Chapitre [3]

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24 Juin 1791

- Mon Dieu, est-ce vrai ce que vous dites là?

- je vous assure que c'est vrai! Tous les journaux en parlent!

- Il paraît que le peuple de Paris est fou, les émeutes ne cessent dans la capitale et devant le palais des Tuileries!

- Je vous avais bien dit qu'elle allait attirer le malheur sur la France, l'Autrichienne! Enfin, au moins nous sommes bien tranquilles ici, à Sémur nous sommes loin de toute cette folie.

- J'ai une cousine qui a fui la colère de Paris pour venir se réfugier ici, et elle m'a racontée qu'une pétition de plus de trente mille personnes était signée pour emmener la République, et que des pamphlets insultant le roi et la reine circulaient librement! Vous rendez-vous compte?

- Il ne suffisait pas que les ennemis veuillent envahir la France, il faut aussi qu'elle se détruise de l'intérieur! Moi je vous dis que dans quelques années, on ne saura même plus ce qu'est un français!

Junot passa devant le groupe de femmes en haussant un sourcil, intrigué.

Dans les marchés comme celui-ci, il n'était pas rare du tout d'entendre toutes sortes de bruits circuler, mais il avouait que ce qu'il venait d'entendre dépassait tous les ragots croustillants qu'il avait eu l'occasion d'entendre.

Il s'approcha d'un stand de fruits et légumes, plus préoccupé par les dires de ces bonnes femmes que par la nourriture fraîche qu'il avait sous les yeux.

- Ben v'là-t-il pas le p'tit Andoche! Alors comment tu vas? Ton boulot à l'administration est pas trop emmerdant?

À présent, il travaillait dans les bureaux. Après sa petite escapade, son père lui avait donné un choix : c'était soit ça, soit le retour à l'Université. Il avait choisi ce métier, c'était profondément ennuyeux mais au moins il gagnait son propre argent, et était libre.

Le blond leva la tête vers la commerçante, dévisageant la femme d'une bonne quarantaine d'années à l'allure forte avec un sourire.

- Bonjour, Yvette! Ça va, ce travail m'ennuie mais je ne peux pas y faire grand-chose. Et ce n'est pas ça qui me tracasse ; mais plutôt ce que j'ai lu dans la gazette ce matin et dont j'entends parler de toutes les bouches. Cette fuite, et cette attestation...

- Ah, c'te histoire avec le couple royal! J'te dis, les aristos qui pètent plus haut que leur cul et qui mangent du bon pain blanc, ils vont finir par savoir ce que c'est de bouffer du pain rassis.

- Mais il ne s'agit là que du roi et de la reine. La France est-elle à ce point en train de s'effondrer? On dit qu'à Paris c'est l'anarchie...

- Et j'en ai pas grand-chose à faire. Paris, c'est loin, et le Roi et la Reine, je tiens autant à eux qu'aux poules du père François ; je les connais pas, j'vois pas pourquoi je serais triste s'ils meurent ou heureuse s'ils vivent. Tant que les impôts ne montent pas et que mes légumes se vendent, qu'est-ce que j'en ai à faire si c'est la République, le Roi ou la Reine de Sabbat qui dirige le pays.

- Tu n'as pas faux, mais moi je compte bien y participer, à cette Révolution! Même si j'en suis loin et que je suis coincé dans un bureau, je sais qu'un jour je m'engagerai dans l'armée, et que j'irai à Paris pour prendre part à cette révolte.

- Oh mais toi tu es encore bien jeune, tu as la vie d'vant toi. Ne pense pas à mourir pour ce pays qui ne sait plus vers quelle foutue doctrine se tourner.

- Pourtant, je sais que c'est mon destin! Je serai un grand général, mon nom sera dans les livres d'Histoire, je prendrai des villes et des pays entiers et-

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant