Puisqu'Alexander se levait de sa chaise pour la première fois en plusieurs heures, Lorelei sursauta légèrement derrière son bureau et elle scruta les mouvements souples du brun se dirigeant vers la porte.
—Si tu vas recharger nos gobelets de café, je voudrais plutôt une tisane à la verveine du distributeur au deuxième étage.
— Je comptais seulement me dégourdir les jambes, déclara-t-il sur un ton neutre. Il fait nuit depuis un bon moment. Quand je serais revenu, j'espère que tu seras prête à rentrer, parce qu'il est hors de question que je te laisse bosser ici jusqu'au petit matin.
Il nota son air déçu. Était-il dû à sa requête ou au fait qu'elle devrait tirer un trait sur sa verveine ? Alexander soupira imperceptiblement et fit demi-tour, tout en forçant un rictus bienveillant. Lorelei releva la tête et croisa ses yeux qui ne disaient rien ; elle plongea à l'intérieur, se baigna dans ce lac limpide qu'était son regard et elle chercha la sensation agréable qui la tiraillait dès qu'elle le sentait proche d'elle, capable de la défendre en toute circonstance. Elle retrouva ce sentiment de sécurité pendant une seconde et elle étira ses lèvres pour lui indiquer qu'ils étaient sur la même longueur d'ondes et qu'ils pouvaient combler le fossé qui les avait écartés sans qu'ils ne s'en soient rendus compte.
— En partant, nous nous arrêterons au distributeur. Tu veux ?
Et le voilà qui la traitait de nouveau comme une enfant à qui il fallait absolument faire plaisir. Son attention la toucha et elle acquiesça joyeusement. Alexander pouffa face à sa candeur qu'elle avait gardée malgré les années. Cependant, ils ne pouvaient ignorer cette distance. Ils se tenaient de part et d'autre d'un sillon qui se creusait de jours en jours. Cet éloignement provenait-il des questionnements refoulés de Lorelei quant à cet homme, de ses craintes de le voir s'enfuir loin d'elle ou de l'arrivée inopinée de David Bartel dans sa vie ? Peut-être le cumul des trois.
— Je reviens vite, termine tes recherches.
Elle se reconcentra sur l'écran de son ordinateur et il quitta le bureau, non sans un regard derrière lui. Ils ne s'étaient pas parlés de l'après-midi et ce silence avait bien plus pesé sur lui qu'il ne l'aurait présagé. Il avait détesté qu'elle laisse l'avocat déposer un baiser sur sa joue, alors qu'elle le connaissait à peine. Il avait surtout méprisé David à l'instant exact où leurs routes s'étaient croisées. Un mauvais pressentiment. Ses intuitions étaient rarement incorrectes. Il s'inquiétait quelque peu. Que voulait-il de Lorelei ? Pourquoi traînait-il autour d'elle ? Il avait besoin de réponses, immédiatement, et il savait que certaines secrétaires avaient prévu de commander à manger ici, ce soir, et qu'elles papotaient entre elles des potins du coin.
Sans attendre, il monta aux étages supérieurs et essaya de se souvenir de l'endroit où il avait entendu leur conversation plus tôt dans la journée. A force de tourner dans les couloirs vides, de guetter les sons et les lumières encore allumées, Alexander atteignit une salle commune dans laquelle se regroupaient habituellement les secrétaires des supérieurs de Lorelei. Il se stoppa à mi-chemin, réajusta sa chemise noire dans son pantalon et se recoiffa. Il se jaugea à travers le reflet d'une baie vitrée et présuma qu'il vaudrait mieux ôter les deux premiers boutons de son haut. Satisfait de son apparence, il s'engouffra dans la pièce, mettant en pause les piaillements rieurs de ces dames.
— Bien le bonsoir, Mesdames, dites-moi si je vous dérange, mais je suis venu vous proposer ma compagnie pour quelque temps. Histoire de faire connaissance.
Sur les six, quatre d'entre elles ne prononcèrent pas un mot, bouche bée et surprises qu'un tel homme entre dans leur salle ; une gloussa et devint aussi rouge que son châle ; la dernière, la plus âgée, mâture et mariée, se retint de tout commentaire sur ces collègues et elle lui fit signe de prendre la chaise libre en face d'elle. Alexander s'exécuta et calcula l'étendu des dégâts de l'alcool sur leur état par rapport au nombre de cadavres de bouteilles. Un vin rouge qu'elles avaient apporté et six bières, une chacune. Son opération de renseignement ne devrait pas durer longtemps.

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Lui qui veille sur elle
ParanormalQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...