J'expire lentement en me massant les tempes. Les deux idiots ont recommencé leur dispute, avec moi-même pour seule spectatrice. La rouquine de tout à l'heure m'observe avec un air compatissant. Je dois avoir l'équipe la plus discordante du coin. Exaspérée, j'enlève mon casque de mes oreilles. Tout me paraît bien plus calme, d'un seul coup. Je soupire, à la fois de soulagement et de désespoir. Il va bien falloir que je m'y remette à un moment ou à un autre.
Ce sera pour plus tard. J'ai besoin d'une pause. Je me lève et pars en direction de la machine à café. J'appuie machinalement sur le bouton marche et un gobelet descend, bientôt suivi par l'odeur du café en train d'être versé. Je n'ai pas vraiment eu un sommeil réparateur dans l'avion, enchaîner directement avec une opération d'une telle ampleur, ça demande un expresso noir très serré. Avec un peu de sucre. Il y a des limites à ce qui est buvable.
Au moment de boire une première gorgée, Elliott arrive à son tour. Ses cernes sont énormes. Cela doit faire plus de dix heures que nous travaillons sans nous arrêter. Il étouffe un bâillement en s'arrêtant face à moi. Je le salue rapidement de la tête en retour. Alors qu'il attrape son verre à son tour, le scientifique commence à me faire un résumé de la situation.
— Bon, en définitive, l'endroit est instable, il y a des fortes chances pour qu'un nouveau tremblement de terre ait lieu mais on n'arrive à déterminer ni l'épicentre, ni le moment où cela arrivera. Une bonne soirée en perspective.
En voyant son air morose, je ne peux m'empêcher de lui répondre.
— Au moins, t'as pas deux gamins qui se chamaillent pour un rien dans tes oreilles.
Elliott a un sourire désabusé en m'entendant. Il affiche un air désolé avant de hausser un sourcil. Je tourne la tête en direction de mon poste de travail.
— Tout à l'heure, c'était à propos de qui savait faire le plus efficacement possible un noeud solide et sécurisé.
Le scientifique pousse un petit sifflement d'admiration. Il hoche la tête, éberlué.
— Y a du niveau, en effet. T'as rien à envier. Tiens bon, dans une demi-heure il fera trop sombre pour continuer. Tu auras enfin le droit de souffler un peu.
Il me fait un clin d'oeil complice et je lâche un petit rire. Je le salue alors pour retourner à mon poste et affronter à nouveau les disputes du duo. Je suis toujours aussi épuisée mais j'ai un peu plus le moral, maintenant. Heureusement qu'Elliott est là. L'équipe ne tiendrait pas une seconde sans lui.
Au moment où je replace le casque sur mes oreilles, je grimace. Le son de la dispute m'agresse aussitôt. Ma voisine me tend alors un petit papier que je déplie. "Ils continuent encore ?" J'attrape un crayon pour lui répondre. "Même sujet que tout à l'heure. Pas sûr qu'ils aient remarqué mon absence." Puis, je lui tends le morceau de feuille. La rouquine hausse les sourcils avec surprise avant de me regarder et de grimacer. Mes coéquipiers ne sont pas des cadeaux, en effet. Je pousse un petit soupir avant de m'interposer dans la querelle du duo.
— Vous pourriez pas la mettre en sourdine un instant ? Juste le temps que le café fasse effet. Mes oreilles vous remercient.
Un silence religieux s'installe alors. Je m'adosse à ma chaise avec plaisir. Mais cela ne dure pas longtemps. Même mon intervention peut créer un conflit.
— Bah bravo, monsieur je lance des leçons, Maï est à bout, maintenant !
— T'es sérieuse, là ? Je te signale que c'est parce que tu es incompétente que ça l'exaspère !
Je pose mon pouce et mon index sur l'arête de mon nez pour la masser. Pourquoi ai-je accepté que ces deux-là fassent équipe ? C'est sûrement la plus grosse erreur que j'ai pu faire pour ce voyage. Je pose mes coudes sur la table face à moi et cache mon visage dans mes mains. La migraine va finir par m'achever.
Je relève la tête pour regarder l'heure sur mon écran. Encore un bon quart d'heure avant de terminer. Tout ce temps perdu. Leurs querelles incessantes n'ont fait que les empêcher de travailler. Les autres équipes n'ont pas arrêté de les envoyer ailleurs. Résultat, pendant des heures, ils ont déplacé du gravat pour rien, escaladé inutilement des zones rocheuses et aidé personne.
En plus, un tremblement de terre aura bientôt lieu. Tout près d'ici, faisant de nouvelles victimes et nécessitant une coopération efficace. J'imagine ces pauvres personnes coincées sous les gravats, blessées par ceux-ci lors du prochain séisme. Certaines y laisseront sûrement la vie. D'autres seront privées d'un membre. Les images qui me viennent me font frissonner de peur.
Une exclamation soudaine me tire de mes pensées. Je tourne la tête vers la rouquine, qui me semble est à l'origine du son. Ma tête est lourde et je vois flou. Je pose une maine sur ma tempe droite, la douleur me faisant grimacer. Le goût du sang se fait alors sentir dans ma bouche. Il ne manquait plus que je saigne du nez. Je retire mon casque d'un mouvement rapide et me lève pour aller chercher un mouchoir. Seulement, mes jambes semblent décider du contraire. Je m'écroule au sol, à moitié inconsciente.
Les sons deviennent lointains autour de moi. J'ai l'impression d'avoir la tête sous l'eau. Je sens une agitation croissante à côté mais ne parviens pas à comprendre ce qu'il se passe. Je me force à me concentrer sur ces derniers instants, pour ne pas perdre pied. J'avais mal à la tête. J'ai commencé à saigner du nez. Je ne tiens plus debout. Je n'y connais pas grand-chose en médecine mais ça ne m'étonnerait pas qu'on me parle de burn out. Dix heures que je travaille et je suis déjà à bout. En y réfléchissant à nouveau, peut-être que je ne serais pas la seule dans ce cas. Avoir des coéquipiers qui se disputent pendant tout ce temps sans s'arrêter et n'arriver à rien à cause de ça... Il y a de quoi craquer.
Je sens qu'on me soulève doucement. Je cale ma tête contre l'épaule de la personne qui me porte pour ne pas la mettre plus en difficulté. Je la sens se pencher vers moi pour me parler tout doucement. Au milieu du brouhaha flou qui m'entoure, sa voix me paraît alors claire, nette. Calme. Une onde au milieu de l'océan. Je m'agrippe à celle-ci.
— Ne fais pas attention à la panique ambiante. Nos collègues s'affolent à la moindre goutte de sang. Tout va bien, tu as juste besoin de te reposer. J'ai prévenu ton coéquipier scientifique qui va prendre le relais. Pendant ce temps, je t'emmène à l'infirmerie.
L'information risque de provoquer une peur bleue à Naël et Tat'. Avec un peu de chance, ils arrêteront de se disputer, le temps de débouler ici à toute vitesse. Rassurée par les mots de la rouquine, je sombre dans l'inconscience.
***
NDA
Entre Naël et Tat', ça peut vite devenir explosif. Pensez-vous que l'état d'épuisement de Maï les calmera ? (j'avoue avoir eu envie de leur foutre des tartes pendant que j'écrivais ces deux chapitres) Réponse à la question, demain !
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Le Coeur en Rythme
ParanormalCela fait officiellement six mois que je fais des cauchemars toutes les nuits. Pas de chance, mais plutôt banal, pensez-vous. Oui, mais les miens, ils prédisent des catastrophes qui arrivent réellement. Des accidents, des attaques, ce que vous voule...