Chapitre [175]

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Marmont poussa légèrement le rideau pourpre, et jeta un œil aux jardins. Ses couleurs gaies étaient en contradiction avec l'ambiance maussade qui planait ici, dans ce bureau.

- J'ai eu vent de votre nouvelle dispute avec Junot, et du fait qu'il soit retourné en Bourgogne.

Napoléon ne releva même pas la tête de ses papiers.

- Alors pourquoi ne l'y rejoins-tu pas? Demanda-t-il avec animosité.

Si Marmont était venu pour se moquer de lui, alors il pouvait très bien repartir de suite.

- Il doit avoir besoin de calme. Je le respecte.

- Junot... du calme... il y a surtout du calme lorsque cette tempête est absente.

- C'est vrai, rit-il.

Il regarda longuement son ami de longue date, et reprit plus sérieusement :

- Vous savez, Majesté, je pense que nous devrions parler.

- Parler... Pour que dire?

- Pour nous excuser.

- Je n'ai pas d'excuse à te faire.

Marmont roula des yeux et soupira. C'était peine perdue. Enfin, c'est ce qu'il croyait, jusqu'à ce que l'empereur demande, délaissant son travail sans toutefois relever les yeux :

- Marmont, je... je voudrais que... tu me parles de Junot, lorsqu'il était enfant... comment était-il?

Il lui répondit sans hésiter, un sourire en coin.

- Fougueux et intrépide. Toujours à rendre Mathilde folle, sa gouvernante. Ah, il a en a commis des mauvais tours. Mais il fut toujours très curieux de ce qui l'entourait, surtout de la nature. Il lui arrivait de se perdre dans les bois ou dans les champs environnants toute une journée, et de ne revenir que le soir venu, ce qui rendait sa mère très inquiète. Il apprenait aussi très vite, que ce soit les mathématiques ou les langues, bien qu'il ait été indscipliné, ou plutôt, peu patient, comme s'il avait toujours un quelque besoin de se divertir et d'apprendre.

L'empereur sourit à son tour.

- Il a donc toujours été ainsi...

- Oh oui, il a peu changé, votre Altesse.

- Parfois, j'en doute un peu... et ne m'appelle pas ainsi.

- Hm. Désolé.

Napoléon afficha une mine plus mélancolique.

- Comme j'aurais aimé le connaître plus tôt encore... et nous étions si proches l'un de l'autre! C'est un comble! Le destin s'est moqué de nous.

Marmont haussa juste les épaules. Le destin, il n'y croyait pas vraiment.

- Junot... l'aimes-tu? Finit-il par le questionner après un instant de réflexion et d'hésitation.

- Je l'aime. Mais pas comme vous.

Napoléon lui envoya un regard interrogateur.

- Il est pour moi un ami très cher, dont je pourrais très difficilement, si ce n'est jamais, me séparer.

- Bien sûr.

Il n'y avait aucune animosité dans sa voix, ni aucun sarcasme. Seulement un long soupir.

- Il est vrai qu'il fut un temps où j'éprouvais pour lui de forts sentiments, peut-être amoureux... mais j'étais encore dans la fleur de l'âge, lorsque le cœur cherche innocement quelqu'un à aimer. À présent mon esprit est plus clair... et même si, vous devez le savoir, nous n'avons pas cessé d'entretenir une intimité parfois trop poussée, je sais qu'il vous aime et que vous l'aimez. Je le sais depuis lors que nous avons habité ensemble. Vos regards brillaient l'un pour l'autre comme je ne l'avais jamais cru possible.

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant