de colle, décidément. Il a beau avoir onze ans, il n'a pas l'air pressé de prendre de l'autonomie. Mais après tout, cela ne me dérange pas plus que ça. Qu'il garde son innocence le plus longtemps possible. La réalité fait déchanter plus d'un adolescent.

Alors qu'il se recule enfin, je fais mine d'aspirer de l'air, comme s'il m'avait étouffé. Comme à chaque fois, je le vois croiser ses bras, vexé. Ça marche à chaque fois, c'est absolument génial. J'explose de rire face à sa mine renfrognée et passe une main dans ses cheveux pour les ébouriffer. Aussitôt, je le vois repartir en courant vers sa chambre. Le connaissant, c'est qu'il a quelque chose à me montrer. J'en profite pour enfin enlever mon manteau et mes chaussures, car je n'avais même pas eu le temps de le faire plus tôt. Bientôt, la petite tête brune arrive devant moi, ses yeux bruns pétillants, un grand cahier à la main.

Ah, les arts plastiques. Je peux le deviner d'avance à la tête de la couverture, toute crayonnée et dessinée de partout. Sans oublier les collages et autres décorations extravagantes. Les gribouillages ont beau se trouver sur tous ses cahiers, celui d'arts plastiques, il frôle le génie. Même s'il n'est compréhensible que de mon petit frère. D'un signe de la tête, je lui indique le canapé. Il trottine rapidement pour s'y installer, et je le suis calmement. A peine assise, il me pose son oeuvre d'art sur les genoux. Je cligne un instant les yeux, essayant de comprendre dans tout le fatras de dessins et de brouillons où se trouve ce qu'il veut me montrer. Le petit garçon me pointe alors un petit chien du doigt.

— Madame Pinson était triste aujourd'hui. Elle a dit que son chien a eu un accident. Il a sauté de sa fenêtre. Du coup, je lui ai fait plein de dessins.

Ainsi donc, l'animal qui a atterri sur le toit de mon bus ce matin était celui de sa professeure. Le monde est petit. J'adore les coïncidences de ce type. Par contre, à la dernière phrase de mon petit frère, une petite alarme interne s'active. J'ai peur de ce qu'il va me dire...

— Nathan, qu'est-ce que t'as fait encore ?

— Mais rien ! J'ai juste utilisé une nappe en tissu que j'ai trouvé dans un placard et j'ai peint plein de pattes de chien dessus. Je lui ai dit que ça ferait une couverture pour son chien, le temps qu'il se remette. Elle était très contente. Et du coup, j'ai dessiné notre chien. C'est Melchior.

Je fronce les sourcils. Notre chien ? Mais on n'en a pas ! C'est alors qu'une aboiement se fait entendre. Rapidement suivi d'un chien tout sale, qui devait être de couleur sable à l'origine. Là, il ressemble plus à... Une chaussette oubliée sous un meuble ? Oui, la paire blanche qu'on croit avoir perdue et qu'on découvre noire des mois plus tard. Je me lève pour m'approcher de l'animal, mais m'arrête bien rapidement, en me pinçant le nez. Bon sang, il a vécu dans une poubelle ou quoi ? L'odeur est épouvantable. Je me retourne vers Nathan.

— Mais qu'est-ce que t'as fait ? Maman va te tuer quand elle le verra ! En plus il est en train de salir partout, t'aurais pu le mettre dans le garage en attendant de le nettoyer, quand même !

Je pense que le chien aura besoin d'au moins trois shampoings. Non, cinq. Pour l'odeur. Les parents rentrent bientôt, et s'ils le voient ici, c'est moi qui vais tout prendre. C'est le prix à payer pour être l'aînée. Je soupire en voyant mon petit frère s'agiter et devenir triste.

— Mais il était à la rue, ça fait un mois que je le vois traîner devant l'école ! D'habitude, je le nourris. Mais l'histoire de Madame Pinson m'a rendu triste, du coup j'ai voulu aider Melchior. Et il est tout content depuis qu'il est là !

Tu m'étonnes. Nourri et logé, qui crache dessus, franchement ? Surtout si cela fait un mois qu'il vit à la rue. Une nouvelle famille, le rêve pour lui. Je soupire. Il faut vraiment qu'on le lave, c'est le minimum. Sinon maman va faire une crise cardiaque. Je me disais aussi qu'il y avait une odeur bizarre quand je suis rentrée.

Je me retourne pour aller chercher une de mes écharpes dans l'entrée. Celle qui craint le moins de préférence. Elle me servira à m'approcher du chien sans finir intoxiquée. Je place le bout de tissu devant le bas de mon visage, et m'approche de l'animal. Mince, pas de collier. Ça m'aurait aidé pour l'emmener jusqu'au garage. Je me retourne vers Nathan, un peu perdue.

— Et tu fais comment pour l'emmener là où tu le souhaites ?

Je le vois sourire jusqu'aux oreilles avant de se lever d'un geste vif, et de trottiner jusqu'au chien. J'ai une moue de dégoût en le voyant s'accroupir près de lui et lui faire des câlins. Comment il fait pour ne pas avoir envie de vomir ? Mon frère m'étonnera toujours par ses capacités hors normes. Il doit être né sans odorat. Ce n'est pas possible autrement. On l'aurait sûrement remarqué avant, mais je ne vois pas d'autres options. Il lui manque forcément de quoi sentir cette odeur nauséabonde.

Petit à petit, nous guidons l'animal, enfin, Melchior, jusqu'au garage. Je sens que cette histoire va mal finir. Pendant que j'attrape une grande bassine pour la remplir d'eau, j'envoie Nathan chercher tous les shampoings que nous avons. Certes, ce n'est peut-être pas fait pour les chiens. Mais nous n'avons rien d'autre, et là, il y a vraiment urgence. Heureusement qu'on ne possède que des formules pour enfants. C'est prévu pour le cuir chevelu fragile. Ça devrait bien fonctionner sur un chien, non ?

Je vide déjà la première bassine sur l'animal pour le mouiller. Celui-ci ne bronche pas. Il ne bouge même pas d'un poil. Comme s'il avait compris que c'était pour l'aider. Ou peut-être qu'il se dit qu'il doit plaire à la famille pour rester. Et donc faire tout ce qu'on veut. Je me demande vraiment d'où il vient... En tout cas, l'eau tiède n'arrange pas l'odeur. Au contraire, le poil mouillé, c'est encore pire. L'odeur de chien mouillé, vous avez une idée de ce que c'est ? Rajoutez celle des ordures par dessus. Vous aurez une petite idée de l'agression olfactive que je dois subir. Bon sang, dire que les chiens ont l'odorat plus fin que le nôtre. Ça doit être insupportable pour lui. Sauf s'il est habitué, depuis un mois qu'il vit dans la rue. Dans ce cas, je le plains.

Lorsque mon petit frère reviens avec six bouteilles de shampoing, je comprends qu'il est allé chercher dans toutes les armoires pour trouver le maximum possible. J'acquiesce face à son idée. Finalement, il a peut-être un odorat. Mais il est sacrément résistant aux mauvaises odeurs. En posant son trésor à mes pieds, il tourne la tête vers le chien en souriant.

— Regarde Melchior, tu vas sentir tout bon comme ça ! Et maman voudra bien te garder du coup !

Ça, je n'en suis pas si sûre. Mais j'évite tout commentaire, et je commence à nettoyer le chien en vidant la première bouteille sur lui. A deux, nous frottons le pelage de l'animal avec force. Celui-ci ne dit rien et ne bouge pas. Heureusement, ça serait bien compliqué sinon. Premier rinçage. Le poil est déjà plus clair, mais il a tendance a faire des paquets par endroits, et l'odeur est encore bien présente. J'attrape la bouteille suivante. Nous continuons ainsi jusqu'à ce qu'il reste une bouteille. Désormais, Melchior sent la pomme. La joie des parfums pour enfants... En tout cas, c'est clairement mieux. Par contre, nous, nous sommes tous les deux complètement sales. Nos vêtements sont tout tachés, à force de nettoyer le chien. J'attrape ensuite une serviette que Nathan avait pensé à emmener et je frotte le plus vigoureusement possible pour sécher le pelage de l'animal. Désormais, j'ai face à moi un grand chien magnifique. Il doit m'arriver au genou, et possède un poil mi-long couleur crème. Sa queue s'agite de joie, comme un plumeau. Tiens, ça aidera maman à faire la poussière.

Alors que nous retournons dans la maison, fiers de ce que nous venons d'accomplir, nous tombons justement sur notre mère, qui lâche son sac, la bouche grande ouverte. Je regarde un instant autour de moi, mais le chien n'arrive qu'à ce moment-là. Ce n'est que quand elle le voit qu'elle commence à reprendre ses esprits. Elle nous dévisage l'un après l'autre.

— Qu'est-ce que c'est que ça ?!

Là, je me demande si elle parle de Melchior ou de notre tenue. En tout cas, ça va barder. Une journée aussi tordue ne pouvait pas bien se finir. Je le savais, en plus. Je sens Nathan attraper le bas de mon t-shirt pour le serrer. Restons unis face à la tempête maman. Nous ne nous en sortirons pas vivants, sinon.

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant