Chapitre 38

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Quand elle se lève le lendemain matin, elle est sûre de deux choses : la première, c'est que son canapé est assez inconfortable pour que Seijuro préfère dormir par terre. La deuxième, c'est qu'elle ne supportera pas plus longtemps de devoir courir partout pour tout, tout le temps.

- En tout cas, la prochaine fois que tu viendras, j'aurais un nouveau salon.

- Tu n'es pas obligée, je ne vois pas l'intérêt de changer ton mobilier pour quelqu'un qui vient très peu chez toi.

Les yeux entre-ouverts, il porte la tasse à ses lèvres avec une grimace.

- Désolée, tu as bu le dernier café avant d'aller te coucher. D'ailleurs, je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure chose à faire. Et c'est très mauvais pour la santé, c'est pour ça que... les sportifs évitent d'en boire.

- C'est pour ça que tu ne voulais pas que ton frère ne prenne de café au petit déjeuner.

- Mais je n'avais pas prévu que tu ne boives pas de chocolat chaud le matin...

- Disons qu'il y a mieux pour réveiller.

Il s'étire.

- J'ai reçu un message de mon père, dit-il après un silence. Il veut me voir pour me parler de Sumire. Je devrais faire quoi, selon toi ?

Elle ne le regarde pas tout de suite. Que répondre à ça ?

- Pourquoi ne pas plutôt demander l'avis à un ami proche ? Je ne sais pas ce que je ferais, parce que ce n'est pas le genre de chose qui pourrait m'arriver. Mais si ça arrivait à l'un de mes personnages... je pense que je lui ferais envoyer tout ça en l'air. Je tenterai le tout pour le tout.

- Et comment tu ferais ça ?

- Sans être naïve ? Je pense que ton père comprend dans quelle position il te met. Le nom se transmet par sa famille à lui. Lui aussi a dû choisir. Il aimait ta mère, pourtant, non ?

- Oui... je crois. Je l'espère.

- Même s'il ne l'aimait pas et qu'elle lui a été imposée, il a peut-être gardé envie de rencontrer la femme de sa vie. Essaye peut-être de lui expliquer que quitte à faire ta vie avec quelqu'un, autant choisir quelqu'un digne de ce nom. Et pas cette... sangsue...

Il sourit.

- Tu es de bon conseil, pour quelqu'un qui n'y connait rien, tu sais ? Je me suis déjà dit ce genre de choses en lisant tes livres. On dirait que tu as tout vécu. C'est incroyable. Quand tu écris, tu es tellement dans ton personnage que tu vis ce qu'il vit. Peu importe que ce soit une situation qui a peu de chances de produire dans la vraie vie. Tu as vécu plus que n'importe quelle personne de ton âge.

Hope soupire en terminant sa tasse.

- Ça me donne un désavantage certain sur les autres. Est-ce que ce que j'ai vécu est vraiment une expérience ? A quoi je peux le comparer ? Pourquoi les autres ne veulent pas voir tout ce que je vois ? Et qu'ai-je vraiment vécu à vivre la vie des autres au travers de leurs histoires, qui ne se déroulent que dans des livres ? Je ne connais pas la valeur de ces expériences.

- Tu sais, quand je fais des choix, que ce soit pour moi, pour l'entreprise, ou pour ma famille, je me base sur des suppositions. Et parfois, j'ai l'impression d'avoir complètement échoué. Après ces moments là, je me rends compte que ça aurait vraiment été un échec si j'avais eu le moyen d'être certain que l'autre option m'assurait la réussite. On ne sait pas. C'est frustrant, mais on ne sait pas.

Ils regardent le fond de leur bol un moment.

- Comment tu fais pour réfléchir autant ? lui demande Hope.

- Je ne sais pas. Comment tu fais pour réfléchir aussi peu ? Comment tu fais pour me dire ça alors que lorsqu'on te regarde former tes petits, tu es plusieurs coups après leur entraînement ? réalise-t-il soudain.

Elle hausse les épaules, les cheveux en bataille, mais attachés.

- Je ne sais pas. Je n'ai franchement l'impression de réfléchir.

- Et tu es pourtant tellement concentrée...

La jeune femme le regarde longuement, avant de reprendre le cours de son petit déjeuner.

- Tu sais que tu es la seule personne que je vois en privé ces derniers temps ?

- Je me doute, répond-elle. Tu es la seule personne que je vois tout court depuis trois jours.

Seijuro hausse les sourcils.

- Je vais vraiment finir par m'inquiéter pour toi.

- Trop gentil de ta part, ironise Hope en levant les yeux au ciel.

- Je ne plaisante pas.

- Mais honnêtement, qu'est-ce que tu en as à faire ?

Il le prend mal. Ce n'est pas pour autant qu'il lui dit, mais il le prend mal.

- Ne prends pas la peine de me virer de chez toi, je vais partir tout seul, finit-il par dire. Ce n'est pas comme si j'attendais encore grand-chose de toi maintenant que je te connais.

Il se lève.

Il ne voulait pas lui dire. Il ne voulait pas qu'elle se sente mal avec lui. Mais ça ne l'a pas empêché de démarrer au quart de tour.

- Je suis trop colérique.

- Ne me fais pas faire ce que je n'ai pas fait. Je ne le tolèrerais pas.

C'est drôle, mais s'il pensait l'avoir mise en colère la veille, il vient de se rendre compte qu'elle peut l'être encore plus.

Il en frissonne.

- Tu ne le tolèreras pas ?

- Tu n'es personne pour faire ça chez moi.

Seijuro ricane.

- Parce que tu crois que tu es quelqu'un ?

- Non. Sauf que je n'ai pas la prétention de faire croire l'inverse.

Il croise les bras.

Il est peut-être temps qu'ils se disputent, tous les deux.

La Plume Et L'ArchetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant