35 Le gage

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Focaliser son attention sur une activité plaisante et motivante. Ce conseil m'a été donné alors que je n'étais encore qu'une enfant, lors de ma cure de désintoxication. J'espérais ne jamais avoir à réutiliser toutes les techniques qu'on m'avait apprises pour rester clean, mais le destin en a décidé autrement. Pendant que toute l'équipe s'amuse au bowling, j'essaie de me concentrer sur les discussions que nous avons. Je réagis à tout ce qui est dit pour occuper mon esprit. Malheureusement, il m'arrive de décrocher pour penser à la drogue. Je ne peux pas m'empêcher d'imaginer le bien qu'elle me ferait en coulant dans mes veines. L'envie est forte et puissante, mais je l'éloigne rapidement. Je me sens coupable d'avoir de telles pensées. Toutefois, je me rassure en me disant que ce ne sont que des pensées, rien de plus. Pour l'instant je n'ai pas replongé et je compte bien rester sobre, quoi qu'il m'en coûte.

- Hop ! Encore un strike ! Tu disais quoi déjà bébé ? Que t'étais trop forte ? Me demande William avec arrogance.

Pour faire taire son insolence, je l'embrasse avec passion. Toute l'équipe se met alors à nous siffler et je sens le feu me monter aux joues. William est amusé en découvrant à quel point je suis gênée. L'ambiance est excellente et j'essaie de profiter au maximum de ce moment tout simple. Personne ne semble remarquer la bataille qui se déroule dans mon esprit.

- A toi Adri, me dit Ibrahim. 

Depuis le début de la partie, je suis dernière du classement. Pour une raison inconnue, je n'arrive pas à faire un seul lancer correct. Cela m'agace car en général je suis plutôt bonne. William n'arrête pas de se moquer de moi et de me rappeler qu'il est le meilleur. Ma fierté en prend un petit coup, mais je ne me laisse pas abattre. Pour ce nouveau lancer, je me concentre un maximum. Toutefois, je remarque que mon bras manque de force et qu'il est secoué par un léger tremblement. Heureusement, ce dernier est imperceptible pour les personnes qui m'entourent. Mon tir est encore plus médiocre que les précédents. Déçue, je retourne m'asseoir d'un pas nonchalant. Seb est juste en face de moi et je ne peux pas m'empêcher de le fixer avec insistance. Les questions se bousculent dans ma tête. Est-ce lui qui m'a drogué ? Pourquoi aurait-il fait cela ?

- T'es pas discrète Adri, me murmure Tina en s'asseyant à côté de moi. Je te dis que c'est pas lui alors arrête. Il va finir par croire qu'il a une touche avec toi.

Je déglutis dans l'espoir d'apaiser ma gorge qui commence à me démanger. Mon corps aussi me gratte. Je n'arrête pas de frotter mes avants-bras. J'espère que ce n'est qu'une simple réaction au stress.

- Je sais, finis-je par répondre sans pouvoir détourner les yeux de celui que je considérais comme un ami.

Alors que je ne m'y attends pas, il tourne la tête vers moi et nos regards se croisent. Une image que j'avais oubliée me revient en tête. Je revois le petit sachet en plastique tomber de sa poche. Sur le moment, je n'y avais pas prêté attention, mais maintenant ce détail me semble avoir une importance capitale. Était-ce de la drogue ? Si oui, la même que dans ma bière ? Tina s'éloigne pour aller jouer et Seb en profite pour prendre sa place.

- Dernière du classement, me dit-il le sourire aux lèvres. Je te rappelle que le gage pour le perdant c'est de se jeter tout habillé dans le canal.

- Je crois que je vais pas pouvoir y échapper, je réponds froidement.

J'avais oublié cet élément. L'idée de sauter dans l'eau trouble du canal du midi ne m'enchante pas vraiment. Toutefois, c'est le dernier de mes soucis. J'ai des choses plus graves à régler.

- Vu que je suis sympa, je vais faire exprès de perdre ! Pour cette fois je te sauve la mise, m'annonce-t-il en me faisant un clin d'œil.

Je ne réponds pas. Je n'ai rien à lui dire. En temps normal, je l'aurai remercié pour ce gentil geste, mais là je ne fais que le trouver suspect. Je sens qu'il ne fait pas cela par pure charité. Essaye-t-il de se racheter ? De quoi ? De m'avoir drogué ? Je devrais probablement lui poser la question, mais je ne veux pas que cette affaire s'ébruite et remonte aux oreilles de William. 

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- Tiens, me dit Seb en me tendant son blouson en cuir. Je veux pas abîmer ma pièce préférée quand même !

Je l'attrape tout en cachant avec difficulté le dégoût que je ressens pour lui à cet instant. Comme prévu, Seb a perdu la partie et c'est lui qui se retrouve devant le canal. Toute l'équipe est excitée à l'idée de le voir se jeter à l'eau. Je ris et souris avec eux, mais le cœur n'y est pas.

- Allez mec ! Arrête d'essayer de gagner du temps et jette toi à l'eau, crie William en riant.

Seb se place aux bords du canal. Il doit y avoir deux mètres de vide devant lui. Le plongeon n'est pas dangereux, mais plusieurs personnes se sont attroupées autour de nous pour voir le spectacle. Je suis finalement contente de ne pas être à sa place. L'eau est vraiment trouble. Je n'ose même pas imaginer ce qu'elle doit cacher. Un frisson de dégoût s'empare de mon corps. Alors que toute l'équipe s'impatiente et le traite de lâche, Seb s'élance et je n'entends que le bruit de son corps qui entre en collision avec l'eau. Tout le monde a les yeux rivés sur lui et rit. Une idée me passe alors par la tête, vérifier ses poches. Le plus discrètement possible, je fouille sa poche et tombe sur le petit sachet en plastique de la veille. Il contient des comprimés avec des dessins. Je sais que c'est de la drogue, mais je ne crois pas que ce soit du GHB. J'espérais trouver des réponses, mais finalement ce sont de nouvelles questions qui prennent place dans mon esprit. Si ce n'est pas lui le coupable, qui est-ce ? Pourquoi Seb a de la drogue sur lui ? William est-il au courant ? 

- J'y crois pas c'est tellement immonde ! Regarde le, me crie Tina.

Mon cœur s'emballe à cause de la panique que je ressens soudainement. Tina ne doit surtout pas voir ce que je suis en train de faire. Mon premier réflexe est donc de cacher le sachet dans ma poche pour ne pas me faire prendre. Par chance, elle ne m'a pas vu faire. Je devrais probablement le replacer tout de suite dans le blouson de Seb. Je dois le faire, mais j'en suis incapable. Le manque agite de plus en plus mon corps et m'empêche de prendre cette décision. Je m'en veux, je me dégoûte. Je vais replonger c'est certain. Non ! Je dois être plus forte que ça, penser à William et à tout ce que je gâcherai. J'essaie alors de me convaincre que je garde le sachet sur moi uniquement dans le but de me rassurer. Si jamais le manque est trop important, je pourrais prendre ma dose. Je ne vais pas le faire, c'est juste au cas où.

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Toute la journée, j'ai travaillé sans relâche. De cette manière, j'ai occupé mon esprit et éloigné les envies coupables qui me hantaient. La peur de retomber dans l'addiction m'a rendu efficace. J'ai ajouté de nouvelles clauses et exigences aux différents contrats. Pendant le vol jusqu'en Allemagne, William a tout validé et j'ai pu voir dans ses yeux de la fierté. Son sourire admiratif m'a fait du bien et m'a aidé à reprendre un peu confiance en moi. Pendant le set, Tina a joué à merveille son rôle d'ange gardien. Elle est restée avec moi pour être sûre que je ne fasse pas de bêtise et j'ai réussi à oublier le sachet toujours présent dans ma poche. J'ai eu envie de lui en parler, mais je ne l'ai pas fait. Elle ne sait pas que Seb se drogue et ce n'est pas à moi de lui révéler ce secret.

Allongée dans lit, après cette longue journée, mes doutes reprennent peu à peu le dessus. Je devrais parler de tout ça à William, mais il dort déjà et je ne veux pas le réveiller. Je me blottie alors contre lui quelques instants. Malheureusement, cela ne suffit pas à faire taire le manque et l'angoisse. Agacée, je me retourne inlassablement dans le lit dans l'espoir de trouver une position confortable. Je fixe un moment le plafond puis William endormi. Les flashs de ma désastreuse enfance m'assaillent. C'est insoutenable. Je décide alors de sortir du lit et de m'enfermer dans la salle de bain. Mécaniquement, sans réfléchir, j'attrape le sachet dans la poche de mon pantalon. Je l'ouvre, prends un comprimé dans ma main. Est-ce une si mauvaise idée ? Peut-être que je peux en prendre un ? Juste un. Une fois et j'arrêterai. J'en ai envie. J'en ai besoin. En proie aux doutes, je reste immobile les yeux rivés sur le comprimé.

Dans son univers - DJ SNAKEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant