Chapitre [177]

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- Ah, madame Junot, je vous attendais!

- Majesté...

- Je voulais vous parler de votre mari... je pense que vous en connaissez déjà le sujet. Ne nous étendons pas là-dessus alors. Vous savez, j'ai eu le projet pendant quelques temps de créer la place de mon premier aide-de-camp avec de grands privilèges et de grands avantages, mais j'ai reconnu à cela trop d'inconvénients. Je l'avais promise à Junot le jour de la bataille d'Austerlitz... c'est qu'il la réclame tant, vous savez comme il est fier d'être mon premier aide-de-camp. Il me le rappelle dans sa lettre... il a raison, les promesses du champ de bataille sont sacrées. Mais ce que je lui promettais, c'était de faire son bien, et je l'ai fait... je l'ai toujours fait. Je le fais d'ailleurs en lui donnant encore sa place de gouverneur de Paris... mais s'il prend celle-là, qu'il laisse l'autre! Il est impossible que l'homme qui puisse à toute heure entrer dans ma tente ou dans mon palais avec le nom de mon aide-de-camp, soit en même temps gouverneur de Paris et commande soixante mille hommes!

Laure haussa un sourcil. À quoi rimait tout ça? Pourquoi l'Empereur l'avait-il convoquée pour lui dire tout ça? Et en plus il en mettait une couche sur la dévotion de Junot...

- C'est que votre Majesté est trop sûr de la dévotion de Junot pour-

- Ne comprenez-vous pas?! L'interrompit-il. Qui vous parle ici de la fidélité de Junot?! Je n'en doute clairement pas. Enfin... non, c'est une autre histoire. Et puis qu'est-ce que cette place de premier aide-de-camp? Une de ses stupides niaiseries sentimentales... il ne fait plus ce service auprès de moi, déjà car ce ne serait pas convenable, ni même possible pour lui... enfin, je suis reconnaissant qu'il ait choisi de garder cette place... cela ne m'étonne même pas d'ailleurs. Mais il faut qu'il comprenne qu'un homme ne peut pas être boulanger et Comte à la fois!

Ce que disait là Napoléon ne signifiait pas grand-chose, mais il était bien curieux de voir la réaction de Laure à de tels propos, et puis cela l'amusait. Non, il voulait réfléchir sur ce que lui avait dit Junot... pour lui, le titre d'aide-de-camp était important et très significatif. Pourquoi?

- C'est seulement là une marque d'affection, de nostalgie quand à votre jeunesse partagée. Il m'en parle si souvent, cracha Laure.

Napoléon afficha un sourire satisfait. C'était exactement ce qu'il voulait entendre.

- C'est cela. Enfin, moi, comme ami et comme souverain, il m'est donné le rôle de veiller sur lui et sur son sort... Je ne ferai donc pas attention à ce qu'il m'a écrit ce matin, et il demeure gouverneur de Paris. C'est inamovible, une place comme celle-là... oui, quand on est gouverneur de Paris, c'est pour toujours. Ah! Quelle tête il a, ce Junot!... Il est encore comme à vingt ans! Vous a-t-il d'ailleurs fait lire la lettre qu'il m'a écrit?

- Sire, il ne se le permettrait pas. Ce sont là des choses personnelles.

L'empereur marcha vers son bureau et sortit d'un tiroir une lettre sur laquelle la jeune femme reconnu l'écriture de son mari.

Il la parcouru rapidement des yeux, ses traits perdant leur sévérité à la lecture des mots.

- Tenez, dit-il en la tendant à Laure, lisez cela, et dites-moi si votre mari vous écrit des lettres comme celle-ci.

S'il s'en vantait? Pas du toooouuut.

La jeune femme la prit en main, et fut de suite étonnée par le caractère passionné et vrai de cette lettre. Junot y décrivait si exactement sa souffrance... ses blessures y étaient illustrées et pourtant pas une fois il n'y accusait son général, qui était pourtant la source de tous ses maux. Au contraire même, il y affichait sa loyauté et sa fierté d'être sous ses ordres.

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant