Chapitre [29]

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- Voilà mon plan stratégique pour la future campagne d'Italie.

Napoleone posa ses feuilles sur le bureau de son supérieur, juste sous ses yeux. L'homme le regarda en haussant un sourcil et prit la pile de papiers entre ses mains.

- La campagne d'Italie... vous vous y intéressez donc. Votre nom...?

- Buonaparte.

- Et votre fonction...?

- Je suis général, mais sans service. Je travaille au bureau militaire du Comité du Salut Public, j'y rédige des instructions particulièrement.

Bon sang, cela faisait presque un an qu'il travaillait dans ce bureau!! Et cet homme devant lequel il passait tous les jours ne le connaissait même pas!?

- Alors pourquoi vous intéressez-vous à ces affaires? Elles ne vous concernent en rien.

Napoleone serra les dents. On lui avait déjà fait le coup à Toulon. Le petit général qu'on ne prenait pas au sérieux... et maintenant, le petit employé qu'on ne prenait pas au sérieux. Les temps étaient au renouveau, à la jeunesse pleine d'espoir et de fraîcheur. Ces hommes de la vieille génération, qui n'avaient connu que l'Ancien Régime comme exemple, étaient une plaie, que ce soit pour le commandement de l'armée ou celui de l'État.

Vivement qu'il les remplace.

Il prit une grande inspiration.

- C'est que, j'y travaille depuis des mois. Et-

- J'ai travaillé toute ma vie pour vivre dans un grand palais, et pourtant je vis toujours dans une vulgaire demeure sans étage. Voyez, nous n'avons pas toujours ce que nous désirons.

- Mais- Il s'agit de l'avenir de la France! Si nous n'envahissons pas l'Italie et ne montrons pas à l'Europe le peu de forces qu'il nous reste, l'Autriche utilisera notre faiblesse pour-

- Il y a des hommes pour s'occuper de cela! Des généraux qui, eux, sont en fonction! Des généraux compétents!

Son sang corse s'enflammait dans ses veines.

- Alors vous me prierez de sortir. Et n'oubliez pas votre paperasse.

- Vous... un jour, vous regretterez de ne pas m'avoir écouté!!

Il agrippa les feuilles entre ses doigts.

- Mais oui. Ah, il faut bien que jeunesse se fasse.

Il sortit de la pièce, fou de rage, prêt à crier sur quiconque le contredirait une nouvelle fois.

Une fois dehors, il observa ses feuilles avec dédain.

Il avait voulu les déchirer, les jeter, mais il les défroissa et les regarda plus attentivement. Non... ça n'allait sûrement pas se terminer ainsi!

~ ☘ ~

Debout contre un haut pilier, Marmont observait, assis plus loin sur un banc, Muiron prier pieusement. Il l'avait accompagné, n'ayant rien à faire durant cette période où seule la moitié de leur petit groupe avait un travail. Honnêtement, il préférerait surveiller que Junot ne fasse pas de bêtises plutôt que de travailler. Bon, l'endroit et la personne avec qui il était actuellement montrait bien qu'il n'avait pas tenu sa propre promesse.

Il jeta un coup d'œil vers son ami. Il n'aurait pas fini avant longtemps, sans aucun doute.

Il leva la tête pour contempler les immenses voûtes.

Croire à Dieu... c'était bien là la dernière solution des miséreux. Pour son cas, il se fichait de l'existence ou non d'un quelconque Dieu. La vie, elle était sur Terre. Non au cieux. Et si vraiment l'Enfer existait, alors il devait être bien rempli.

Il quitta sa place pour s'aventurer dans les couloirs adjacents. son regard se perdit entre les tableaux et les quelques statues représentant des saints dont il ignorait le nom. Les vitraux, colorés, reflétaient leur lumière sur le sol de pierre, comme une ombre vive. Cette église, à a peine quelques minutes à pied de leur hôtel, était comme une petite Notre-Dame, mélangeant l'art gothique et antique dans une union élégante. Ils y étaient pour l'instant seuls, la population préférant reconstruire de leur mieux ce que la Révolution avait détruit plutôt que de vénerer un Dieu en lequel ils n'avaient plus foi.

Muiron était pourtant, comme eux, Parisien, et avait dû voir dans son adolescence la Terreur et son anarchie. Mais peut-être que, contrairement aux autres qui se moquaient de la religion et avaient brûlé un grand nombre de registres paroissiaux, lui avait trouvé en Dieu la seule preuve de bonté existante... et qu'il croyait en la rédemption de ce monde. Marmont, lui, n'y croyait pas. Les Hommes avaient des défauts et malheureusement, chez peu d'entre eux la vertu triomphait.

Il s'arrêta devant des bougies entreposées au milieu de la cendre et de pages de la Bible en train de brûler. Une en particulier attira son attention. Elle était grande, probablement nouvelle, et se consumait d'une petite flamme timide. Il se demandait qui avait bien pu l'entreposer dans ce tas de blasphèmes et de sacrilèges et l'allumer.

Il sourit légèrement et la prit entre ses doigts pour en allumer une autre.

"Cette flamme est celle de la liberté, et celle-ci, ce sera celle de Junot."

Il finit par en allumer trois autres, une pour chacun d'entre eux.

"Puisse-t-elles brûler longtemps et disparaître lorsqu'elles auront terminé leur mission première... celle d'éclairer de leur seule lumière ce petit coin d'ombre."

Il resta quelques minutes ainsi, à les observer, à contempler leur flamme chaude, rassurante qui contrastait avec l'immensité silencieuse et froide de la grande église.

- Marmont... J'ai terminé, nous y allons?

Son ami avait chuchoté, et pourtant il avait quand même sursauté. Il afficha un petit sourire.

- Oui, lui dit-il d'une voix basse.

- Tu as allumé des bougies?

- Elles symbolisent la flamme qui brûle en nos cœurs.

Muiron en pointa une en haussant un sourcil.

- Celle-ci fond plus vite que les autres. Elle s'éteindra plus rapidement.

- C'est celle que j'ai allumé pour Buonaparte.

- Peut-être y a-t-il là un mauvais présage...

- Ne parle pas de malheur, soupira-t-il en roulant des yeux.

- Il ne faut jamais prendre à la légère un signe envoyé dans la maison du Seigneur.

- Le signe que j'y vois, moi, c'est que la flamme qui brûle en le cœur de Buonaparte est bien plus vive et fugace que la nôtre.

- Espérons qu'il n'en soit pas consumé, annonça Murion en faisant demi-tour.

- Bah... ce ne sont que des bougies, après tout, soupira-t-il en le rejoignant.

Des bougies...

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant