Lui qui veille sur elle

VII

Lui sur le canapé, le regard pendant et rivé sur les baies vitrées, nonchalant et ne montrant aucune émotion ; elle, contre le mur de la chambre d'Alexander, fixant la blonde inconsciente avec doute et tourment. Jayden était assis à côté d'elle, les jambes repliées contre le torse, son front plissé et les yeux rougis. Lorelei se doutait qu'il avait beaucoup pleuré. Il était encore jeune et rempli d'incertitudes. Son affection pour Astrée et l'état de cette dernière lui procuraient un profond mal-être qu'il ne parvenait pas à nommer – il s'agissait seulement de l'amour, mais il n'était pas assez mâture pour le comprendre. 

— Tu crois qu'elle se réveillera bientôt ? 

Sa gorge le gratta et il toussota. Lorelei tendit le bras et attrapa une bouteille d'eau sur la table de chevet qu'elle lui donna. Il la remercia et but à petites goulées.  

— Je ne sais pas, Jayden, j'espère. 

Lorelei ne souhaitait pas le démoraliser, mais elle avait peu d'espoir. A son réveil, désorientée, assoiffée et affolée, elle était tombée dans les bras d'Alexander. Il lui avait à peine adressé la parole et s'était contenté de la mener jusqu'à sa chambre où elle avait découvert la prêtresse et le demi-démon sanglotant. Elle avait remarqué au bout de nombreuses minutes, à force d'examiner le visage tranquille d'Astrée, qu'une de ses manches était légèrement déchirée et le tissu de sa robe était noirci. Elle avait demandé aux deux hommes de se détourner et elle l'avait délicatement retourné pour constater la brûlure sur son omoplate. 

— C'est le tatouage des Prêtresses. De ce que j'ai compris à ce propos, ce symbole est directement relié à leur magie ancestrale. Le porter confère des pouvoirs surhumains. Le brûler revient à éjecter la membre de l'Ordre. Elle a été bannie.

Sur ces explications, Jayden était parti un moment, sûrement pour pleurer à l'abri des regards ; et Alexander s'était éclipsé dans le salon. Elle était restée seule et pleine de questions. Cela signifiait-il que la jeune femme se réveillerait bientôt en tant qu'humaine tout à fait normale ? Ou qu'elle ne se réveillerait pas du tout ? Plus d'une journée s'était écoulée. Lorelei avait préparé à manger pour les deux hommes, même si le benjamin n'avait pas d'appétit et que l'aîné ne s'était pas installé à table avec eux. Puis, ils avaient attendu. Le procès de Blanchard approchait à grands pas et elle était loin d'avoir terminé son dossier. Surtout que ses souvenirs la hantaient toujours, qu'elle redoutait d'en parler et qu'elle sentait au fond d'elle que son entrevue avec Dubois cachait quelque chose. 

Subitement, elle se leva et tituba à cause de la lourdeur de ses jambes. Elle tapota l'épaule de Jayden et il lui sourit faiblement. Ce garçon était vraiment attachant ; elle ressentait l'influence d'Alexander sur lui, sa franchise et sa façon d'être. Lorelei se rendit dans son salon où elle le trouva, parfaitement immobile. Elle savait qu'il était ici pour son neveu et certainement pas pour elle. Elle se trompait, mais l'ignorait. S'asseyant de l'autre côté du canapé, elle hésita à prendre la parole et se lança finalement, inquiète pour Astrée.

— Le bannissement d'une Prêtresse, en quoi cela consiste-t-il ?

— Si j'avais une réponse, je te l'aurais donné, rétorqua-t-il avec indifférence. 

Elle se rapprocha et prit sa voix la plus douce.

— Tu es forcément au courant. Tu es un démon.

Elle le vit clore ses paupières.

— Tu ne dis rien pour ne pas blesser Jayden, n'est-ce pas ?

Il soupira et daigna la regarder. Alexander humidifia ses lèvres avant de répondre.

— J'ai lu un document à ce sujet, il y a très longtemps. Il me semble qu'une solution était mentionnée, mais je n'en sais pas plus. Tant que nous ne trouverons pas cette solution, elle ne se réveillera pas.