Chapitre 56 : nouvelles disputes et malaise

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Assaillie de part et d'autre par les vertiges et les migraines, j'ai de plus en plus de mal à marcher droit. Le manque d'entraînement et la pente raide que nous grimpons n'aident pas. Je sens mes jambes flageoler. C'est un miracle que je réussisse à avancer. Encore plus si l'on considère que personne n'a rien remarqué.

Je jette un coup d'oeil derrière moi. En même temps, avec le rafus que les deux autres font, pas étonnant qu'ils ne se rendent compte de rien. Cela fait une heure que Naël et Tat' se disputent sans s'arrêter. Même Elliott n'a pas réussi à les faire taire. Heureusement pour nous, il est bientôt l'heure de s'arrêter pour se reposer. Le scientifique m'a indiqué qu'il y avait une grotte un peu plus haut. L'endroit idéal pour passer la nuit, d'après lui.

Alors que j'avance mon pied droit, je sens un petit caillou sous ma semelle. Celui-ci se déloge sous mon poids pour glisser en contrebas. Sous la surprise, je perds l'équilibre. Une main attrape fermement mon poignet et me redresse. Aussitôt, je suis tirée vers l'avant. Je reprends mon avancée, l'adrénaline du moment encore présente. Lorsque j'ai repris suffisamment d'aplomb, Elliott lâche mon poignet et m'accorde un léger hochement de tête. Je lui réponds par une grimace désolée.

Les tremblements de terre ont rendu le terrain particulièrement instable. Chaque pas nécessite une grande concentration pour ne pas tomber. Je baisse mon regard au sol, essayant d'oublier les deux insupportables qui nous suivent. Je ne dois pas laisser mon esprit vagabonder. Si je ne fais pas attention, je pourrais très bien chuter dans le ravin, la prochaine fois. Un léger coup d'oeil sur ma gauche me fait frémir. Je n'ai pas envie de finir dans le vide aujourd'hui.

Le ciel se colore de teintes rougeâtres. Nous atteignons une surface plane, exténués. Je transpire à grosses gouttes, le souffle haletant. Je ne suis définitivement pas au mieux de ma forme. Heureusement pour moi, la grotte est juste à côté. Dès que nous y entrons, je m'écroule par terre. Naël et Tat' se disputent toujours. Comment font-ils pour hurler si longtemps ? Ils devraient avoir fait le tour de tous les sujets de discorde à présent. Pourtant, ils continuent, sans avoir l'air prêt à se calmer.

Excédé, le scientifique les envoie chercher du bois. Je le remercie du regard. Un peu de calme ne peut pas faire de mal. Ne pouvant plus bouger, j'observe Elliott monter le camp. Il est d'une efficacité redoutable. Chacun de ses gestes semble calculé au milimètre près. Peut-être que c'est réellement le cas, d'ailleurs. Le connaissant, il a très bien pu s'entraîner des dizaines de fois à déballer et remballer toutes les affaires pour trouver la méthode la plus optimisée.

Une douce odeur de nourriture m'enveloppe. Il commence à préparer les vivres que nous avons emmenés pour le repas de ce soir. Il suffit juste de cuire le tout quelques instants pour réchauffer le contenu et ce sera bon. J'observe les conserves ouvertes, dubitatives. Je suis certaine de mourir de faim, avec toute cette marche. Pourtant, je sens mon estomac se nouer à l'idée de manger.

Les éclats de voix de nos deux compagnons annoncent leur retour avant même que nous les apercevions. Ils n'ont tout de même pas ramassé du bois en continuant leur dispute stupide, si ? La migraine se renforce à nouveau, la douleur se répercutant contre mes tempes. Je porte une main à mon front, ne sachant plus quoi faire pour qu'ils se taisent.

Pendant que les boîtes qui constitueront notre repas sont à cuire, le silence commence à s'installer. Enfin, un peu de répit. L'ambiance est atroce, mais au moins, c'est calme. Naël et Tat' se fusillent du regard. C'est toujours mieux que d'entendre leurs cris incessants. Dans un soupir, Elliott nous indique que c'est prêt.

Ma meilleure amie attrape l'une des boîtes d'une main vive, mais la retire aussitôt en grimaçant. Elle était tellement absorbée à montrer son inimitié au jeune homme qu'elle s'est brûlée. Naël en profite aussitôt pour la railler.

— Tu espères vraiment nous être utile alors que tu te blesses de manière si stupide ?

Cette remarque relance alors leur dispute incessante. Je tente de me concentrer sur mon propre repas pour les oublier. Je vais finir par m'y habituer. Je n'ai pas le choix, c'est impossible de les calmer. Alors que j'allais entamer ma première cuillère de chili con carne industriel, un violent haut le coeur m'arrête dans mon mouvement. Je repose la boîte au sol, une main sur le ventre. J'ai la sensation que cela ne va pas passer.

Le scientifique me fixe, le visage indescriptible. On dirait qu'il m'analyse. Il a sûrement remarqué que quelque chose clochait. Une nouvelle nausée s'empare de moi. Je me force à me lever pour sortir de la grotte. J'ai besoin d'air frais. La brise du soir m'aidera à me sentir mieux, j'en suis certaine. Cela a toujours fonctionné.

Sauf cette fois. Une troisième vague m'assaille, et je ne peux résister plus longtemps. Je me plie en deux, une main posée contre la paroi, et vomis mes tripes. Heureusement pour moi, je n'ai pas encore mangé. La bile acide me brûle la gorge. Mes jambes tremblent à nouveau, je sens mes forces décliner.

La présence d'Elliott me rassure aussitôt. Il m'attrape délicatement par les épaules, me guide vers le bord du ravin. Là, il m'aide à m'agenouiller, puis à m'appuyer contre une pierre. Un nouveau haut-le-coeur me retourne l'estomac. Je crache un peu plus de salive. Maintenant, mon corps entier tremble, exténué.

Le scientifique serre la mâchoire, énervé. Je l'observe se relever, la mine fermée. Il pivote d'un geste sec vers la grotte. Après quelques pas dignes d'un robot, il se plante devant nos deux compagnons les poings sur les hanches. Là, je le vois prendre une grande inspiration. Par réflexe, je bouche mes oreilles avec mes mains.

— C'EST PAS BIENTÔT FINI CES GAMINERIES ?!

Surpris, Naël et Tat' se tournent vers lui. Ils sont bouche bées, les yeux écarquillés. J'ai un demi sourire, fière de voir qu'Elliott a enfin réussi à les faire taire.

— Au cas où vous l'auriez oublié, Maï est à bout de forces ! Vos disputes incessantes ne font qu'empirer le problème ! Vous ne vous êtes même pas rendus compte de la dégradation de son état !

Leurs regards coulent au même moment dans ma direction. La culpabilité se lit dans leurs prunelles. Ils baissent la tête, penauds. Le scientifique soupire. Il a ramené le calme dans le groupe, mais ça ne m'aide pas à soigner tous mes maux, il le sait parfaitement. Cela m'offre juste un répit temporaire.

— L'état de Maï s'est dégradé bien plus vite que je ne le pensais. Si cela continue, nous allons devoir la porter à tour de rôle sur le trajet qu'il nous reste à faire.

Je grimace en entendant ces paroles. Je n'aime pas l'idée de devenir un sac à patates. Néanmoins, cela ne sert à rien de protester. Mon corps tremble de partout, je suis tellement mal que je sens la faiblesse de mes membres. Ils ne me porteront pas bien loin, ça c'est sûr. Il va falloir que j'accepte que d'autres le fassent pour moi.

Avec des gestes d'une lenteur insupportable, je tente de me relever pour rejoindre la grotte. Je manque de tomber avant même d'être complètement debout. Heureusement, le rocher à côté de moi m'aide à me rattraper. Naël se précipite vers moi, mort d'inquiétude. Je sens que la culpabilité le ronge également. Il passe mon bras par-dessus ses épaules pour me soutenir. Ensemble, nous retournons dans la grotte.

Sur les quelques mètres qui nous séparent de celles-ci, il ne cesse de s'excuser à voix basse. Je lui donne un léger coup de pied pour le forcer à se taire. N'ayant plus aucune force, le geste est ridicule, mais cela suffit à l'arrêter. Il me jette un coup d'oeil, désolé. S'excuser de s'excuser trop, n'importe quoi.

Avec mille précautions, le jeune homme m'aide à m'installer dans mon sac de couchage. Tout le monde en profite pour s'allonger. Au bout du rouleau, n'ayant plus aucune énergie, je ferme les yeux, sentant le sommeil m'envahir. La seule chose que je remarque avant de m'endormir, c'est la présence de Naël qui s'est lové contre moi, comme s'il avait peur que je ne disparaisse dans la nuit. Les ténèbres m'emmènent avec elles, cette fois, sans aucun rêve qui les accompagne.

***

NDA

Il est fort possible que l'écriture soit légèrement différente entre ces deux chapitres (c'est normal, il y a plus de 6 mois d'écart entre les deux) On dirait que la discorde qui s'est installée entre Naël et Tat' ne fait que se renforcer. Heureusement qu'Elliott est venu à la rescousse. Vous auriez réussi à tenir tout ce temps avec les deux autres en train de s'engueuler constamment ? A demain pour la suite !

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant