27 A l'encre noire

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Dans le salon de tatouage, des émotions contradictoires s'enchaînent dans mon esprit. Je suis stressée à l'idée de marquer ma peau puis je suis toute excitée. Seule Tina m'a accompagnée. Tous les autres sont rentrés à l'hôtel et je n'ai pas voulu que William nous accompagne. C'est bête, mais j'ai envie de lui faire la surprise. A la recherche d'inspiration, je feuillette les planches de motifs pendant que Tina regarde sur le net pour trouver une idée originale, personnelle et indémodable. Selon elle, ces trois critères sont indispensables pour réaliser un bon tatouage. Je suis amusée par son implication dans ce projet complètement fou. Alors que je commence à désespérer, je tombe sur une page avec des serpents. 

- Tina ! J'ai trouvé, dis-je en lui montrant.

- Sérieux ? C'est complètement fou, mais j'adore ! Pour le coup, il aura vraiment du sens. 

- Tu crois que William aimera ?

- Il râlera, mais il apprendra à l'apprécier ! Je le connais suffisamment pour savoir que ça lui plaira que tu te marques un peu pour lui.

Je jette mon dévolu sur une simple silhouette de serpent. Je choisis de le faire en un seul trait assez épais de couleur noire avec la langue apparente. Quand le tatoueur a fini de le dessiner, mon rythme cardiaque s'accélère car je prends conscience que dans quelques minutes, il sera gravé à tout jamais sur ma peau.

- Tu veux le faire où ? Me demande le tatoueur.

Voilà une question à laquelle je n'ai pas pensé. Je regarde Tina qui hausse les épaules pour me faire comprendre qu'elle n'a pas d'idées. Après quelques minutes de réflexion, je décide de le faire sur mon ventre. Cette partie de mon corps est déjà marquée à cause des cicatrices qu'elle porte. En m'allongeant sur la table, l'angoisse me submerge. Vais-je avoir mal ? Et s'il me loupait ? La boutique est tout petite et n'attire pas vraiment la confiance. Néanmoins, c'est la mieux notée sur Google selon Tina. Alors que le tatoueur allume sa machine, elle s'assied juste devant moi.

- Je sais que je t'ai déjà demandé et que t'as pas trop aimé, mais tes cicatrices m'intriguent vraiment.

Son ton est hésitant et son regard fuyant. Elle est curieuse, mais elle ne veut pas m'énerver ou me blesser avec sa question. J'hésite à tout lui raconter car c'est une partie de ma vie que je n'aime pas ressasser.  

- C'est une histoire assez... Sombre. Si je te la raconte, tu me promets de la garder pour toi ?

- Evidemment ! Tu peux me faire confiance.

Soudainement, je sens l'aiguille entrer dans ma peau et je ne peux pas réprimer un cri de souffrance. Tina rit et je lui attrape instinctivement la main pour me donner un peu de courage. L'aiguille va-et-vient violemment sur mon ventre. Toutefois, à ma plus grande surprise, la douleur s'atténue peu à peu.

- J'avais quatorze ans et je vivais en foyer, quand une des filles avec qui je partageais ma chambre s'est faite agresser par un des éducateurs. Elle a porté plainte, mais la police a déterminé qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve. Ils ont conclu qu'elle avait menti pour avoir de l'attention. L'éducateur a rien eu et il a repris son poste dans le foyer.

- Putain c'est dégueulasse, lance Tina avec dégoût.

- On avait toutes peur d'être la prochaine victime. Alors Jennifer, la meilleure amie de celle qui s'était faite agresser, a cherché un moyen de le faire tomber. Un jour elle a vu dans un journal qu'un éducateur avait été viré en Allemagne car il battait les adolescentes dont il devait s'occuper. Jennifer s'est alors dit que si on était plusieurs avec les mêmes traces, on serait prises au sérieux.

Tina détourne les yeux pour regarder à nouveau mes cicatrices. Mon récit l'a touché. Elle doit probablement se demander si j'ai eu mal en les faisant. La réponse est oui. 

- Je me suis tailladée huit fois avec une lame de rasoir. Quand je l'ai fait, j'ai pas pensé que ça partirait jamais.

- Comment ça a fini ? Demande-t-elle avec inquiétude.

- Six filles avec des coupures sur le corps ! Ils ont pris peur et l'éducateur a été viré. Je sais pas ce qu'il est devenu. On a bousillé sa vie, mais c'était justifié. Plusieurs gamines sont venues nous voir après. Elles nous ont remerciés car il avait abusé d'elles aussi, mais à cause de la peur elles n'avaient pas parlé.

- Vous avez eu raison ! Ce salaud devait payer ! Tu l'as raconté à Will ?

- Non. J'ai pas envie qu'il connaisse cette partie sombre de moi.

La douleur revient soudainement et se fait insupportable. Ma peau semble prendre feu. J'ai hâte que cette torture prenne fin.

- Pour moi c'est pas une partie sombre ! Ça montre que t'es courageuse, prête à aider les autres. Je comprends pourquoi Will est tombé amoureux de toi.

Je souris face à sa manière de voir les choses. J'avais peur qu'elle me juge, mais elle a été bienveillante.

- Je t'adore ! Au début, j'ai vraiment pensé du mal de toi alors je tiens à m'excuser, dis-je gênée.

- T'as pas à t'excuser. J'ai pas été sympa ! Je me méfiais de toi.

- C'est quoi ton histoire avec William ? Je demande avec curiosité.

- Je vivais dans la même barre d'immeuble que lui dans le 95. Je dois t'avouer que c'est aussi la partie sombre de mon histoire. Mon père m'a abandonné à la naissance et ma mère était...

Elle s'arrête et je comprends qu'elle essaie de trouver le bon mot pour la définir.

- Elle enchaînait les mecs, incapable d'être célibataire. Quand je prenais mon petit-déj avant de partir à l'école, je trouvais souvent un inconnu à la table. A l'adolescence, je supportais plus de voir les mecs défiler. Alors je passais plus de temps sur le pallier, dans le hall ou dans la cage d'escalier de l'immeuble que chez moi. Will passait tous les jours devant moi sans me regarder. J'avais toujours la tête dans les bouquins, j'étudiais sans relâche pour pas devenir comme ma mère.

L'émotion l'envahit et elle a besoin de quelques secondes pour reprendre ses esprits et retenir ses larmes. Je suis touchée par son histoire. Finalement, nous nous ressemblons bien plus que je ne le pensai.

- Un jour, il m'a demandé ce que je faisais là en permanence. Je lui ai tout raconté et il m'a prise sous son aile. Il est devenu mon grand-frère en quelque sorte. Alors quand son business a commencé à fonctionner, il m'a demandé de travailler avec lui. Je sortais juste de mon école de communication.

Le bruit du dermographe s'arrête en même temps que la douleur. Je me relève et me regarde dans le miroir.

- Il est canon ! Déclare Tina le sourire aux lèvres. Reste plus qu'à savoir ce que Will va en penser.

Le serpent est assez gros, mais j'en suis contente. Le résultat est au-delà de mes espérances. Je suis également heureuse d'avoir partagé ce moment avec elle. J'ai appris à la connaître et à l'apprécier. Je dois même avouer que ça m'a fait du bien de lui raconter mon histoire. Je ne l'avais jamais fait avant et je me sens comme soulagée.

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Dès que nous rentrons à l'hôtel, toute l'équipe accourt dans la chambre de William pour découvrir mon tatouage. Lorsque je soulève mon tee-shirt, tout le monde déclare l'adorer et prouve l'idée sympa. Seul William reste muet. Après quelques minutes, il se décide enfin à donner son avis.

- Je suis pas fan des tatouages, mais il est pas mal.

Je suis déçue par sa réaction car j'avais imaginé qu'il serait un peu plus touché et enthousiaste face à l'idée.

- Tu sais, j'aime pas mon nom de DJ ! Je le trouve vraiment nul. J'étais jeune et si je pouvais le changer, je le ferais !

Aïe ! Mon ego en prend un coup, mais je dissimule tant bien que mal ma déception. Alors que tout le monde repart, je file dans la chambre. Quand William me rejoint, il m'enlace tendrement.

- Dire que tu m'as gravé à l'encre noire sur ta peau, murmure-t-il à mon oreille. Pour une femme qui ne voulait m'entendre dire que tu m'appartenais...

- Tu l'aimes bien alors ?

Pour simple réponse, il m'embrasse langoureusement et je me laisse aller dans ses bras.

Dans son univers - DJ SNAKEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant