Chapitre 81 : Se souvenir pour mieux les honorer

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Point de vue Daryl :

- J'y étais.

Je n'écoute pas Anna. Enfin, j'essaye. Je ne veux pas entendre ce qu'elle va nous raconter. Ce qu'elle va nous dire sur ce qu'il s'est passé dans cette écurie. Ce qui est arrivé à nos amis. A mon fils.

- J'ai été enlevée avec les autres.

A côté de moi, Ariane reste stoïque. Elle n'écoute pas Anna, un bandage autour de la tête et installée sur une estrade pour capter notre attention. Le silence est total dans l'assemblée. L'ambiance est trop lourde à supporter.

- Et j'ai tout vu.

Devant moi, je vois Carol près d'Ezéchiel, ravagée par le chagrin. Mais je reporte mon regard sur Ariane. Debout, ses yeux ne quittent pas le sol. Je la vois serrer les poings à s'en faire mal au fur et à mesure qu'Anna raconte son récit à glacer le sang.

- J'étais censée mourir avec eux. J'y étais préparée. Et lorsque tout fut terminé, Alpha m'a chuchoté à l'oreille : « Raconte-leur ». Ensuite, on m'a frappée et je me suis réveillée lorsque le groupe de Rick m'a trouvée.

Près de moi, Ariane étouffe un sanglot. Elle essuie rageusement une larme coulant le long de sa joue en ne levant toujours pas la tête.

- Ce qu'il s'est passé est ignoble. En réalité, il n'y a pas de mot pour décrire cette horreur. Et il n'y a pas une seule seconde depuis mon réveil où je ne me demande pas si j'aurai pu faire quelque chose. Et c'est ce qu'Alpha veut que je vous raconte. Pour vous faire peur. Pour nous diviser encore une fois.

La voix d'Anna commence à trembler. Ses yeux se posent systématiquement sur Ariane et moi, les larmes aux yeux.

- Mais je vais vous raconter autre chose. Une version plus honnête que ce que ces monstres veulent me faire dire.

Ariane lève enfin la tête pour rencontrer le regard assombri de son amie. Instinctivement, pour lui donner du courage, et peut-être m'en donner à moi aussi, je lui prends la main, qu'elle sert de toutes ses forces comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage au milieu d'un océan tumultueux. Et c'est ce qu'on ressent elle et moi. Un océan tumultueux d'émotions qui nous déchirent et qui nous consument au fil des phrases prononcées par Anna. Chaque mot est un coup d'enclume, qui confirme que l'horreur qu'on a vu est vraie. Que notre fils est réellement mort.

- Juste avant qu'Alpha et les siens arrivent, nous avons essayé de nous défaire de nos liens. Plusieurs d'entre nous ont réussi et ont tenté de libérer les autres. Mais ils sont arrivés bien trop vite. Mais malgré notre peur, nous étions animés par une seule chose : survivre. Tout le monde s'est battu corps et âme jusqu'au bout. Ce qu'ils ont fait à ce moment-là était plus que courageux. Ils se sont défendus les uns les autres, des plus âgés aux plus jeunes.

Une nouvelle larme coule le long de la joue d'Ariane lorsqu'elle entend cette phrase, mais elle ne l'essuie pas. Elle fixe Anna, qui ne la quitte pas des yeux. Qui lui rend un regard rempli de compassion. Rempli de fierté d'avoir vu ce petit garçon se défendre jusqu'à la mort. Qu'il a lutté jusqu'au bout pour survivre.

- Ils se sont sacrifiés les uns les autres. Ils ne se connaissaient pas forcément, et pourtant ils se sont battus comme si c'était le cas. Comme une seule famille. Jusqu'au bout. Sans jamais abandonner. Et finalement, ils sont partis prématurément.

Je baisse la tête quand je sens la petite main d'Evan prend la mienne, les yeux larmoyants.

- Nous sommes toujours là et c'est pour cette raison qu'on doit tenir le coup. Pour eux. Pour honorer leur mémoire. Et pour nous. On doit leur faire honneur et on doit se souvenir que nos amis, notre famille, sont morts en héros. Voilà l'histoire que je voulais vous raconter. Et c'est celle-là qu'on doit se souvenir.

Anna finit par se taire et descend de l'estrade. Elle se dirige vers Ariane et s'empresse de la prendre dans les bras.

- Je n'ai rien pu faire, chuchote la blonde. J'ai tout essayé pour le sauver. Mais je n'ai pas réussi.

Je déglutis. Une boule se forme de nouveau dans ma gorge.

- Je suis désolée.







Point de vue d'Ariane :

Plusieurs jours se sont écoulés. Mais je ne saurai dire combien. Je ne sors plus de ma chambre et reste perpétuellement dans le noir, sauf quand le soleil daigne se lever. A ces moments rares, ses rayons traversent légèrement les fins rideaux de la fenêtre. Mais c'est la seule lumière que j'accepte dans la pièce.

Je ne mange plus. Je ne dors plus. Et Daryl ne sait plus quoi faire de moi. Moi-même je ne sais pas ce que je suis en train de devenir dans cette chambre. Je ne suis plus qu'une épave qui sombre davantage chaque seconde.

Je ne parle plus. Non pas que je ne peux plus, mais je ne le veux plus. Hormis Daryl, d'autres personnes sont venus me voir. Mais je ne leur ai jamais ouvert la porte. Je reste le plus souvent assise sur le lit pour me balancer légèrement et sentir l'odeur d'Erwan sur l'un des pulls qu'il avait amené au Royaume. Je l'ai avec moi nuit et jour. Sans lumière, ni nourriture, mon corps refuse de me porter plus loin que jusqu'à la commode. Je m'avance vers celle-ci, surmonté par un miroir mural ancien. Je ne reconnais plus reflet. Ma balafre n'a jamais été aussi visible que maintenant tellement je suis blafarde. De profondes cernes se sont dessinées sous mes yeux. Je ne suis qu'un monstre parmi les autres à l'extérieur des enceintes. La colère monte de plus en plus en moi. L'image de la tête d'Erwan me frappe de nouveau. Hors de moi, je m'empare d'une babiole et la balance dans le miroir. La glace se brise en mille morceaux, qui tombent sur la commode et la moquette. Je les regarde tout en reniflant avant de me baisser pour m'en emparer d'un. Je le regarde et passe mon doigt sur l'un des bords, juste pour ressentir la douleur. Mais même ça ne me fait aucun effet.

La porte s'ouvre violemment et j'ai à peine le temps de voir qui entre que Daryl se précipite sur moi pour m'arracher le bout de verre des mains.

- Qu'est-ce qu'il te prend hein ? Aboie-t-il. Qu'est-ce que t'allais faire comme connerie ?

Il s'éloigne de moi et ouvre les rideaux. Je plisse des yeux pour les adapter mes pupilles à la lumière extérieure.

- C'est ça ta solution ? Continue l'archer, hors de lui. Tu veux crever ? C'est ça ?

Je ne réponds rien. A quoi ça servirait ? Quoi que je dise, il ne me croirait pas. Le chasseur soupire et pose un regard noir sur moi.

- Tu t'es vue ? Me dit-il d'un ton glacial. T'es en train de te détruire ! Ça fait une semaine que tu restes cloitrée dans cette putain de chambre !

Toujours aucune réponse.

- Merde Ariane ! Dis quelque chose !

L'archer s'avance vers moi et m'attrape le bras pour m'obliger à sortir, mais je me débats pour qu'il me lâche ; ce qu'il finit par faire.

- Laisse-moi tranquille. Pourquoi est-ce que je sortirai hein ? Notre fils est mort ! Il ne reviendra pas ! Il est mort et je n'étais pas là pour le protéger ! Je l'ai abandonné Daryl. Je l'ai abandonné...

Ma voix se casse. Je recule pour m'assoir sur le lit et laisse les larmes couler.

- Tu crois peut-être que je ne ressens pas la même chose ? Lâche-t-il d'un ton amer.

- Je n'ai pas dit ça. Mais il a dû se sentir abandonner.

- Tu ne sais pas ce qu'il a pensé. Mais ce que moi je sais, c'est que si tu restes ici, tu vas te détruire. Et c'est hors de question. Et s'il faut que je te tire par la peau du cul pour te faire sortir, je le ferais.

- Comment est-ce qu'on peut se remettre de ça ? Je demande en le regardant droit dans les yeux. Comment est-ce que Carol a fait pour se remettre de la mort de Sophia ? Et Rick avec Carl ?

- Ils ont fini par l'accepter avec le temps j'imagine.

- Non.

Je tends la main pour l'inciter à venir s'assoir près de moi.

- Eux, ils ont eu les corps pour faire leur deuil. Nous non. Même ça, Alpha nous l'a arraché. On n'a pas de corps à enterrer. Ni de tombe sur laquelle se recueillir. On n'a rien. On a juste... cette douleur.

Daryl ne répond rien. Il baisse la tête et se contente de me prendre dans ses bras pour me serrer contre lui. 

The Walking Dead : Silence in the face of death [Tome 3]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant