VII

55 5 0
                                        

Lorelei ne tenait plus très droit, elle se dandinait avec joie et une bonne humeur qu'elle n'avait pas expérimentée depuis des années ; elle accepta le verre de trop de la part de la témoin, ce qui l'avait irrémédiablement amené sur la piste de danse à frotter son corps contre ceux avenants des hommes en quête d'une proie pour la nuit. Dans sa robe verte qui mettait en valeur toutes les courbes qu'elle cherchait à cacher pour ne pas attirer l'attention, elle s'était complètement libérée de tous ses tracas quotidien. Elle ne pensait plus à Alexander ou à ses procès, ni à David. 

Il semblait qu'elle s'amusait beaucoup, parce qu'elle riait à gorge déployée, qu'elle dansait encore en ignorant l'ampoule qui se formait déjà à son talon et qu'elle répondait aux invitations des hommes. Cependant, elle se trouvait toujours dans un état de détresse. L'alcool embrouillait ses sens, mais elle voulait partir, sans que ses jambes ne lui obéissent. Elle se tournait vers la sortie du bar et regrettait amèrement d'avoir accepté le défi des douze shots. Sans compter que sa journée de demain était importante ! Elle se maudissait et priait pour que Richard détienne réellement une information, au moins elle n'aura pas fait cela pour rien. Mais, elle avait besoin de sortir, besoin d'air et de se détacher des corps en sueur ; alors pourquoi ne pouvait-elle pas ?

— Lorelei Zauberin, qu'allons-nous faire de toi ?

Elle entendit ces mots par-dessus la musique et cessa immédiatement de bouger. Tout d'un coup, plus aucun son ne résonna dans le bar. Les corps se stoppèrent dans des mouvements en suspens et tout devint inerte, figé dans le temps. Seule Lorelei put faire volte-face et voir son ange gardien voler à son secours en une démarche assurée et autoritaire. Elle se permit de sourire bêtement, comme heureuse et soulagée qu'il apparaisse enfin. Elle ne prit même pas conscience que les fêtards autour d'elle avaient été pétrifiés par une sorte de magie sordide. L'alcool la rendait totalement aveugle. 

Son ange gardien ne s'arrêta pas, saisit son poignet durement sans un regard pour elle et la tira à sa suite, ne la ménageant aucunement. Elle manqua de se prendre les pieds dans le parquet et bouscula un homme qui était tellement statufié qu'il tomba lourdement et s'écrasa au sol. Lorelei tiqua, mais le voile d'incompréhension enfumait son esprit. Elle put à peine freiner avec ses talons et fléchir ses genoux pour qu'il ralentisse. Supposant qu'elle ne parvenait pas à mettre un pied devant l'autre à cause de son ivresse, Alexander soupira bruyamment – unique son qui parcourut le bar – et il pivota pour l'enlacer, la soulever et la porter jusqu'à la voiture. Seulement, sa petite voix l'interpella, alors qu'elle se pendait à son cou.

— Tu es venu. Je ne me sentais vraiment pas bien.

— A qui la faute ? rétorqua-t-il, un brin méchamment. 

— Tu vois, je te l'avais dit que tu es mon ange gardien.

— Ange gardien, quelle connerie, Lorelei...

Mais son murmure se perdit dans le vide, puisqu'elle somnolait contre son épaule. Il soupira derechef et ne put retenir son chuchotement désemparé :

— Même à la fin des temps, je ne t'abandonnerai pas. Parce que tu ne t'en sortirais pas dans la vie sans moi ! 

Il ne s'attendait pas à ce qu'elle l'ait écouté et qu'elle lui réponde doucement.

— Si tu restes pour cette raison, je ne l'accepte pas. My angel ! pouffa-t-elle.

Il sourit sans pouvoir s'en empêcher et termina de la sauver de cet endroit. Le bar se réanima à son départ et Astrée en demeura bouche bée. Elle, de son état de prêtresse, avait été immunisée de son sort, Jayden aussi. Ce dernier fixait la blondinette avec curiosité ; les yeux écarquillés, elle regardait l'espace où se tenaient sa cliente et Alexander quelques secondes plus tôt et elle n'en revenait pas. De toutes les créatures qui existent et dont elle avait connaissance, elle n'en trouvait aucune qui possédait un tel pouvoir. Figer le temps. Qui donc était capable d'une prouesse pareille, hormis le diable lui-même ? 

— Oh là là, je crois que notre jeune Prêtresse ne fonctionne plus très bien ! railla Jayden, narquois. Alors ? As-tu compris ? 

— Pas possible ! répliqua-t-elle. Ce n'est pas possible ! 

— Pourtant, il l'a fait ! se moqua-t-il. Mais, comment ? Ouah, que de mystères !

Elle se retourna vivement vers lui et gifla son bras, accompagnée d'un regard noir. Jayden s'amusa de sa réaction et ricana dans son coin en buvant son verre. Toutefois, un remue-ménage sortit Astrée de sa torpeur et le blond fronça abruptement les sourcils : un homme cria qu'une femme dansait avec lui une minute auparavant et qu'elle avait soudainement disparu. Personne ne le prit au sérieux. Le jeune s'apprêta à intervenir, mais la prêtresse lui agrippa fermement le poignet ; elle sentait encore la présence de l'ange gardien de sa cliente dans les parages et elle souhaitait intérieurement que ce type bourré affronte Alexander. La confrontation pourrait l'aiguiller. 

L'homme chancela jusqu'au comptoir, puis ses pas le menèrent à la sortie. Elle le suivit discrètement dans la rue et tomba instantanément sur un Alexander qui essayait de faire rentrer Lorelei dans sa voiture. Elle refusait apparemment de lâcher son cou et elle était accrochée à lui coûte que coûte. Il ne tentait pas de dissimuler son sourire attendri, bien qu'il avait envie de la coucher et d'oublier cette soirée. Mais, le saoul commit sa première erreur. Il prononça les mots de trop, tandis qu'Astrée assista à l'entièreté de la scène derrière la porte entrouverte du bar, Jayden agglutiné à elle car il était également curieux de la tournure des événements.

— Elle est où la meuf bonne ?! Oh, elle est là ! 

Sans gêne, il pointa de son doigt grossier les jambes de Lorelei qui dépassaient de la voiture. A ce moment précis, Alexander tourna son regard dans sa direction et son visage rougit de fureur. Il détacha brutalement les bras de sa protégée de son cou et poussa ses pieds à l'intérieur, en fermant la portière avec fracas. Sur-le-champ, il fonça sur le type qui avançait vers eux et attrapa son col. Il le jeta en arrière si fort que l'homme rencontra violemment le mur du bar. Quand il se releva, complètement sonné, le brun le dominait de toute sa hauteur, les yeux imbibés de flammes qu'Astrée vit distinctement. 

— Une femme comme elle avec un déchet tel que toi ?! vrombit-il. Elle n'est pas de ton espèce, elle est bien plus digne que ça, dégage avant que je n'enfonce ta sale tronche dans le béton !  

Astrée ne l'aperçut pas entrer promptement dans la voiture, ni démarrer et s'en aller. Elle était subjuguée par le feu valsant dans ses yeux. 

— Maintenant tu as compris, déduisit Jayden à sa mine perplexe.

Effectivement, elle avait posé une appellation sur le genre de créature qu'était Alexander Drukhän. Mais comment l'expliquer à sa cliente ? Et puis, elle se retrouvait finalement réticente à l'idée d'énerver un homme muni de ce regard. Elle n'aurait peut-être pas dû se mêler de cette histoire dès le début ; la voilà désormais dans l'embarras le plus effrayant. Le rire goguenard de Jayden lui prouva à quel point elle était détentrice d'un secret qui ne lui appartenait clairement pas.

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant