Chapitre 39

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- Tu es la célébrité que tu veux, mais pas chez moi.

Elle en a presque planté son couteau à beurre dans la table. Il a la sensation qu'elle boue à l'intérieur.

Hope n'est pas vraiment fâchée contre lui, elle le sait. Elle est fâchée contre tout ce qu'il représente. Tout ce qu'il est quand il a ce masque. Mais maintenant, elle en vient à se demander si c'en est réellement un, ou si au contraire, c'est l'attitude qu'il cache sous un autre encore. Et ça la met en rogne encore plus.

De toute façon, ils se cachent l'un de l'autre. Ils s'entendent, mais ne se supportent pas. Ils sont d'accord, quand ils ne sont pas en désaccord. Ils se soutiennent, quand ils ne marchant pas sur leurs plates bandes. Ils sont à la fois le sourire, et l'impassibilité.

Hope se lève et fait le tour de la table.

- Je ne comprends même pas le problème. Je t'ai posé une question.

Il se fige.

- Une simple question et tu t'énerves ? Ne me regarde pas comme ça, tu m'énerves encore plus. J'ai envie de te frapper.

Seijuro se détend.

- Tu n'as jamais eu personne d'autre que ton frère pour s'inquiéter pour toi.

- Non. Et ?

- Tu as déjà eu des amis ?

- Bien sûr que oui.

- Mais tu ne les as jamais laissé voir ta peur, ta tristesse, ou ta colère.

- Jamais.

- Mais tu me l'as montré à moi. Et tu ne comprends pas que je veuille voir plus ? J'ai l'impression de me trouver devant mon reflet. C'est tout à fait le genre de prise de conscience que j'ai fait en perdant la Winter Cup la première fois.

- Parce que tu as perdu une autre fois encore ?

- Je me mêle de tes affaires parce que ça m'intéresse. Parce que tu m'intéresse. J'ai envie de savoir que tu vas bien quand je m'en vais. Que tu comptes sur moi quand tu te sens seule. Et c'est ridicule, puisqu'on ne se connait pas. Mais j'en ai envie. Et il y a quelques années, je ne faisais que ce que j'avais envie de faire. C'était ce que je faisais quand on s'est rencontrés. Et je ne peux plus me passer de toi. Je ne peux plus me dire que tu n'es pas un bout de mon existence. Je n'aurais pas repris le basket sans toi. Je n'aurais pas remarqué que je n'aimais pas ma vie, sans toi. Et quand bien même ça me serait arrivé, je n'aurais pas su me relever tout seul après les deux échecs cuisants que je viens de me prendre dans la tête.

Il se passe une main dans les cheveux.

- C'est marrant. Je ne comprenais pas comment Kise ou Aomine pouvaient passer la journée à jouer à des jeux vidéos, ou comment Kagami et Tatsuya pouvaient prendre du plaisir à passer la matinée dans une cuisine. Et j'ai passé des après midi à faire ce genre de choses avec toi. C'est tout de suite plus attrayant à deux. Et je n'ai pas l'impression de ne rien faire. Et j'adore passer du temps avec toi plus qu'autre chose.

Hope le regarde longuement. Elle veut lui dire quelque chose, mais elle ne sait pas encore quoi. Et puis finalement, elle ouvre la bouche, et son téléphone sonne.

- Merde.

La jeune femme décroche, remontée :

- Quoi ? C'est urgent ?

- C'est concernant le dossier des américains...

- Ça peut attendre. Je suis occupée.

- Mais...

Hope raccroche sans gêne et balance le téléphone sur la table.

- Tu aimes passer du temps avec moi, récapitule-t-elle.

Il fait un pas pour la prendre dans ses bras.

- Qu'est ce que tu fais ?

- On a l'habitude de régler ça comme ça, non ? Je ne veux pas que tu t'en ailles. Restes avec moi.

- L'habitude ? C'est arrivé deux fois... ou trois... après quelques verres.

Raide, elle se détend peu à peu. C'est vrai qu'elle aime ça. Qu'il la prenne dans ses bras. Elle aime qu'il prenne soin d'elle. Ça lui fait à la fois plaisir, et ça l'apaise. Ils ne se disputent pas d'habitude. Quand elle sent qu'elle va trop loin, elle s'arrête. Peut-être qu'il fait la même chose de son côté. Sauf que là, elle est loin de pouvoir se contrôler.

- Je suis fatiguée, soupire-t-elle en attrapant le bas de sa chemise.

- Tu peux rester là avec moi. Pour te reposer.

Elle ne répond pas tout de suite.

- Me reposer... je ne suis pas sûre d'en avoir le temps.

- Moi non-plus, mais on s'en fout.

Hope ouvre de grands yeux.

- Je peux programmer des disparitions en demandant à mon assistante de me libérer des jours dans deux semaines ou trois, mais...

- On est en automne. Il commence à faire froid. N'importe qui peut attraper la grippe.

- Je n'ai jamais rien loupé parce que j'étais malade.

Seijuro la lâche à contrecœur.

- Tant pis.

- Tu vas où ?

- Travailler, soupire-t-il. C'est pas drôle de rester tout seul chez soi.

Il attrape sa cravate posée sur la table, et l'enfile, alors qu'elle attrape son téléphone.

- Je dois aller à un enterrement, je ne sais pas quand je pourrais revenir travailler, dit-elle avant même de dire bonjour à son interlocuteur. Prévenez mon assistante quand elle arrivera. Bonne journée.

Il n'a jamais entendu de discussion aussi courte.

Elle se tourne vers lui, le regarde droit dans les yeux et lui dit calmement :

- A toi.

Seijuro lui se contente d'un SMS, qu'il envoie à un destinataire inconnu. Hope attrape doucement sa cravate et la desserre, pour la retirer.

- Tu es mieux sans, dit-elle.

Profitant qu'elle soit aussi près de lui, il colle son front au sien.

Imperturbable, Hope termine de retirer l'objet de ses soucis, et déboutonne le premier bouton de sa chemise.

- C'est moi où je suis entrain de le déshabiller ?

Il pose ses yeux dans les siens.

- Tu es entrain de me déshabiller, semble-t-il lui répondre.

Elle hausse les épaules et approche ses lèvres.

Seijuro l'embrasse.

De toute façon, tout sportif vous le dira : il est plus simple de suivre l'élan que de le couper.

La Plume Et L'ArchetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant