Lorelei marcha vite, ses talons claquèrent bruyamment contre le carrelage du commissariat. Elle poussa la porte et l'ouvrit à la volée, n'attendant pas qu'Alexander la suive à l'intérieur. En pensant lui, elle roula des yeux. Cet après-midi, elle devait s'entretenir avec l'enquêteur qui se chargeait de l'affaire avec elle, mais la voilà pistée par son ange gardien de la manière la plus horripilante. Par pister, elle entendait qu'il la harcelait de questions pour ne jamais faire tomber le silence entre eux, refuser de lui octroyer trois pas sans lui et il avait insisté pour venir avec elle dans le poste de police. Comment était-elle censée expliquer que ce gros bébé de trente ans avait une soudaine envie irrésistible de la surveiller à chaque seconde de son existence et qu'elle ne pouvait pas s'en défaire sans le vexer et risquer une crise de colère ?
— Pour la énième fois, je préfère être là quand tu rencontreras Bremond ! s'exclama-t-il en plein milieu du commissariat et elle se retourna vivement pour le faire taire.
— Baisse d'un ton, veux-tu.
— Je te protège de ce sale type et tu râles quand même !
— Je t'en prie, Alexander, arrête de crier. Et je ne râle pas ! J'exprime seulement ma lassitude quant au fait que tu ne m'accordes plus une minute de tranquillité. Pour information, cette enquête est compliquée et le procès sera rude. J'ai besoin de moments pour réfléchir et de calme. En plus, tu sais que les trajets en voiture me permettent de me poser des questions et regrouper mes hypothèses. Pourtant, tu n'as pas cessé de geindre ! accusa-t-elle, sur un ton bas.
Il fut tenté de rétorquer, mais il décida de lui accorder ce round. Il leva les mains en signe de paix et elle roula une fois de plus les yeux, avant de se retourner et de se diriger vers le bureau de l'enquêteur tout en se penchant légèrement pour saluer les policiers présents qui regardaient la scène avec distraction. Lorelei toqua à la porte entrouverte, sourit poliment à Martinez qui lui rendit l'amabilité en l'invitant à s'asseoir en face de lui, autour d'une large table ovale qui servait sûrement à des réunions. Elle aperçut brièvement le tableau blanc sur lequel des photographies étaient collés et la machine à café – très pratique lors de longues journées.
— Votre interrogatoire avec Bremond est programmé dans une heure et j'ai ici des documents qui feront pencher la balance, voilà pourquoi je vous ai demandé de venir plus tôt. Ce sont les résultats des recherches préliminaires sur son hôtel et sa façon de le diriger. Je ne voudrais pas vous spoiler, mais il n'est pas un très bon directeur !
— J'avais deviné, railla-t-elle en prenant les feuilles qu'il lui tendait.
— Un café ? proposa-t-il. Et...pour le Monsieur ? Restera-t-il avec nous ? Un expert ?
Il s'approcha d'Alexander, mais celui-ci le snoba et son regard demeura ancré sur sa protégée. Martinez se tint penaud devant lui, une main dans le vide. Lorelei releva promptement ses yeux sous le silence pesant et remarqua l'ignorance volontaire du brun. Ses traits se tordirent en une courte grimace qui signifiait tout : soit gentil ou dégage. Alors, il serra les doigts transpirant de l'enquêteur qui sourit aussitôt et prépara trois cafés. Pendant ce temps, il prit place près d'elle. La procureure s'empêcha de soupirer, tandis qu'elle faisait tourner les pages du petit dossier. Elle ne saurait dire si son ange gardien excessif l'exaspérait davantage que les informations qu'elle lisait sur Bremond.
— Si je résume, rien n'allait, mais personne ne réagissait.
— En effet ! fit Martinez en servant les cafés. Bremond n'accorde aucun intérêt à la gérance de son hôtel. Les enquêtes ne sont pas suffisamment poussées, mais il semblerait qu'il ait extorqué de l'argent. Pour l'instant, je ne peux pas m'avancer sur ce supposé détournement de fond, ne le mentionnez donc pas à l'interrogatoire. J'y travaille !
— Parfait ! Je termine d'examiner ce dossier et je vous rejoindrai pour l'interrogatoire.
— N'hésitez pas à m'appeler en cas de besoin.
Elle acquiesça et il s'éclipsa. Ce n'était pas la première fois qu'elle bossait avec Martinez et il avait l'habitude qu'elle épluche les feuilles, seule dans la pièce. Elle insistait pour ne pas avoir de nuisances autour d'elle qui la déconcentrerait. Elle en profitait pour lister mentalement des questions pour l'interrogatoire. Lorelei se décrispa dès que l'enquêteur quitta la salle. Elle relâcha ses épaules et se plongea immédiatement dans l'étude du caractère de Bremond. Elle se dépita à toutes les lignes. Elle grimaça et Alexander sourit de plus en plus intérieurement en la voyant faire.
De nombreux accidents avaient déjà eu lieu dans l'hôtel Rêve. Intoxication alimentaire pour une demi-douzaine de clients car utilisation de nourritures périmées, mais rien pour prouver si la faute venait de l'hôtel ou de la société d'approvisionnement. Espace de bain mal entretenu avec cheveux régulièrement retrouvés dans les douches. Espace détente soumis à plusieurs micro-scandales rapidement mis sous silence, dont attouchements dépassant les limites de la part des masseurs et masseuses, ainsi qu'une eau trop usée dans le jacuzzi. Les plaintes de manque d'hygiène s'accumulaient, signe que Bremond gérait extrêmement mal ses employés. Sans sa réputation – et son physique – son établissement aurait coulé bien avant.
— Tu as de quoi le mettre derrière les barreaux ? s'enquit soudainement Alexander, lui arrachant un frisson de surprise.
Parfois, elle entendait sa voix et ne la reconnaissait pas. Comme s'il était un parfait étranger. Ce qu'il était en fin de compte.
— Oui, largement. L'interrogatoire est quasiment inutile, puisque toutes les preuves indiquent la même chose : Bremond était un incapable. Mais, pourquoi pas le lui faire avouer ?
— Un homme aussi fier que lui n'admettra jamais rien, Lorelei.
— Tu es un homme très fier, mais tu n'hésites pas à confesser ta faute et demander pardon.
Un ange passa.
— Lorelei, j'espère que tu as conscience que je ne me comporte ainsi qu'avec toi.
Un second ange le joignit.
— J'imagine, souffla-t-elle. Je sais bien que tu es un véritable mufle en présence d'inconnus, mais je mets ça sur le compte de ta timidité.
— Je ne suis pas timide du tout, ricana-t-il. Mais crois-le si ça te fait plaisir.
Les lèvres de Lorelei s'étirèrent à l'horizontal en imitation d'un sourire, mais son téléphone vibra. Elle se déconcentra de lui et ouvrit le mail qu'elle venait de recevoir. Il s'agissait de l'expertise qu'elle attendait concernant ce qui avait déclenché l'incendie. Elle possédait désormais une preuve confirmée qu'une fuite de gaz avait produit l'explosion. Bien. Il ne manquait plus qu'à rassembler tous les faux pas de Bremond et de patienter pour le jour de sa condamnation.
— Je vais appeler le juge d'instruction ce soir pour qu'il fixe la date du procès au plus tôt. Ce sera rapide.
— Et voici Lorelei Zauberin qui part en guerre ! scanda Alexander en la fixant avec amusement. Quelle peine penses-tu lui réserver ?
— Sûr et certain, il tombera pour ne pas avoir respecté les règles d'hygiène obligatoires... Mais, balbutia-t-elle, il pourrait être accusé d'homicide involontaire et blessures involontaires. Cependant, son dossier comporte des ambiguïtés. Le juge pourrait refuser cette sentence.
— Pourquoi ? Il a visiblement provoqué la mort des victimes par son incompétence.
— Je suis complètement d'accord. Il est responsable de la mort des victimes par négligence et manquement aux règles de sécurité. Or, peut-être le juge aura-t-il pitié de lui.
— Pitié de lui, ou pitié de lui parce qu'il détient de l'argent et de la renommée.
— Pitié de lui parce qu'il est manipulateur, conclut Lorelei.
Le brun opina du chef doucement, elle suivit son mouvement en haussant un sourcil et elle devina qu'il n'avait pas compris. Au final, ces histoires de loi, il n'aimait ni en discuter, ni chercher à saisir leur subtilité. De toutes les professions, Lorelei avait jeté son dévolution sur la justice durant ses années lycée à son plus grand dam. Alexander avait essayé de lui faire changer d'avis et de la diriger dans les métiers de la nuit. A l'époque, il la poussait vers le chant ou la danse, mais il s'était révélé qu'elle n'avait pas de talents pour l'un ou l'autre. Alors, il l'avait entièrement soutenu dans sa voie.
VOUS LISEZ
Lui qui veille sur elle
ParanormalQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...