Chapitre 70

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Il est réveillé tôt ce matin là. Et pourtant, il attend patiemment qu'elle se réveille à son tour pour sortir du lit.

La tête posée sur l'épaule de Seijuro, elle remue.

- Réveillée ? Non. Elle doit rêver. Ou cauchemarder.

- Sei...

Elle n'a même pas la voix rocailleuse de quelqu'un qui a dormis.

- J'espère que tu t'es reposée quand même. Oui ?

Hope se redresse un peu, et monte son buste contre le sien.

- Quand tu parlais d'ajouter de nouveaux joueurs à ton équipe, tu pensais forcément masculin ?

- Je n'avais pas pensé à des joueuses, si c'est ta question, répond-il honnêtement. Ça nous change complètement d'horizon. Mais je crois qu'on en avait besoin.

- Hum.

Elle laisse planer un court silence avant de reprendre, en sautant de sujet :

- Je peux être sur votre feuille de match ?

- Hein ?

Seijuro se tourne pour la regarder, alors qu'elle a les yeux dans le vague.

- Tu sais, je vous regarde jouer. Et de plus en plus, j'ai de nouveau envie de faire du basket. Pas seulement lancer la balle, ou faire une passe. Jouer. Marquer des points. Avoir une équipe. Pas comme je jouais avec Jeremya, comme toi tu joue avec les autres. Je sais que je ne me sens pas encore tout à fait prête à jouer en équipe pour de vrai, je ne l'ai jamais fait sérieusement. Mais je pense que ça pourrait être bien que je puisse aller sur le terrain. Tu sais... juste la possibilité que.

- A quoi tu pense vraiment ?

- Je ne sais pas... j'ai l'impression que je vous ai préparé comme je peux, mais que quelque chose va mal se passer, et vous prendre au dépourvu.

- Et cette chose peut nous faire perdre ?

- Je pense. Je pense que j'ai entendu ou vu quelque chose qui me conforte dans cette idée, mais je n'arrive pas à localiser ce souvenir, dit-elle en fronçant les sourcils.

Seijuro se fige.

- C'est le souvenir sur Luis, tu crois ?

Elle hausse les épaules.

- D'accord. Ne force pas sur ta mémoire. Je te fais confiance.

- Mais je ne jouerais pas les matchs. Aucun. D'ailleurs, je préfèrerais ne pas être en tenue non-plus.

- Pourquoi ?

- Parce que je ne suis pas un joueur, je suis une roue de secours.

Il soupire.

- Hope...

- Je sais ce que je fais. Ne t'en fais pas, murmure-t-elle avant de l'embrasser sur la joue.

Seijuro râle et se lève.

- Ne fais pas ça.

Elle s'assoit, enroulée dans la couverture.

- Faire quoi ?

- Comme si tu ne méritais pas ta place parmi nous.

- C'est...

- C'est totalement faux. Tu es douée, tu aimes ça, et tu t'amuses. Je trouve que c'est le principal. Ne fais pas comme si ce n'était pas le cas.

- Tu ne peux pas comprendre.

- Pas comprendre quoi ?

Les pose les mains sur ses hanches, l'air froissé.

- Explique-moi.

Elle hésite, finit par lâcher un profond soupir, et se passe une main sur le visage.

- Quand Jeremya a commencé le basket... il était très... il adorait ça. Il regardait tous les matchs soudainement, et il... il adorait ça. Un soir, il est rentré à la maison. Nous venions de déménager, et il avait voulut s'inscrire dans le club de basket de son collège. Sauf qu'ils n'avaient pas voulut de lui, chez les plus grands, parce qu'il était trop nul. Il ne savait même pas dribler. Je me souviens que ce soir là, il était rentré en larmes, et que toute la nuit, je l'avais entendu jouer dans le jardin.

Hope sourit doucement en se souvenant.

- Un matin, une semaine plus tard, j'entrais dans le club du collège. Tout ce que j'apprenais, je l'apprenais à Jeremya en rentrant à la maison. On faisait des séances intensives tous les jours. Je regardais le coach nous faire faire les exercices, je lui posais tout un tas de questions et j'appliquais tout ce que je savais à mon frère. L'année suivante, j'étais dans les matchs officiels féminins, et mon frère entrait dans l'équipe de son lycée. J'ai sauté une classe l'année encore après. Je n'étais plus en club, mais j'entraînais toujours Jeremya. Ça faisait trois ans. On t'a rencontré à ce moment là, à peu près.

Seijuro s'assoit sur le bord du lit, tout en l'écoutant.

- Je lui apprenais toujours des choses. Je lui faisais faire des exercices qui évoluaient au fur et à mesure qu'il grandissait. Je lui avais même appris à jouer par niveaux.

- Par niveaux ?

Elle hoche la tête.

- En fait, il était devenu très bon. Tu as dû t'en rendre compte en jouant contre lui.

- Oui.

- Mais vous, la Génération Miracle, vous êtes bien placés pour savoir que lorsqu'on est trop bon, on a tout un tas de problèmes. Ça part du fait que votre croissance ne suit pas les efforts que vous faites, jusqu'au comportement de vos coéquipiers, en passant par le simple fait que vous ne pouvez pas tout faire avec eux. Tout simplement parce que vous n'avez pas le même niveau, et qu'ils ne peuvent pas suivre. Pour empêcher ça, j'ai appris à Jeremya à jouer par « niveaux ». selon le niveau que je lui demandais, il ne mettait pas tous ses efforts, ou toutes ses techniques. En parlant de techniques, d'ailleurs, il y en avait certaines qu'il m'avait demandé de lui apprendre, mais que je lui avais demandé de ne pas jouer.

Elle se laisse tomber en arrière.

- Je me souviens que mon frère apprenait vite. Mais il lui fallait une pédagogie spécialisée. Il fallait tout lui expliquer autrement que comme lui disaient ses professeurs. C'est un peu à cause de lui que j'ai sauté deux classes, pendant ma scolarité. Je me souvenais de que je lui avais expliqué les années précédentes. Ma mémoire m'a permis de faire une double licence, tout en travaillant sur mes livres, au travers du club d'écriture de l'université. Et en même temps, quand je voyais mon frère...

- Tu lui apprenais toujours.

- Il avait beaucoup de choses à apprendre. Et il adorait ça, presque autant que jouer. Et j'adorais le voir sourire. Je l'adorais.

Seijuro s'approche d'elle, pour se remettre là où il était cette nuit, dans ses bras.

- Le basket sans Jeremya, j'ai longtemps crut que ce n'était pas du basket. J'ai encore besoin d'un peu de temps pour m'habituer au fait que ce n'est pas le cas.

- Ne t'en fais pas. Je comprends.

Il ferme les yeux.

Techniquement, il sait jouer du piano.

Mais c'était sa mère qui en jouait pour lui, et depuis sa mort, il s'est lui aussi conforté dans cette idée : la seule qui peut jouer l'instrument qui se cache dans la salle de musique de son père, c'était elle.

- Je comprends.

La Plume Et L'ArchetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant