Chapitre [14]

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Junot déplia le billet qu'il avait dans les mains. Dès qu'il avait lu le nom du destinataire, il s'était mis à trembler. Du chemin de la prison jusque chez lui, il n'avait pas osé l'ouvrir. Mais à présent qu'il était seul, il inspira un grand coup et lu les quelques lignes écrites avec un tel désordre que seul lui pouvait la lire.

"Je reconnais bien ton amitié, mon cher Junot, dans la proposition que tu me fais. Depuis longtemps, tu connais aussi celle que je t'ai vouée, et j'espère que tu y comptes. Les hommes peuvent être injustes envers moi, mon cher Junot, mais il me suffit d'être innocent. Ne fais donc rien, tu me compromettrais.

Ton éternel ami, Buonaparte."

Les larmes aux yeux, il serra ce bout de papier dans sa main. Il ne pensait à rien d'autre qu'à lui. Son général. Son éternel ami. Son Napoleone.

Cette pièce... et ce lit... étaient si vides sans lui...

Il se décida à aller chez Marmont. Il ne pouvait pas rester seul ici.

~ ☘ ~

- Je tiens tant à lui, comprends...

- Je le comprends... mais avant, c'était à moi qu'allait toute cette attention, sourit-il.

Junot serra plus sa main qu'il avait pris dans la sienne.

- Je tiens aussi à toi, Auguste! Mais lui, il m'est particulièrement cher! Affirma-t-il d'une voix enfantine.

- J'ai bien cru le remarquer... tu me parles sans cesse de lui.

Couchés l'un en face de l'autre, Marmont caressa ses cheveux et lui remit une mèche blonde derrière l'oreille alors qu'ils se fixaient l'un l'autre dans les yeux.

- Je me souviens lorsque nous étions enfants... continua-t-il. Sans toi, mon Junot, je serais perdu depuis longtemps... c'est toi qui m'a apporté le bonheur dont j'avais tant besoin dans ma vie.

- Le goût de la bêtise, surtout! Rit-il.

- Haha, aussi, oui.

- Tous ces étés que nous avons passé ensemble... tes parents travaillaient toute l'année, seulement en été, ils devaient monter à la capitale et te laissaient chez moi plusieurs mois.

Marmont continuait de passer sa main dans ses cheveux.

- C'est cela, oui. Ce sont mes plus beaux souvenirs d'enfance...

Junot se retourna et contempla le plafond.

- Nous avons vécu tant de choses ensemble... depuis notre rencontre, dans ce champ de vignes! Si ce n'est pas emblématique de notre origine!

- Si, ça l'est~. Mon Junot... et maintenant nous voilà, quinze ans plus tard, à partager le même lit comme autrefois. Et à ne pas nous quitter...

- Bien sûr, voyons, je ne te quitterai jamais! Et je ne quitterai jamais mon général!

- Tu as donc rencontré celui auquel tu te donneras entièrement.

- Exactement~! N'es-tu pas jaloux?

- Non, je ne le suis pas. Je me suis toujours dit qu'un jour, tu trouveras une personne qui deviendra bien plus chère à ton cœur que moi. Seulement, je m'attendais à ce que ce soit une femme...!

- Mon général est bien plus brillant, bien plus beau, bien plus cultivé et intéressant qu'aucune femme ne le sera jamais!

- Même ta mère~?

- Laisse ma mère en dehors de tout ça! C'est une autre affaire. Mais... mon général... j'espère que... il pourra sortir de prison...

- Fais-lui confiance, mon Junot. Ne t'a-t-il pas dit, dans le billet que tu m'as montré, de ne rien faire...? Il a peut-être déjà un plan.

- Oui... je suis idiot de ne pas y avoir pensé... intelligent comme il est, cela ne m'étonne pas!

- Tu pourrais être encore plus intelligent que lui, Junot, si tu le voulais... je me souviens t'avoir vu résoudre d'impossibles équations ou prononcer d'admirables vers.

- Oui, mais je trouve tout cela profondément ennuyeux. Je ne le ferais que si l'envie m'en prend, ou que mon général me l'ordonne.

Marmont se pencha plus sur lui.

- Junot... ne deviens pas dépendant de lui.

- Que racontes-tu? Je suis parfaitement indépendant! Je suis seulement attaché à lui plus qu'à n'importe qui d'autre.

- Oui, sauf qu'aimer n'est pas forcément synonyme de soumettre.

- Je ne me soumets à lui que parce qu'il est mon supérieur. Et aussi car il est parfait, et qu'il a toujours raison!

Marmont voulu d'abord soupirer, mais il finit par rire.

- Adorable, mon Junot, comme toujours.

- Ne te moque pas!

- Mais je ne me moque pas.

Il se pencha davantage, jusqu'à effleurer ses lèvres. Junot l'embrassa sans attendre avec envie.

- Hmm... Junot... comme tu es gourmand.

- Tais-toi, lui somma-t-il en l'embrassant encore.

Il se laissa faire, bien trop emporté par le flot de désir qui l'envahissait. Sa main cherchait la sienne tandis que leurs corps se collaient.

Junot... Junot, oui, comme il tenait à lui... il allait toujours veiller sur lui... c'était son devoir.

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant