Le son du réveil coupe net mon sommeil. Sans ouvrir les yeux, je grogne. Il me semble que j'avais déjà fait ça, hier. D'habitude, soit j'attends qu'il sonne, déjà réveillée, soit je suis heureuse qu'il me sorte de mes cauchemars. Mais depuis deux jours, j'aimerais bien pouvoir dormir plus. Pour savoir qui est le jeune homme qui ne cesse d'intervenir pour me sortir de mauvaises passes. Maintenant que j'y pense, c'est carrément cliché. Jeune fille en détresse cherche son sauveur. Je serais donc tombée si bas au point d'imaginer un scénario de conte sexiste ?
Déprimée par ma dernière pensée, je m'assois sur mon lit, la tête bourdonnante. Décidément, être interrompue en plein rêve ne me réussit pas. Je me frotte le visage avec les mains, puis me lève en soupirant. J'ai beau ne plus me réveiller en pleine nuit, je n'en reste pas moins épuisée. Comme la veille, j'attrape les premiers vêtements que je trouve dans mon armoire, et descends les escaliers. A ma grande surprise, je trouve une boule de poil sous mon pied lorsque je suis en bas. Mince, c'est vrai, on a un chien, maintenant ! Quelque chose me dit qu'il va me falloir quelques jours pour m'y habituer.
J'enjambe l'animal d'un grand pas pour ne pas l'écraser, et fouille la cuisine pour prendre de quoi me remplir l'estomac. Un bruit de pas retentit derrière moi, et je trouve Melchior à l'entrée de la cuisine, m'observant attentivement. Il doit sûrement avoir faim. Sauf qu'on n'a toujours pas de croquettes. Sauf si le Père Noël décide de prendre ses fonctions hors saison pour aider un pauvre chien affamé. Peu probable.
J'arrive à trouver un bout de pain qui traînait pour Melchior. Les céréales, avec tout le sucre dedans, je ne pense pas que cela soit très bon pour lui. Pendant que je mange, je peux observer à loisir le chien mastiquer le quignon comme s'il s'agissait d'un os. Au moins, ça va l'occuper. Papa ira peut-être chercher des croquettes en se levant. J'espère, en tout cas. Ce n'est pas le pauvre bout de pain qui va le rassasier.
Une fois que je suis prête, je range la vaisselle pour attraper mon manteau. Avant de partir, je fais une petite caresse à Melchior, qui remue doucement la queue, comme pour me dire au revoir. T'en fais pas, on se revoit ce soir. Puis, je prends la direction de l'arrêt de bus. Sur le chemin, je repense aux deux rêves des nuits passées. Il ne faut pas que je les oublie. Je vais noter chaque détail que je remarque pour essayer de faire un portrait de l'inconnu en question. Mais je suis sûre d'une chose : c'était la même personne les deux fois.
Lorsque je monte dans le bus, Conan m'accueille avec un sourire. Alors que je m'assois, je me rends compte que quelque chose ne va pas. Je ne suis pas assaillie de questions sur de potentiels cauchemars. Lui, ne rien dire ? Voilà qui est étrange. Je me tourne vers mon ami avec un air malicieux.
— Bah alors, on est malade ? Tu n'as jamais été aussi silencieux, d'aussi loin que je te connaisse.
Autant dire que ça fait longtemps. Conan et moi sommes amis depuis la maternelle. Et si même tout petit il était plus bavard que ça, c'est bien que la situation est grave. Je le vois essayer de donner un air joyeux, mais c'est un échec lamentable. Je soupire. Maintenant qu'il a vu ce qu'un de mes cauchemars donnait, il s'inquiète et veut me protéger. Mais je ne suis pas un bébé, enfin !
— Pour ta gouverne, ce n'est pas en t'inquiétant comme ça que mes problèmes de cauchemars vont aller mieux. Cela dit, j'ai fait encore une fois un rêve. Et cette fois, je m'en souviens.
Je lui raconte donc avec le plus de détails possible le garçon que j'ai vu. Petit à petit, je vois un certain intérêt revenir dans ses yeux. Sacré Conan. Il suffit de titiller un peu sa curiosité avec un mystère non élucidé pour lui remonter le moral et retrouver mon ami de toujours. Peut-être que nous ne pourrons plus parler de mes cauchemars, mais si l'inconnu que je vois dans mes rêves revient toutes les nuits, il y a de quoi changer de discussion. Il oubliera peut-être le côté sombre de mon sommeil étrange. Je n'aime pas être traitée comme une personne anormale. Comme s'il fallait me protéger, ou s'inquiéter pour moi. Ce sont des cauchemars. Personne ne peut agir dessus. Cela ne sert à rien de se ronger les sangs. Et c'est bien pour ça que ma famille n'est pas au courant.
— Résumons. Un garçon d'à peu près notre âge, à la voix plutôt grave, des bracelets en cuir sur le poignet et une corpulence plus costaude que la mienne. On peut dire que cela correspond à beaucoup de monde. Ce n'est pas compliqué d'avoir une carrure plus importante que moi, après tout.
J'esquisse un sourire. C'est vrai que Conan a gagné dans sa famille le surnom de "crevette". Depuis toute petite, je suis plus épaisse que lui. Et pourtant, je n'étais pas bien lourde. Aujourd'hui, c'est différent, vu que je fais des arts martiaux. Cela a tendance à développer quelques muscles. Et honnêtement, pour une fille, c'est parfois utile. Je ne sors pas beaucoup le soir, mais après une certaine heure il vaut mieux savoir se défendre. Les personnes alcoolisées ne sont pas toujours très futées.
Un coup de poing dans mon bras me fait tourner la tête. Je souris en voyant une petite rousse me regarder malicieusement. Ses yeux noisette brillent d'avoir réussi à me donner ce coup sans que je riposte. Il faut dire que j'étais tellement absorbée dans la reconstitution de mes rêves que j'en ai perdu tous mes réflexes habituels. Conan lui fait un petit signe de la main pour la saluer.
— La prochaine fois Tat', je t'aurai. Comment ça va sinon ?
J'ai pointé un index dans sa direction sur ma première phrase. C'est un petit jeu entre nous. Réussir à mettre un coup à l'autre sans qu'elle s'en rende compte. C'est amical. Tat' est plutôt brut de décoffrage, c'est son moyen de dire à l'autre qu'elle l'apprécie. C'est d'ailleurs avec elle que je vais en cours de taekwondo. C'est un art martial. Et non, il n'y a pas que le karaté et le judo. Sortons des basiques, enfin.
— On se retrouve au cours de ce soir, Maï ?
Je hoche la tête. Pas question de louper ma revanche. La dernière fois, elle m'avait arraché le point de la victoire à la dernière heure. Mais je ne la louperai pas désormais. Sauf si nous ne faisons pas de combat. Je devrai attendre ma revanche la fois d'après, alors.
Le bus s'arrête et nous descendons. J'échange un regard avec Conan, avant d'entrer dans le lycée pour une nouvelle journée de cours. Aujourd'hui, il est hors de question que je m'endorme. Je ne tiens pas à retourner voir l'infirmière. Je ne l'apprécie franchement pas. Par contre, les objectifs seront de comprendre quelle musique j'ai entendu cette nuit, et à quoi elle correspond. Pour le premier, ça peut être long, mais c'est faisable. Par contre, je ne sais pas comment je vais avoir la réponse au deuxième...
VOUS LISEZ
Le Coeur en Rythme
FantastiqueCela fait officiellement six mois que je fais des cauchemars toutes les nuits. Pas de chance, mais plutôt banal, pensez-vous. Oui, mais les miens, ils prédisent des catastrophes qui arrivent réellement. Des accidents, des attaques, ce que vous voule...