Chapitre [151]

30 1 3
                                    

Le Thiers était assis au sol, les coudes posés sur le lit. Il observait depuis un temps qui lui semblait infini le visage endormi de Lucien. Était-ce mal...? Il ne faisait que le regarder. Le toucher des yeux.

Il le trouvait beau... comme une œuvre d'art. S'il ne risquait pas de se réveiller à tout moment et que l'éclat de la Lune était plus lumineux, il aurait été chercher une toile et de la peinture et l'aurait peint en Apollon, ou en Hadès. Le Dieu des Enfers, assis sur son trône de flammes et fixant le spectateur avec un regard de braise et un sourire hautain. Et il se serait représenté, en bas du tableau, agenouillé,  simple être humain à le supplier d'un peu de clémence.

Il s'approcha d'un peu plus près. Il se sentait étrangement attiré par lui... attiré par un homme. Quel beau péché qui s'ajoutait à ceux qu'il gardait en son cœur. Il le façinait, il avait envie d'en apprendre plus sur lui, qu'il s'occupe davantage de lui. De toutes façons, il avait su qu'il était damné et condamné à l'Enfer dès le moment où ses yeux avaient croisés ceux de son maître.

Il rêvait que cette étrange affection lui soit rendue, bien sûr, qui ne souhaiterait pas d'un amour réciproque... Mais avec Lucien Bonaparte, le seul sentiment réciproque que l'on pouvait espérer recevoir, c'était celui de la rancœur.

Le frère cadet de l'empereur n'était attiré que par une chose, et c'était par le danger, et toutes les plus belles qualités de Satan. Rien d'autre. Les femmes n'étaient pour lui que des marionnettes à manipuler, et les hommes des petits soldats à envoyer au combat. Et si lors de soirées mondaines, il usait de ses charmes, jamais il n'allait jusqu'au bout et emmenait qui que ce soit dans son lit. Les femmes se pavanaient devant lui, émues par son charisme, séduites par son charme, et jamais il ne dégnait les regarder à la figure. La seule personne à qui il donnait des compliments et des flattereries, c'était son propre reflet.

Le Thiers devrait en être heureux, et rassuré. Lui seul avait l'honneur d'être si proche de Lucien et aussi longtemps. Lui, qui était son serviteur, son valet, son interprète, son lecteur, son peintre, et son confident, même, à quelques rares occasions.

Il voulait toucher cette peau, caresser cette joue, passer la main dans ces cheveux sombres, effleurer ses lèvres entrouvertes qui lui renvoyaient un souffle chaud. Étaient-elles douces, chaudes, froides, sucrées?

Mais comment Lucien pourrait-il un jour s'intéresser à lui pour la personne qu'il était vraiment? Il n'était personne. Comment son maître pourraît-il le voir autrement... Il n'avait rien à offrir à part sa dévotion. Sa soumission. Et il était un homme, qui plus est. Un vulgaire serviteur qui pourrait être son fils. Lucien ne s'intéressait déjà pas aux femmes, alors aux hommes...

Résigné, Le Thiers se releva doucement et alla se coucher sur un tapis, près de la fenêtre. Exactement comme son maître le lui avait ordonné.

Comme un chien.

~ ☘ ~

Nous retournons chez Junot, mais cette fois, ce n'est pas dans son grand et magnifique salon que nous allons ; mais dans la lingerie adjacente à la cuisine où travaillaient plusieurs domestiques.

Lucie, une femme blonde et un peu ronde, d'habitude bonne vivante, regardait maintenant Éponine avec surprise, tout en frottant incessamment ce linge qui malgré la dose de savon et d'eau, n'était toujours pas blanc comme neige.

- Tu as rencontré l'Empereur?! Et alors, comment est-il?!

Elle n'en revenait toujours pas. La jeune fille lui avait avoué sa rencontre plutôt épatante et cela faisait dix minutes qu'elle en avait la bouche grande ouverte de surprise.

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant