Chapitre 23

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Il passe sous la douche en se demandant sérieusement à quoi lui sert son travail s'il l'empêche d'avoir le temps de dépenser ce qu'il lui fait gagner, en songeant amèrement au livre de son auteur favori, qu'il ne peut pas aller acheter aujourd'hui.

L'eau chaude le détend à peine.

Ce qui lui faudrait, c'est un bain. Un bon bain d'une bonne heure.

Il sort de la cabine à regret.

- Pas le temps.

Maussade, il regarde mollement sa bibliothèque, tout en nouant sa cravate. Il sait que c'est une grosse journée et que d'autres sont à suivre. Mais le seul jeudi du mois où il peut passer voir les oisillons, c'est demain.

Il soupire.

Il ne voudrait pas qu'Hope pense qu'il ne vient que quand ça l'arrange, ou par opportunisme. Néanmoins, il sait qu'il va devoir mettre les bouchées doubles dès ce matin, s'il veut ne serait-ce qu'envisager de passer au gymnase.

Seijuro regarde ses yeux éteins dans le reflet du miroir de l'entrée avec une grimace.

Il se voit trop dans cette maison. Ça lui donne la désagréable impression qu'on l'observe. Il détourne les yeux, et se passe une main dans les cheveux.

- Ça y est, je commence à devenir parano. Il faut vraiment que je prenne l'air.

Il monte dans la voiture que son chauffeur avance, sort son ordinateur de sa sacoche, et commence à taper un rapport, qu'il n'a pas put commencer hier.

Il était rentré tard, avait peut-être un peu trop bu, et s'était levée avec une migraine qui était partie sous l'eau, avant de revenir au galop. Pourtant, il ne s'arrête pas de taper, sans vouloir laisser tomber l'idée d'une fin de journée tranquille demain.

Il arrive au bureau, montre dans l'ascenseur du parking sous-terrain, en sort, passa au travers du hall, monte dans le suivant exclusivement réservé à son père, ses associés et lui, et appuie sur le bouton du vingt-cinquième étage, le dernier de l'immense tour à l'architecture aussi horrible qu'ostentatoire.

Comment peut-on autant aimer le confort, et détester tout le luxe que son père arbore ? Il ne se pose as vraiment la question, se disant que trop faisait sûrement trop. On ne peut pas avoir trop de confort, mais trop de choses brillantes et hors de prix lui donnait un mal de tête semblable à celui qu'il se traine depuis une demi-heure.

Comme quoi, tout peut arriver.

Il ne passe pas par le bureau de son père. S'il est fermé, c'est soit parce qu'il n'est pas là, soit parce qu'il est en réunion. L'un comme l'autre, il refuse de se faire crier dessus pour rien. Il se contente donc de pousser la porte du sien, et d'aller s'y installer.

Contrairement à son père, sa porte à lui est toujours fermée, histoire que personne ne vienne le déranger sans raison.

Il allume son ordinateur, retire sa veste qu'il range dans la penderie, et s'assoit enfin dans son fauteuil. Le petit étant associé au grand, il peut envoyer son rapport rédigé dans la voiture à son père par la boite mail qu'il ne peut ouvrir qu'ici. Bien que, pour plus de confort, lorsque certaines adresses lui envoient un mail, une copie lui est envoyée sur sa personnelle, histoire qu'il puisse aussi savoir ce qui va lui tomber sur le coin de la figure au travail, puisqu'il n'a pas d'assistant, et que celle de son père ne l'appelle pour le prévenir quand elle a le temps, ou quand ça l'arrange personnellement.

On frappe et il grogne imperceptiblement.

- Entrez, dit-il au bout d'une minute.

Un homme fait son apparition, lui tend un dossier rapidement, lui demande s'il pourrait valider le projet aujourd'hui, et s'en va aussi vite qu'il a passé la porte.

Ce sont ces personnes là avec lesquelles il préfère travailler. Un « bonjour », un « s'il-vous-plaît », un « merci » et ils disparaissaient.

Il fixe le dossier en se disant sérieusement que si ce moment de sa vie était un chapitre de livre, il serait le plus ennuyant du lot, et ouvre le futur objet de ses tourments sans un mot.

Il fronce les sourcils.

Valider ça, valider ça, mais c'est tellement un torchon qu'il ne voit pas ce qui demande validation, ou même le sujet des paragraphes.

Il expire longuement.

Seijuro sait que l'homme qui lui a apporté ne l'a sûrement pas lu, et s'est contenté de lui amener, comme on avait dû lui demander. Cette constatation le met en rogne. Pour lui, la personne qui a fait ce dossier considère qu'il n'a pas le temps de le déposer, ou en a trop honte pour le faire, et c'est pour cette simple raison qu'il prend son téléphone avec une grimace, s'excuse mentalement auprès de l'assistant qui finirait certainement par se faire enguirlander avant la fin de la journée, et appelle l'homme responsable des feuilles illisibles étalées sur son bureau. Même en faire un puzzle aurait été plus simple.

- C'est vraiment une journée de merde, dit-il en raccrochant.

Et pour qu'il le dise, c'est qu'il ne fait pas que le penser.

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