Lorelei arriva enfin à l'adresse indiquée par la police. Les enquêteurs chargés de l'affaire Blanchard lui avaient arrangé un rendez-vous avec les présumées victimes et elle débarqua donc dans une salle de jeux où il n'y avait pas foule. Quelques adolescents jouaient sans vraiment d'énergie. Elle pivota brièvement vers Astrée, suivie de près par Jayden, et lui glissa :

— Restez dehors, je ne serais pas longue.

Acquiesçant, les deux jeunes obtempérèrent et s'assirent sur le bord du trottoir. Lorelei rajusta son manteau et remit de l'ordre dans ses cheveux, chamboulé par le vent. Puis, elle entra dans la salle de jeux et s'approcha directement des adolescents. Ceux-ci levèrent sur elle des yeux fatigués, blessés et éreintés, mais quelque chose indiqua à la procureure que ce n'était pas normal. Comme s'ils exagéraient leur apparence pour paraître au plus bas. Elle passa outre sa première impression et tendit la main à chacun d'eux, ils la serrèrent et la saluèrent de vive voix.

— J'imagine que vous êtes occupés et j'ai lu vos témoignages, mais les enquêteurs ont dû vous parler de moi.

— Ils ont dit que vous aimiez bien rencontrer tout le monde, lui répondit une fille à jogging trop large pour elle.

— Pour vous faire une idée, compléta un garçon à casquette.

— Effectivement. Mais, pour le coup, je n'ai aucune question à vous poser.

Les adolescents se regardèrent, perplexes. Lorelei comprit très vite que son intuition était la bonne. En fait, en lisant leur témoignage, elle s'était aperçue que certaines preuves collaient avec leurs affirmations, mais que d'autres semblaient parfaitement inventer. Elle comprenait aisément ce qui se tramait et elle était venue pour leur donner un conseil. Tranquillement, elle déposa son sac et ouvrit le bouton de son manteau pour être à l'aise. Elle prit le temps d'affronter tous les regards. 

— Il existe des moyens de vérifier vos dires, se lança-t-elle au bout d'un moment. Par exemple, Rihem Ghata, vous avez déclaré trois blessures. Une au genou, une au bras et une au visage. Les radiographies ont montré que vous aviez bel et bien été blessées, mais pas au bras. Hors, il s'agissait de votre blessure la plus grave selon votre description de la violence subie. J'ai constaté ceci dans tous vos témoignages, le juge le constatera et l'avocat de l'accusé le constatera aussi. Il s'en servira contre vous, sachez-le. Je le ferai à sa place, en tout cas. 

Certes, il est tentant pour des victimes d'aggraver ses propos, de durcir la réalité pour la rendre d'autant plus atroce. Cependant, ils jugeraient sous serment de mentionner uniquement la vérité et le moindre petit mensonge se retournerait contre eux pour les faire chuter. Si jeunes et naïfs qu'ils étaient, ils ne le comprirent pas et les deux assis au fond se redressèrent. Ils la fixèrent d'un air menaçant, la défiant de les accuser de quoi que ce soit. La fille à jogging, en particulier, sembla plus énervée que les autres. Lorelei ne bougea pas d'un pouce et les observa tour à tour. Semblables à des animaux sauvages, un mouvement pouvait les enrager, alors elle se tint droite et muette.

— Vous ne croyez pas en nos témoignages ! gronda la fille à jogging. Putain ! Notre avocat nous avait promis que la procureure serait de notre côté, mais vous êtes comme les autres ! Vous soutenez les plus forts et vous vous fichez des jeunes ! Ce n'est pas parce que nous sommes mineurs que nous sommes cons ou menteurs ! 

— Franchement, partez, continua le garçon à casquette. Pas besoin de nous interroger si vous comptez vous moquer de nous. 

— Vous n'y êtes pas du tout, calma Lorelei. Et, je vous assure que je suis de votre côté. Techniquement, je suis du côté de la justice et la justice vous doit réparation.

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant