Chapitre 41 : photo et paris

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Je me réveille en sursaut, haletante. Je sens mon coeur tambouriner dans ma poitrine. Complètement perdue, je regarde autour de moi. En reconnaissant la chambre dans laquelle je me suis récemment installée, mes épaules se détendent. Assise, je m'adosse au mur et soupire. En fixant un point invisible devant moi, je me perds dans mes pensées. Je sais que j'ai fait un mauvais rêve. Je n'aurais pas été autant paniquée, sinon. Mais je suis incapable de me souvenir d'une seule image. Je passe une main sur mon visage, dépitée, avant de me lever. Je ne trouverai certainement pas maintenant le sujet de mon rêve. Plus on cherche, plus ça nous échappe.

En m'approchant de la grande salle, je sens la panique monter en moi, doublée d'une détresse tellement puissante qu'elle me coupe le souffle. Je fronce les sourcils. Ces émotions ne viennent pas de moi, ça j'en suis sûre. Je n'ai absolument aucune raison de ressentir ça maintenant. Lorsque j'entre dans la pièce, j'aperçois toute la petite équipe réunie autour d'une table un peu plus loin. Naël s'agite et gesticule dans tous les sens, pendant que les autres tentent vainement de le calmer. Je comprends mieux pourquoi je me sentais mal. En quelques pas rapides, je rejoins le groupe, pour comprendre ce qu'il se passe.

Au dernier moment, Mia me voit et bondit de sa place pour me rejoindre. Elle a l'air complètement désespérée. Surprise, je l'observe attraper mes mains entre les siennes et les serrer brièvement. Je hausse un sourcil interrogateur.

— Maïwenn, par pitié, dis-moi que votre super lien magique pourra nous sauver.

Je cligne des yeux, déroutée par sa phrase. Elle continue de m'observer, le visage de marbre. D'accord. Elle est sérieuse. Je me mords la lèvre pour retenir un sourire amusé. J'ai l'impression que cette histoire a pris une ampleur énorme pour pas grand-chose. Et je ne sais toujours pas ce qu'il se passe en fin de compte. Je tourne la tête vers le reste du groupe, et remarque qu'ils ont tous un visage fermé. J'ai définitivement loupé un épisode. Mia serre à nouveau mes mains pour attirer mon attention.

— Maï, je suis sérieuse. J'ai besoin que tu nous aides à retracer le parcours de fin de journée de Naël. Il a perdu une photo très importante pour lui.

Je parcours mon entourage du regard. Je ne sais pas quelle est cette image, mais cela a l'air de paniquer tout le monde de la savoir oubliée on ne sait où. Leur idée est absolument géniale, étant donné l'état du concerné. Le hic, c'est que je ne suis pas pour autant capable de visiter les souvenirs du jeune homme. Certes, on peut faire énormément de choses. Mais il y a quand même quelques limites.

Je repense alors à hier soir. Je déglutis, aussitôt gênée de me rappeler de cette situation maintenant. Sans m'en rendre compte, mes yeux se posent sur Naël. Il a la mâchoire serrée pour bloquer au mieux ses émotions. En me concentrant sur lui, je peux me rendre compte que cela lui fait même mal. Il est au bord des larmes, et fait tout pour garder la face. L'image de son visage en sanglots hier soir me percute alors de plein fouet. Je lève la tête vers le couloir menant à la bibliothèque, et cours vers celle-ci. L'émotion qu'il tente de contenir est la même qu'hier soir. C'est forcément lié.

En arrivant dans la pièce, je ralentis, mais continue mon chemin droit vers la cachette du jeune homme. Je reste aux aguets pour vérifier qu'on ne me suive pas. Ils n'ont pas dû bien comprendre ce qu'il me prenait, mais j'espère sincèrement qu'ils vont rester auprès de lui plutôt que de me suivre. Cet endroit, c'est son repaire à lui. Personne ne peut le lui prendre.

Lorsque j'arrive près du mur en question, je me faufile comme la nuit dernière. Rapidement, l'espace s'agrandit, et je peux voir quelque chose à terre. La photo est presque cachée sous l'étagère, et seul un petit coin en ressort. Je m'accroupis et l'attrape délicatement. Incapable de résister à la curiosité, j'observe l'image. Dessus, on peut voir une famille souriante, et heureuse. Naël se trouve au milieu, avec une petite fille devant lui. Sûrement sa petite soeur. J'ai un léger sourire. Il doit être adolescent sur ce cliché. Je suppose que ceux qui l'entourent sont ses parents. La vieille dame à côté des enfants doit être sa grand-mère. Par contre, l'homme à côté de son père... Je fronce les sourcils. Il ressemble à celui que Naël avait montré à mon frère. Le meilleur ami traître. Il a son bras passé sur les épaules du père du jeune homme. Ils ont l'air tellement heureux et unis sur cette photo. Qu'est-ce qui a bien pu se passer ?

Je sursaute lorsque j'entends Mia m'appeler à l'autre bout de la bibliothèque. Rapidement, je sors de la cachette, et la rejoins. Heureusement que la pièce est en angle, depuis l'entrée elle ne peut pas me voir. Cela m'évite de devoir expliquer comment je connais le repaire de Naël. Je me mordille la lèvre, gênée de penser à nouveau à hier soir. Avec toute cette histoire, je ne sais même pas comment il va réagir tout à l'heure.

Lorsque je brandis la photo, la jeune femme me lance un grand sourire. Elle pense vraiment que j'ai fouillé dans les souvenirs de Naël pour la retrouver ? A son regard brillant, je peux en conclure que oui. Certes. Cela m'évite de trouver une justification à comment j'ai pu retrouver le cliché. Mia passe devant moi et m'escorte jusqu'à la salle commune. Lorsque nous arrivons, cette dernière écarte grand les bras pour attirer l'attention du petit groupe, avec une mine victorieuse. Je m'écarte d'elle et agite l'image. Aussitôt, son propriétaire saute de sa place, et court vers moi. Un souvenir de sa vie lumineuse d'antan. Avant que tout ne bascule. Il doit y tenir comme à la prunelle de ses yeux.

Il s'arrête net en arrivant devant moi, et reste ainsi, le regard rivé sur la photo que je lui tends. Je penche la tête sur le côté, inquiète. Avec une douceur infinie, il attrape le cliché. Un grand sourire s'empare alors de ses lèvres, et il me serre dans ses bras. Surprise, je ne bouge pas. J'entends Joachim éclater de rire, et je lui lance une oeillade noire. J'aperçois alors tous les autres avec le même air amusé. Je retiens un soupir. D'accord, ils n'attendaient que ça. Je suis sûre qu'ils n'ont pas fait le moindre effort pour retrouver cette photo. A tous les coups, il y a des paris en cours qui flottent au-dessus de nos têtes.

Naël m'écarte alors de lui, et attrape mon visage entre ses mains. Nos regards se croisent, et je remarque qu'il m'observe intensément. Ses émotions me submergent d'un coup, de la puissance d'un tsunami. Cet échange silencieux en dit bien plus long que les mots. Sa gratitude est tellement puissante. Je remarque qu'il se retient de pleurer. Nous pouvons ressentir la même chose que l'autre à distance. Lorsque nos yeux se croisent comme maintenant, la puissance est telle que c'en est indescriptible. Est-ce au moins possible pour quelqu'un d'autre d'imaginer ce qu'il se passe ? Je n'en suis même pas sûre.

Difficilement, je réussis à esquisser un sourire. Je suis tellement bouleversée par tout ce que je ressens - non, tout ce que Naël ressent - que j'en étais paralysée. Le jeune homme finit par rompre le contact, et je reprends mon souffle. Je ne m'étais même pas rendue compte que j'avais arrêté de respirer. Je déglutis. Petit mémo à placarder quelque part dans mon cerveau : éviter à tout prix de croiser son regard trop longtemps. Plus que le fait de perdre mes moyens, j'oublie même qui je suis et où je me trouve. Très dangereux, comme expérience. Il faudra que je trouve un moyen de contacter mon maître d'arts martiaux pour en savoir plus. Même si ce que je viens de ressentir est incroyable, je dois dire que cela me terrorise.

Le Coeur en RythmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant