Chapitre 13 : entretien et aveux

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Après un sprint qui me parut durer une éternité, Naël s'arrête dans une petite rue. Pliée en deux, je tente de reprendre mon souffle. Si ce matin, plein de questions se bousculaient dans ma tête, actuellement, c'est un ras-de-marrée. Je ne sais même pas comment mon cerveau fait pour suivre toutes ces informations en même temps. Je me suis déjà évanouie pour moins que ça. Naël est le premier à reprendre son souffle.

— Ça va ?

Toute la colère que j'ai emmagasiné dans la journée remonte alors en moi. Je le fusille du regard.

— Au cas où t'as pas remarqué, je ne suis pas une demoiselle en détresse. Je sais très bien me défendre.

J'aperçois une lueur de surprise passer dans ses yeux. Et bim, dans tes dents ! Tu ne t'y attendais pas à celle-là, hein ? Moi aussi, je suis beaucoup plus complexe que tu ne le crois. On ne se connait pas, après tout. Puis, j'aperçois de l'amusement danser sur ses iris. J'ai raté mon effet. Mais mince, je fais quoi moi, maintenant ? Déjà, commencer par détourner le regard. Ce n'est pas en me perdant dans ses yeux que j'arriverai à réfléchir correctement. En fait, je pense que ce n'est pas aujourd'hui que j'arriverai à réfléchir correctement tout court.

La scène qui vient de se passer dans la salle de classe me revient alors en tête, en images détaillées. Merde. Je ne peux retenir mon juron. Mais qu'est-ce qu'on a fait ? Je cache mon visage dans mes mains. Je vais me faire virer du lycée. Personne ne voudra me reprendre. Je n'aurai pas mon bac, à quelques mois à peine de celui-ci. C'est rageant. D'un seul coup, je me sens complètement perdue. Peut-être que si l'on revenait là-bas, en expliquant que nous sommes partis aux toilettes et qu'à notre retour, le prof était comme ça... Non, je suis déjà bien trop choquée par ce qu'il vient de faire. Et je suis la pire menteuse de tous les temps. Je me ferais griller directement.

— Bon, on va où, maintenant ?

Je relève la tête vers Naël. Sérieusement, c'est à moi qu'il pose la question, là ? C'est quand même lui qui m'a entraînée dans ses histoires ! Il devrait avoir au moins prévu quoi faire après sa bagarre avec Monsieur Chamal ! Peut-être que c'est le cas, en effet. Sauf qu'il ne veut pas m'embarquer là-dedans. Il me cache encore quelque chose. Je commence à en avoir marre de tous ces secrets. Je soupire et me relève. Il y a une seule personne en qui j'ai une confiance absolue quand les choses tournent mal. Il saura sûrement nous aider.

— Suis-moi, on va voir mon maître.

— Hein ?

— Mon maître d'armes.

J'ai un ton impatient, mais je ne suis clairement pas en état de raconter ma vie. Je pars en silence en direction du dojo, tandis que Naël me suit sans dire un mot de plus. A nouveau, je sens son regard posé sur moi. Je serre les dents. Volontairement, je me décale pour que nous marchions côte à côte. Cela devrait régler le problème. Pendant le trajet, je remarque que Naël a un air pensif. Le même que dans nos rêves. Il se mordille légèrement la lèvre, les yeux dans le vague. Maïwenn, réveille-toi ! Rappelle-toi pourquoi tu fais ce trajet avec lui, et arrête de rêvasser ! Je tourne la tête pour me concentrer sur le chemin. Cela devrait m'éviter de divaguer encore.

Dès que j'aperçois le dojo, je me sens plus sereine. Mes pensées tourbillonnantes commencent enfin à se calmer. Je sais que je suis en sécurité là-bas. Et peut-être aurais-je aussi des réponses à mes questions. Ça, je n'y crois pas trop, en revanche. Je finis plus souvent avec encore plus d'interrogations. C'est très cliché, il n'empêche, cela ne vient pas de nulle part, cette légende. Au moins, j'aurai de l'aide. Et ça, cela vaut bien mille mystères. Alors que j'entre dans le bâtiment, je tombe nez à nez avec le maître. Celui-ci m'observe, surpris de me voir là. En même temps, je ne peux pas lui en vouloir. Le cours, ce n'est clairement pas aujourd'hui.

— Maïwenn ? Mais qu'est-ce que...

Son regard se pose sur Naël, derrière moi. Aussitôt, le maître se rembrunit. Il soupire. Je ne peux en déduire qu'une seule chose. Les deux hommes se connaissent. Je ne sais pas pourquoi ni comment. Mais je ne veux pas le savoir. J'ai déjà trop de questions en suspens, c'est fatiguant à force. Le maître nous tourne alors le dos en direction de son bureau.

— Suivez-moi.

Aussitôt, je m'inquiète. Je ne l'ai jamais entendu avoir un ton aussi grave. Qu'est-ce que je vais encore apprendre que je ne devrais pas savoir ? Ma curiosité s'est envolée d'un seul coup. Je ne tiens plus vraiment à obtenir de réponses. J'ai bien trop peur des conséquences que celles-ci pourraient avoir. En silence, nous parcourons le couloir. Nous entrons ensuite dans une pièce sobre, contenant uniquement une table basse et quelques coussins. D'un geste, le maître nous invite à nous asseoir. Nous obtempérons immédiatement. Du coin de l'oeil, je vois que Naël n'est pas vraiment à l'aise. Le maître s'installe en soupirant. Décidément, c'est la première fois que je le vois ainsi. Cela ne me rassure pas plus.

— Raconte-moi ce qu'il s'est passé, Maïwenn.

Surprise, je commence à bégayer. Je marque une pause et inspire profondément pour me calmer. Par où commencer ? Par quoi ? Je décide alors de ne parler que de l'incident de la soirée, après avoir expliqué que nous avions tous les deux finis en colle. Le maître me fixe intensément. Je remue légèrement, mal à l'aise. J'ai encore mal fait quelque chose... Mais quoi ? Je n'en sais rien. Lorsque je termine mon récit, le maître nous observe tour à tour, avant de poser à nouveau son regard sur moi.

— Et comment se fait-il que vous ayez l'air de vous connaître depuis plus longtemps que ce que tu me dis ?

Mes yeux s'agrandissent comme des soucoupes. Il n'y a pas à dire, mon maître est incroyable pour capter des informations invisibles. Je fais quoi, moi ? Je lui explique qu'on se connaît par les rêves ? Mais je vais paraître complètement folle ! En même temps, vu que Naël m'a reconnue ce matin, ça veut dire qu'il est dans le même bateau... Donc si nous sommes deux, peut-être que...

— Nous partageons nos rêves.

Je tourne la tête vers Naël, qui a parlé pour la première fois depuis que nous sommes ici. Bon, ça au moins c'est dit. J'aperçois une lueur de surprise dans les yeux de mon maître, puis je le vois nous regarder tour à tour. C'est la preuve qu'il nous connaît tous les deux. Et également qu'il se demande comment une chose pareille est possible. Je le vois baisser la tête et se frotter le visage avec sa main.

— Allons bon, il ne manquait plus que ça... Ça ne pouvait pas être quelqu'un d'autre ? Ma pauvre Maïwenn, tu as bien dû être perdue en rencontrant Naël ce matin.

Sans même m'en rendre compte, je hausse les épaules. Mes nuits sont déjà bien folles comme ça, je n'étais franchement plus à ça près...

— C'est toujours moins violent que de faire des cauchemars prémonitoires.

Je me rends compte de mes paroles seulement après les avoir prononcées. Bravo, Maïwenn, l'oscar de la fille la plus réfléchie te revient sans nul doute ! Le maître pose d'un seul coup ses mains sur la table basse qui nous sépare et se penche au-dessus de celle-ci. J'ai un léger mouvement de recul, mal à l'aise. A côté, j'entends Naël s'agiter également. Leurs voix résonnent alors au même moment ?

— Je te demande pardon ?

Toujours tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Je pense qu'après cette boulette monumentale, je n'oublierai pas de le faire. Moi qui pensait être dans le pétrin jusqu'au cou, j'ai réussi à empirer encore ma situation. A ce niveau-là, c'est du talent.

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant